Battre la Juve et mourir
Dimanche dernier, Mchedlidze Levan a offert la victoire au Palermo sur la pelouse de la Juve en marquant le deuxième but de son équipe. Une première depuis 1962. Parfaitement inconnu jusque-là, ce Géorgien de dix-huit ans est entré dans l'histoire du football sicilien et jouit soudainement d'une certaine notoriété. Décryptage.
C’était dimanche dernier, à Turin, un peu avant 17h00. Un parfait inconnu, maillot rose floqué 99 sur les épaules, s’en est allé tromper le meilleur gardien du monde du pied gauche. Comme ça, l’air de rien, il a fait chuté une Vieille Dame et a offert la victoire à son équipe en inscrivant le deuxième but de son équipe à la 81ème minute de jeu.
Sans vraiment le savoir, il est entré hier dans l’histoire de son club, le Palermo Calcio. Cela faisait 46 ans que les Siciliens ne s’étaient plus imposés sur le terrain de la Juventus. La dernière – et unique fois – remonte au 28 février 1962. Une victoire 4-2, et quelques photos en noir et blanc dans les couloirs du siège du club pour témoigner de ce glorieux exploit. Il était d’ailleurs une ritournelle largement répandue chez la tifoseria palermitaine que de penser mourir sans voir le Palermo gagner à Turin ; et quand on entendait les anciens raconter, on frissonnait.
Le héros a un nom : Mchedlidze Levan. Il a un âge, aussi : 18 printemps et demi. Et il est Géorgien. Auparavant, il n’avait gambadé que quinze minutes contre le Napoli. Autant le dire tout de suite : c’était le premier vrai match de notre homme en Italie. Forcément, les compliments défilent depuis le début de la semaine. Zamparini, son président : « Il deviendra l’un des meilleurs avant-centres du football européen » . Zamparini le fou, Zamparini le sage, l’un des rares à n’avoir pas découvert le joueur dimanche dernier. Au point d’avoir déboursé 6,2 millions d’Euros pour acheter le Géorgien à l’Empoli cet été, dans l’indifférence générale.
Drôle d’histoire que celle de Mchedlidze Levan : en 2006, après avoir fait forte impression avec les moins de 19 ans géorgiens, il débarque donc en Toscane, tout en étant courtisé dans le même temps par le Bayern Münich. Ajoutez des blessures à répétition et des problèmes bureaucratiques du fait de sa nationalité et vous obtiendrez le total de ses matchs disputés avec Empoli. Zéro.
Seulement voilà, Klaus Toppmöller, alors sélectionneur de la Géorgie, l’observe de loin et décide de le sélectionner pour disputer les matchs de qualifications pour l’Euro 2008. Une apparition contre l’Italie et un but contre l’Ecosse plus tard, Levan rejoint Palerme. C’était le 30 août dernier, sur le site officiel du club. Une brève annonçait la signature d’un « espoir du football européen » . On attendait de voir, on a vu.
Personne n’est vraiment capable de définir le profil de jeu de Levan et pour cause, personne ne l’a vraiment vu jouer. Seulement voilà, rares sont ceux qui peuvent se vanter d’inscrire des buts décisifs contre une institution du football transalpin. Et c’est un théorème largement répandu de l’autre côté des Alpes : marquer un but à la Juventus est un raccourci direct pour la gloire, surtout lorsque ledit but offre une victoire derrière laquelle on courait depuis 46 piges. Ce que l’on sait, c’est que son ancien entraîneur à Empoli, Gigi Cagni, le surnommait l’Ibrahimovic géorgien, qu’il mesure 1m87 et qu’il pèse 83 kilos.
On sait aussi qu’il y a vingt jours, Zamparini déclarait dans la presse que Levan ne pourrait pas rejouer avant deux mois (sic), ce que confirmait le docteur du club. Hector Cuper, nouveau sélectionneur géorgien, souhaitait quant à lui le faire jouer lors des qualifications pour le Mondial 2010. C’était finalement Ballardini, Mister Palermitain, qui affirmait que Levan était « ok » . Le grand public était un peu largué devant tant de déclarations contradictoires.
Mais au diable le grand public : contre la Juve, Levan est rentré à la quinzième minute de la seconde période. Maillot floqué “M. Levan”, numéro 99 dans le dos, et chaussures rouges. Une superstition particulière ? « Boh, pas vraiment » , répondait l’intéressé après le match.
Lors de la prochaine journée, le Palermo se déplace à Catane. Le genre de match qu’il est de bon ton de gagner. Levan a déclaré qu’il allait s’entraîner tranquillement dans l’optique de « marquer un autre but pour les tifosi » , qui n’en demandaient pas tant : ils peuvent désormais mourir en paix.
Par Lucas Duvernet-Coppola
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