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« Devant Steven Gerrard, je ne faisais qu’écouter en souriant »

Propos recueillis par Quentin Ballue et Matthieu Darbas
10 minutes
«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Devant Steven Gerrard, je ne faisais qu’écouter en souriant<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Home sweet home. Six ans et demi après son dernier match à Anfield, Steven Gerrard retrouve ce samedi l'antre de ses innombrables exploits sous le maillot du Liverpool Football Club. Avec le statut d’adversaire, lui qui entraîne Aston Villa depuis maintenant un mois, après avoir conquis l’Écosse sur le banc des Rangers. L’occasion de se pencher sur ce rôle de coach, que le légendaire numéro 8 a embrassé en 2017, avec ceux qui l’ont côtoyé de près.

Le casting :

Lassana Coulibaly : Milieu de la Salernitana, joueur de Gerrard aux Rangers (2018-2019)Yasser Larouci : Latéral de Troyes, joueur de Gerrard chez les moins de 18 ans de Liverpool (2017-2018)Grégory Vignal : Entraîneur à l’Academy de Dundee, membre du staff de Gerrard aux Rangers (2018-2020)


Son aura

Yasser Larouci : L’avoir comme entraîneur, franchement, c’est incroyable ! Quand je rentrais chez moi, on n’arrêtait pas de me dire : « Mais tu as Gerrard comme coach, c’est ouf ! » C’est génial de pouvoir apprendre de quelqu’un comme lui. On le regardait avec une telle admiration. On sent qu’il est respecté. Quand il parle, tout le monde l’écoute. On respecte et on écoute tous les entraîneurs, mais quand vous avez un entraîneur qui a été joueur à ce niveau-là, qui a été performant comme il l’a été, ça lui donne un surplus d’autorité.

Quand tu as un coach comme lui, tu te tais et tu suis ses ordres ! Le vestiaire le respectait beaucoup, à la fois en tant que coach et pour tout ce qu’il avait pu faire dans le milieu du football.

Grégory Vignal : Évidemment qu’il a ce petit quelque chose. Il amène forcément un truc en plus par rapport à un autre manager, c’est une icône. On avait discuté de ça avec le directeur sportif Mark Allen avant qu’il rejoigne les Rangers. Je lui avais expliqué qu’il apporterait beaucoup de choses, à commencer dans le vestiaire. Quand tu as gagné des titres, que tu as joué dans de grands clubs, tu amènes avec toi le respect, et plus encore. Ce n’est plus le joueur, il a un nouveau poste et donc forcément, il a évolué sur de nombreux points. Mais même si on rentre dans un autre contexte et que le métier change considérablement, le nom reste identique. On sait qui il est et ce qu’il a gagné, alors quand il devient manager, et avant même de montrer son travail et ses compétences, il n’arrive pas comme une personne lambda.

Vignal (à gauche) et Gerrard (à droite) encadraient déjà un groupe/

Lassana Coulibaly : Il a joué un rôle dans ma venue à Glasgow, même si au début, je n’y croyais pas. J’étais en vacances, et mon agent m’avait appelé pour me dire que Steven Gerrard voulait me parler. Je pensais que c’était une blague. Je me disais : « Steven Gerrard, il va m’appeler pour me dire quoi ? » Je n’y croyais pas, mais c’était vrai ! La première fois que je l’ai rencontré, j’étais un peu impressionné. En plus, je suis timide, je ne parle pas beaucoup. Devant lui, je ne faisais qu’écouter en souriant ! C’était un plaisir d’être de son côté pour apprendre. Quand tu as un coach comme lui, tu te tais et tu suis ses ordres ! Le vestiaire le respectait beaucoup, à la fois en tant que coach et pour tout ce qu’il avait pu faire dans le milieu du football.


Son management

Coulibaly : C’est un mec super sympa, il taquine ses joueurs et communique beaucoup. On était une famille, et lui, il avait un peu le rôle du père. J’ai perdu mon frère pendant ma saison à Glasgow, c’était compliqué pour moi, et j’ai vu à quel point il était humain. Il crée beaucoup de liens avec ses joueurs, il donne des conseils. À chaque fois que je perdais un ballon, je disais :« Oh putain, merde », et je m’arrêtais. Il m’a fait comprendre qu’à la perte, tu dois être le premier à presser. Si tu fais le pressing et que l’équipe récupère le ballon, personne ne se souviendra que tu l’avais perdu. Maintenant, je me bats plus. C’est le meilleur coach que j’ai eu. Il ne nous mettait pas trop de pression dans ses causeries, il nous disait de prendre du plaisir, de nous donner à fond et d’avoir l’esprit de victoire. Même quand il met ses chaussures pour jouer avec nous, il veut gagner. C’est impressionnant, il est encore le même qu’on voyait à la télé ! Il n’aime que la victoire. Ça lui arrivait de nous bousculer. Des fois, on a aussi besoin de ça, d’un entraîneur qui nous rentre dedans pour nous pousser à dépasser nos limites.

Lassana Coulibaly avec Tonton Gerrard.

Larouci : Sur le terrain, il est vraiment exigeant. Il n’hésite pas à remettre un joueur à sa place. Si le contrôle est raté, si quelqu’un ne fait pas quelque chose sérieusement, il est derrière lui. Sur un exercice, si ton entraîneur envoie une transversale comme ça, qu’elle arrive pile où elle doit arriver, il faut que tu fasses pareil. Tu ne peux pas être en dessous. Ça met une petite pression quand même ! Il jouait souvent avec nous et il se donnait à fond. Il voulait toujours de l’intensité, de la combativité, de la hargne. À l’image du joueur qu’il était. Franchement, il était bon ! Il jouait pour de vrai, il n’hésitait pas sur les tacles ! Quand tu es sur le terrain, tu te donnes à 100%, ça tacle, ça court, ça ne s’arrête pas. C’est ça qu’il nous inculquait. Il nous envoyait à la guerre. Il me disait tout le temps de ne pas lâcher, d’être exigeant avec moi-même. Même sur le banc, on sentait qu’il avait envie de gagner, c’était vraiment intense parfois au bord du terrain. En voyant à quel point il est impliqué, tu te donnes à fond.

Le jour où j’ai oublié de faire quelque chose, il n’a pas hésité à m’appeler à 22 heures pour me le faire savoir. Ça vous montre la logique du monsieur.

Vignal : Il est dans ce rôle de manager à l’anglaise, différent de ce que nous avons en France. Il n’y a pas que le terrain à gérer, c’est un boulot multi-casquettes. C’est aussi propre à sa personne, parce qu’il s’investit peut-être plus qu’un autre. Tu dois avoir différentes cordes à ton arc, dont le recrutement. Quand tu es avec lui, tu restes discret, mais avec les yeux grands ouverts. Je me souviens d’une présentation à un joueur pour le convaincre de rejoindre son projet. C’était incroyable à voir. Grâce à tout ça, si un club français m’appelle demain, c’est sûr que je ne vais pas me chier dessus. En un an, j’ai l’impression d’avoir vécu quelque chose de fou. Travailler avec lui demande beaucoup de professionnalisme, une bonne communication, mais surtout de la confiance. Il veut tout gagner, c’est normal. Le jour où j’ai oublié de faire quelque chose, il n’a pas hésité à m’appeler à 22 heures pour me le faire savoir. Ça vous montre la logique du monsieur. Tu ne deviens pas champion tout seul, Steven le sait et il est bien entouré. Ses assistants Michael Beale et Gary McAllister, le préparateur physique Jordan Milsom… Tous l’ont suivi à Villa et lui rendent cette confiance dans le travail.


Son style de jeu

Vignal : L’ADN de l’équipe dépend forcément de l’entraîneur et de ce que tu as vécu dans le passé. Il transmet son identité dans son style de jeu et donc dans le caractère de l’équipe. Gerrard, c’est un 4-3-3 avec une rotation dans l’entrejeu, de la densité au cœur de jeu et un rôle très important des latéraux dans l’animation. Tout ça pour amener une vague offensive plus importante. J’ai le souvenir d’une causerie purement tactique avant un match qualificatif de Ligue Europa, il évoquait justement le rôle prépondérant des latéraux. Ça m’a marqué parce que je l’ai vu transcender ce groupe à ce moment-là.

Il fallait dédoubler, monter, centrer, redescendre… Il insistait sur le rôle offensif des latéraux, ça se rapprochait un peu de ce que pouvait faire Klopp avec l’équipe première.

Coulibaly : Il aime beaucoup avoir la balle, dominer l’équipe adverse. On avait des latéraux qui jouaient presque ailiers ! Le championnat écossais est assez fermé. Les équipes qui croisent les Rangers ou le Celtic sont très repliées, elles restent beaucoup dans leur camp et jouent beaucoup en contre-attaque. La philosophie de Gerrard, c’est d’avoir le ballon, jouer, dominer et aller chercher l’adversaire très rapidement à la perte du ballon. Il prenait parfois le Liverpool de Klopp comme exemple, il nous montrait des séquences de jeu pour qu’on observe ce qu’ils faisaient, surtout du point de vue de l’intensité. Il demande beaucoup de mouvement. Même en tant que milieu, tu peux te retrouver en attaque. D’ailleurs, j’ai marqué trois buts lors de cette saison, mon record. Ce n’est pas un hasard. Il veut qu’on soit là sur les deuxièmes ballons, pas trop loin des attaquants, pour maintenir la pression et rester dans le camp de l’adversaire.

Larouci : Il insistait beaucoup sur l’intensité, il m’a pas mal fait progresser physiquement. Le premier match où j’entre, on jouait dans un système à trois derrière, donc j’étais piston, et il y a des efforts que je ne faisais pas. Il m’a beaucoup aidé à travailler ça, il a su me gérer pour que je développe mes capacités à répéter ce genre d’efforts. Il aimait vraiment quand j’allais provoquer en un contre un pour éliminer, centrer ou aller tirer. Il voulait que j’appuie sur ça : prendre l’espace, faire mal par ma qualité technique et ma vitesse. Il fallait dédoubler, monter, centrer, redescendre… Il insistait sur le rôle offensif des latéraux, ça se rapprochait un peu de ce que pouvait faire Klopp avec l’équipe première.


Ses perspectives

Larouci : Il a commencé à entraîner avec nous, à l’Academy, mais on sentait qu’il allait monter. Ça se voyait qu’il finirait par entraîner une équipe pro. J’étais content que ça fonctionne bien pour lui aux Rangers. Maintenant, le voir revenir en Angleterre et entraîner une équipe de Premier League, ça fait plaisir. Ça ne va pas être facile, mais je pense qu’il va bien s’en sortir. Il suit sa route. Ce serait cohérent qu’il finisse par entraîner Liverpool. Ce serait magnifique dans son parcours d’avoir joué pour le club, d’en être l’un des plus grands joueurs, et d’en devenir l’entraîneur. Il a les valeurs de Liverpool, celles du club et de la population. Tout ça fait partie de lui, c’est dans son cœur.

Vignal : Venir chez les Rangers, c’était déjà un gros challenge, avec beaucoup de pression. Et aller à Aston Villa, c’est tout aussi compliqué. C’est un club historique, il ne faut pas oublier qu’ils ont gagné la Ligue des champions en 1982. En tout cas, il a eu raison d’y aller. À 41 ans, on ne refuse pas Aston Villa. Et ses débuts sur le banc ne sont vraiment pas mauvais, trois victoires sur quatre matchs. Je les ai tous regardés et j’ai trouvé une équipe d’Aston Villa avec beaucoup plus d’intensité, bien plus conquérante. Contre Liverpool, ce sera un très gros match, mais il veut se confronter aux meilleurs. C’est son idée, son envie, et ça l’a toujours été. C’est comme ça qu’il saura quel manager il veut être. Succéder à Klopp sur le banc de Liverpool ? (Il souffle.) Attention, rien ne lui garantit d’avoir le poste parce qu’il faut faire ses preuves. Mais bon, la suite logique voudrait qu’il ait sa chance.

Coulibaly : Je n’ai pas été surpris par ses bons débuts avec Aston Villa, il n’y a pas de raison qu’il ne réussisse pas. C’est un coach qui a sa philosophie et une mentalité de gagnant, donc partout où il ira, il s’en sortira. Tôt ou tard, il reviendra à Liverpool. Je pense qu’il a tout ce qu’il faut pour entraîner ce club. Quand on voit ce qu’il a fait avec les Rangers en championnat et en Ligue Europa, sa capacité à créer du lien avec ses joueurs, je peux vous dire qu’il reviendra chez lui et que ça se passera bien. Très bien.

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Propos recueillis par Quentin Ballue et Matthieu Darbas

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