Dario Silva : « Je suis un farceur ! »
Chantre de la garra charrua et homme-lige par excellence, l'ingérable Dario Silva faisait partie de ces joueurs qu'on adore détester. Mais un soir de septembre, un poteau téléphonique a mis un terme prématuré à sa carrière...
La voix de Darío Silva semble enjouée à l’autre bout du fil. Comme s’il ne s’était rien passé. Comme si l’accident de voiture qui lui a coûté l’amputation d’une jambe avait été un simple cauchemar. Après 12 jours à l’hôpital la Espanola, les médecins ont autorisé l’ex joueur de l’Espanyol, de Málaga et du FC Séville, à rentrer chez lui, dans sa maison située dans le quartier Las Colinas de Carrasco, à Montevideo. Il est une heure de l’après midi. Un docteur vient lui rendre visite pour suivre l’évolution du moignon et lui donner quelques conseils sur sa rééducation. « J’espère que ce sera court parce qu’il y a beaucoup de gens qui m’appellent pour savoir comment je vais. Je n’ai pas envie de les faire attendre » , affirme le joueur, avant de reprendre : « Tout le monde m’a soutenu, et ça a été fondamental. Les messages par téléphone ont été incalculables. Si j’avais créé une entreprise de téléphonie je serais devenu millionnaire ! J’ai aussi reçu plus de 780 mails, je veux répondre à tout le monde ! »
La vie de Darío Silva, 33 ans, a basculé le 24 septembre dernier. Il est 6h45 du matin quand Dario et les ex-footballeurs Dardo Pereira et Elbio Papaa rentrent chez eux après avoir passé la nuit sur la côte de Montevideo. Au volant de sa Chevrolet, lancée à 100 Km/h, un Dario Silva distrait fonce et vient s’encastrer dans un poteau téléphonique, qui s’effondre sur la jambe de l’Uruguayen. Sur le coup, l’infection et la fracture sont si importantes que les médecins n’ont d’autre choix que l’amputation. « Je ne sais pas ce qui est arrivé, je ne me rappelle de rien. La seule chose dont j’arrive à me souvenir, c’est moi en train de marcher dans les rues de Montevideo, et puis je me suis réveillé à l’hôpital sans ma jambe. Je ne veux pas savoir ce qu’il s’est réellement passé, ça ne m’intéresse pas » , explique Silva. Les médecins ont d’ailleurs attendu qu’il se sente mieux avant de lui annoncer la terrible nouvelle : « J’ai pleuré. Je ne voulais plus vivre. Je devais aller au baptême d’un de mes neveux, et tout d’un coup je me suis retrouvé mutilé. C’était incompréhensible. Je ne voulais pas l’accepter, c’est ce qui m’a été le plus difficile. Ma famille est alors rentrée dans ma chambre pour m’expliquer, mais je ne pouvais plus m’arrêter de pleurer. »
En sept saisons passés dans la Liga (1998-99 à l’Espanyol ; 99-03 à Málaga ; et 03-05 au FC Seville), Darío était devenu un véritable poison pour ses adversaires ainsi qu’un type difficile à gérer dans les vestiaires, toujours prêt à se bagarrer, y compris avec ses propres supporters, son entraîneur ou son président. Et son accident ne l’a pas changé pour autant : « Quand je suis parti de l’hôpital, le personnel était content. Je n’arrêtais pas de m’embrouiller avec les infirmières, les médecins, je suis resté un casse couilles » , se marre-t-il. « Je suis chanceux. Si les médecins m’avaient laissé ma jambe je ne serais plus là aujourd’hui à vous raconter mes bêtises. J’aime la vie alors je pense que les chirurgiens ont pris la décision qui s’imposait. Je reste le même, je suis bien, beaucoup mieux depuis que je suis rentré chez moi et que je peux être aux côtés de mes enfants. Quand je les vois, je dédramatise ma situation. » Ses deux enfants de 9 et 13 ans, justement, veulent suivre les pas de leur père. Dario s’esclaffe : « Il faut voir, mais j’espère qu’ils ne finiront pas comme leur père. »
Le futur… Silva cherchait une équipe pour terminer sa carrière, cela aurait pu être le Defensor Sporting Montevideo où il avait commencé étant jeune, mais ses plans ont changé : « J’ai deux offres depuis longtemps. L’une d’entre elles est de présenter une émission de sport à la télévision, et l’autre, c’est de conseiller les enfants, les former au football. » Mais au fond de lui, il avoue être séduit par l’idée de retourner chez lui à Treinta y Tres, au nord de Montevideo, pour consacrer son temps à l’élevage des chevaux arabes qu’il possède. Le football, néanmoins, est dans son sang. Il a même pensé devenir entraîneur : « J’ai toujours voulu démontrer sur un terrain ce que je valais, et j’ai tout fait pour ça. J’ai laissé mon cœur sur le terrain pour tous les clubs dans lesquels j’ai évolué… C’est un privilège que les gens s’intéressent à moi aujourd’hui. Non pas au footballeur mais à ma personne. Je suis heureux. » Même ses ennemis lui ont rendu hommage. Les supporters du Nacional Montevideo ont même oublié un temps leur querelle avec Penarol, où Dario a joué, pour lui rendre hommage avec une pancarte géante lors du match de Copa Sudamericana disputé contre Boca Juniors : ‘Fuerza Darío’. Les équipes de la Liga lui ont également exprimé leur soutien en lui envoyant bon nombre de messages. Maradona en personne l’a réconforté ; El Pibe avait demandé son numéro à son entourage : « Mon ami, nous avons encore perdu un match, mais il faut continuer à jouer parce que le chemin est encore long. » Il n’en fallait pas plus pour émouvoir Dario : « Je suis fier que des grands champions se rappellent de moi. Je n’en attendais pas autant. Maradona m’a appelé, Mazurkiewicz [ex joueur de Peñarol et de la sélection uruguayenne] est venu me voir. Roberto Carlos et Ayala m’ont parlé aussi. C’est incroyable ! »
Dans un mois, il se déplacera à Bologne pour se rendre dans l’une des meilleures fabriques de prothèses du monde. Un pas en avant pour celui qui avoue ne pas avoir changé : « Ma vie quotidienne n’a pas changé. Malgré ce qui m’est arrivé je reste le même blagueur, celui qui aime faire des farces aux autres. »
Juan Morenilla – EL PAÍS – 09-10-2006
Traduit par Javier Prieto Santos
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