Cruyff et Van Basten viennent récurer l’Ajax…

La scène se passe au début des années 2000, au siège de l’Ajax. Contacté par les dirigeants de l’institution amstellodamoise pour l’associer à leur nouvelle politique, Johan Cruyff, qui souhaite aider son club de cœur, débarque aussitôt à Amsterdam.

Au cours d’un entretien en tête à tête avec un des dirigeants, il découvre, médusé, les futurs projets bassement mercantiles de son club de toujours : on lui parle investissements, profits, rentabilité de l’image de l’Ajax. Et puis surtout, la formation légendaire des jeunes, orientée ouvertement vers la vente : les meilleurs jeunes joueurs seraient régulièrement destinés à être transférés rapidos, notamment ceux issus de la filière africaine basée au Ghana et au Nigeria (remember Babangida, Oliseh, Kanu).

Johan 1er a compris : on veut se servir de lui pour être caution prestigieuse du nouvel Ajax 100 % bizness…En guise de réponse, il dégaine son portable, dégoûté, et réserve une place sur le premier vol, direction Catalogne. Son passage au siège de l’Ajax a duré à peine deux heures…

Tout ça pour dire que Johan Cruyff ne s’est jamais coupé de l’Ajax, qu’il avait d’ailleurs drivé en tant que jeune coach au succès européen (C2 1987, avec un certain Van Basten) après de longues années d’exil (Espagne, USA, et Feyenoord !).

Cruyff, architecte du Nouvel Ajax

Ce n’est donc pas étonnant qu’il ait souhaité s’investir à nouveau au service des Rouge et Blanc. Outre les « circonstances de crise » (voir plus bas), l’homme de pouvoir qu’il est bénéficie de la plus grande des latitudes pour relancer le club : il a d’ores et déjà les mains libres car le board actuel du club démissionnera collectivement à la fin de la saison.

Pour l’instant, Johan Cruyff ne sera pas “dirigeant officiel” à proprement parler. Plutôt un initiateur de projet, un catalyseur : « Je ne serai pas dans une commission, je ne serai pas entraîneur, je ne serai pas directeur et je ne serai pas président. Je vais dire quelle forme d’organisation est la meilleure, et après, mon rôle sera terminé. On m’a demandé : ‘Choisis la meilleure forme’. Je suis donc responsable de la prochaine organisation qui sera mise en place. J’ai bien un plan, mais je ne vais rien dévoiler encore » , a-t-il dit à la TV néerlandaise, jeudi dernier.

Dans la foulée, Marco Van Basten (contacté puis convaincu par Cruyff) s’est engagé en tant que coach. Marco sera accompagné de ses deux adjoints en sélection, John Van’t Schip et Rob Witschge (deux anciens de la Maison, eux aussi…).

Voilà. Johan et Marco sont de retour au Temple. Mais, comment en est-on arrivé à cette divine surprise ? Il faut commencer par le commencement, c’est à dire le contexte actuel de l’Ajax. Pas terrible…Accrochez-vous !

Les sept péchés de l’Ajax

1 – A huit journées de la fin, les Ajacides viennent très certainement ces dernières semaines de perdre à nouveau le championnat. Deuxièmes, mais distancés de 9 points par le PSV, leader de l’Eredivisie (L1 locale). Malgré quelques victoires, deux nuls et deux défaites (dont une à l’ArenA, 0-2 face à Eindhoven) ont hypothéqué les chances de remporter ce championnat qu’ils n’ont pas gagné depuis 2004. Un bail…

2 – Le bilan européen est honteux. Torchés par le Slavia Prague en août, au 3ème tour préliminaire de C1 (0-1 et 1-2) puis sacqués par le Dinamo Zagreb en septembre au 1er tour de la C3 (1-0 et 2-3 à dom).

3 – Saignée continue des meilleurs joueurs à l’intersaison. L’excellent Sneijder (23 ans), parti au Real pour 27M d’Euros, puis l’une des perles du foot batave, l’attaquant Ryan Babel (20 ans, champion d’Europe Espoirs), parti chez Lily Pool et enfin le milieu droit belge Tom de Mul (21 ans), parti au FC Séville. Rappelons les départs antérieurs jamais vraiment compensés de cadors tels Ibrahimovic, Van der Vaart, Chivu, Galasek, Nigel de Jong.

4 – En octobre dernier, départ surprise du coach Henk ten Cate à Chelsea, parti épauler le nouveau venu Avram Grant ! L’efficace ten Cate est remplacé par le limité Adrie Koster, plus intérimaire qu’autre chose.

5 – Klaas-Jan Huntelaar, toujours annoncé partant et qui peine à parvenir au top niveau international qu’on lui prédisait, est actuellement le seul Hollandais parmi les 9 attaquants qui figurent dans l’effectif. Les 8 autres étant tous plus ou moins des « mercenaires » , en tout cas pas du tout formés au club, contrairement à la lointaine culture-maison qui a fait la réputation de l’Ajax. La cellule de recrutement, autrefois l’une des toutes meilleures du monde (si ce n’est la meilleure), s’est plantée grave ces dernières saisons en faisant venir des joueurs « moyens » .

6- Même si pas mal d’anciens et d’actuels Ajacides figurent dans l’équipe des Pays-Bas (Van der Sar, Van der Vaart, Sneijder, Babel,…), on y trouve moins qu’avant cette prédominance des Lanciers en sélection.

7- Le club traverse une crise culturelle tactique. En gros, la remise en cause du traditionnel et légendaire 4-3-3 par le coach Dany Blind, qui a institué le 4-4-2 en 2005, a perturbé quelque peu la continuité de cette identité propre des Amstellodamois. Le retour des quatre Anciens (Cruyff, Van Basten, Van’t Schip et Witschge) annonce très certainement un come-back du système-maison, ou du moins à des schémas de jeu qui s’en rapprochent méchamment…

L’Europe, un vieux souvenir

Voilà. Si on y ajoute des problèmes financiers (baisse du cours de l’action, faut-il que le club soit encore coté en Bourse ou non ? Etc.), on a un tableau inquiétant du club hollandais N° 1 qui illustre également la mauvaise passe du foot de club des Pays-Bas (aucun club en 8èmes de C1 et le PSV représentant unique en C3, contre 3 anglais et 4 allemands). Même si de nombreux expatriés brillent dans les plus grands clubs continentaux.

Aujourd’hui, l’Ajax vit un autre échec sportif terrible : l’absence durant la décennie 2000 d’une nouvelle génération dorée qui dure et qui est titrée au niveau européen. Ce serait pour l’instant une première dans l’histoire du club depuis le Grand Ajax de Rinus Michels, qui s’est révélé à la fin des années 60 avec une finale de C1 perdue contre le Milan en 1969 (génération Cruyff, Swart, Keizer). La suite a toujours été brillante, décennie après décennie.

Années 70 : 3 C1 gagnées en 1971-72-73 (génération Cruyff, toujours, plus Krol, Rep, Neeskens).

Années 80 : victoire de la C2 en 1987 (génération Van Basten et Rijkaard).

Années 90 : victoires en C1 et en Intercontinentale 1995 (génération de fou : Van der Sar, Seedorf, Davids, Overmars, Litmanen, Kluivert, les frères De Boer…).

Même si la décennie 2000 n’est pas encore achevée, on file quand même tout droit vers le zéro pointé en finales européennes. C’est ce prestige perdu après lequel court l’Ajax : sans succès européens (ou du moins, sans participations plus régulières et brillantes en C1 comme ce quart de finale 2003 contre Milan, 0-0 puis 2-3), le club perd de son attractivité (formation et recrutement), de son rayonnement planétaire jamais démenti mais étiolé et surtout de moyens financiers plus conséquents offerts par la C1.

On comprend dès lors pourquoi les dirigeants actuels ont décidé d’en appeler aux deux sauveurs de la Patrie en danger et d’offrir leur démission, geste fort qui prévient d’avance toute immixtion dans la nouvelle gestion bicéphale Cruyff-Van Basten. On compte sur leur charisme et leur prestige immenses pour refaire de l’Ajax un grand d’Europe qu’il n’est plus.

The new Ajax is born ? Time will tell…

PS : Actuel ajacide, Edgar “Pitbull” Davis raccrochera à la fin de la saison. Il s’occupera de la formation des jeunes du club (il y croisera Franck De Boer !). Petit détail : Davids déteste Van Basten…Non retenu pour le Mondial 2006 par Marco, Edgar lui avait écrit une lettre ouverte, via la presse, dans laquelle il qualifiait son sélectionneur de personnage « arrogant » .

The new FC Hollywood is born ? Time will tell…

Chérif Ghemmour