CAN ’08 : De chrysanthèmes en Chrysostome
Chrysostome Anderson Koffi Damien, footballeur béninois de son état, s'en est allé un beau jour de Cotonou pour monnayer son talent sur le Vieux Continent. Loin des grands clubs de l'élite, le défenseur central piémontais oscille depuis cinq ans entre la troisième et la cinquième division italienne...Portrait d'un Ecureuil anonyme, pétri de talent et récalcitrant aux noisettes.
Le téléphone du secrétariat de l’AS Casale n’arrête pas de sonner. Tout le monde veut en savoir plus sur le seul international de l’équipe, Damien Chrysostome. « En fait, Damien c’est son nom de famille, et Chrysostome son prénom ; et pour être vraiment précis, il s’appelle Chrysostome Anderson de son prénom, et Koffi Damien de son nom » .
Ce refrain, Zaio Sandro, secrétaire chargé des relations sportives, le peaufine depuis le début de la Coupe d’Afrique des Nations. Un brief sacrément bien rôdé que notre nouvel ami ne récite pas d’un trait. Au contraire ! Il inspire, expire, marque des temps d’arrêt. Il s’agit de raconter l’histoire d’un international béninois évoluant dans un club…de 5ème division italienne. Forcément, on se prend vite au jeu. Et on l’écoute.
Son patronyme aurait été un cauchemar pour les typographes de l’ancien temps : quatre noms propres alignés, cela donne Chrysostome Anderson Koffi Damien. Presque un roman. Notre homme vient donc de la périphérie de Cotonou, la capitale du Bénin, mesure un honnête 1m81, pèse 78 kg. Accessoirement, il joue au football sur la ligne Maginot des Ecureuils, c’est-à-dire à l’arrière toute, là où la sélection béninoise passe la majeure partie de ses matchs, particulièrement en phase finale de CAN, où elle affronte les ténors du continent.
Edmé Codjo, l’ancien séléctionneur du Bénin, ne croyait pas vraiment en Damien. Reinhard Fabisch (ex-canonnier du Borussia Dortmund dans les 70’s, ancien coach du Zimbabwe et du Kenya), nommé en décembre dernier, n’était pas du tout de cet avis. Pour le plus grand plaisir des gazettes béninoises, qui n’ont de cesse de faire les louanges de Chrysostome.
Sous l’amicale pression populaire, l’entraîneur n’hésita pas à faire appel au défenseur central de l’AS Casale (5ème niveau, l’équivalent du CFA 2). « Les instances footballistiques béninoises se sont finalement rendu compte que Damien est doté d’un gabarit hors-norme, d’un calme et d’un sérieux à toute épreuve et surtout d’une mentalité exceptionnelle. Bref, de qualités d’homme et de joueur qui font la fierté de la ville et du club de Casale. On est émus qu’il représente nos couleurs jusqu’en Afrique » s’enflamme le directeur sportif du club. « Tous les gamins du club n’ont d’yeux que pour lui » confirme Paolo Crevola, le directeur général.
A en croire l’intéressé, le talent seul ne suffit pas forcément : Dieu n’est jamais bien loin de ses prestations. Ainsi a-t-il coutume d’expliquer ses bonnes performances et ses victoires en sélection nationale par une simple ritournelle : « Les Dieux des stades étaient béninois, voilà tout » . Pratique. Il est croyant, Damien. Des rêves d’avenir dans la tête. « Il fait partie de ces joueurs à qui la vie n’a pas toujours fait de cadeaux et qui aiment le football en tant que sport et en tant que jeu » , confie ainsi Adriano Figarolo, un des docteurs de Casale. Zaio ne dit pas le contraire : « Il est toujours le premier à se mettre au travail, et il adore ça. Il ne rechigne jamais devant la besogne » .
Au vrai, cela tombe plutôt bien. Car du boulot, Damien en a plein les chaussettes. Le Bénin figure en effet dans le groupe de la mort, aux côtés du Mali, du Nigéria, et de la Côte d’Ivoire. Trois grands d’Afrique sub-saharienne dont on ne présente plus les attaquants.
Lundi dernier, les Ecureuils se sont inclinés face au Mali 1 à 0. Contre toute attente, ou presque, tant la fessée menaçait. Damy (pour les intimes ; six lettres à chaque fois, c’est long) marquait au short Frédéric Kanouté. Il a sué comme un beau diable mais a donné du fil à retordre à l’attaquant sévillan (lequel a néanmoins inscrit le but de la victoire sur un mauvais penalty).
Aux dires de tous les observateurs, il s’est révélé être l’un des meilleurs éléments de son équipe. Le tout avec l’aide de Khaled Adénon, joueur avec lequel notre homeboy s’entend comme une fleur.
Vendredi, les Ecureuils défiaient les Eléphants ivoiriens qui ne boxent pas exactement dans la même catégorie. Quatre à un pour l’équipe de Gili avec Drogba et Aruna qui ouvrent leur compteur buts. Damien sortira quelques minutes après que l’attaquant lensois eut cloturé la marque. Mauvaise soirée et élimination déjà consommée. Ce soir, la sélection béninoise paradera une dernière fois sur le sol ghanéen avant de s’en retourner. Chrysostome fera la connaissance de Yakubu, la nouvelle terreur nigériane, qui sévit à Everton..
Question : que fait notre bougre au sein de l’AS Casale, modeste club de 5ème division italienne ? Zaio se vexerait presque : « Ne quitte pas, mon ami Duvernet-Coppola, je te passe le directeur général. Il va te raconter un peu l’histoire du Casale » .
L’Italien adore raconter des histoires : « Le football est né ici » , commence Paolo, avec une voix de Père Castor. Il fait ça plutôt bien. Forcément, on se prend vite au jeu. Alors le Paolo, on l’écoute.
Et on apprend que l’AS Casale fut la première équipe italienne à battre une équipe professionnelle anglaise. C’était Reading, en mai 1913. On apprend aussi que l’AS Casale est la seule équipe à porter toujours le même maillot : un maillot noir, avec une étoile blanche. Il y a comme quelque chose de mystique dans ce paletot. « Chrysostome adore ce maillot, comme tous ceux qui l’ont porté. En juin, son contrat prendra fin. N’étant pas Européen, il devra sûrement quitter l’Italie » . Le tout après avoir goûté pendant quatre saisons aux joies du football à Cittadella (C1) et la saison passée à Cuneo (C2).
À mi-voix, Zaio nous confie qu’un club de première division israélienne serait déjà sur le coup…Puis hilare, il confesse : « Ce n’est pas tout, mais faut que je file ; y’a du monde à la maison ce soir » . Normal, les Ecureuils jouent. Ce soir, ils seront portés par tout un peuple. Et par les 36 000 âmes de Casale, petite bourgade du Piémont, dans l’Italie Nord-Occidentale.
Lucas Duvernet-Coppola
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