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Babelsberg, puni pour avoir dit non

Par Julien Duez
Babelsberg, puni pour avoir dit non

Rien ne prédestinait le SV Babelsberg 03, modeste pensionnaire de D4 allemande, à se retrouver sous le feu des projecteurs. Et pourtant, en refusant de payer une amende infligée par la ligue régionale à la suite des chants antinazis, ce club de la région du Brandebourg s’est assuré un soutien populaire à travers tout le pays et même à l’étranger.

« Il y a des Länder dans lesquels il se passe quelque chose. Il y a des Länder dans lesquels il se passe vraiment quelque chose. Et il y a le Brandebourg. » Cette citation extraite d’une chanson du comédien allemand Rainald Grebe illustre bien la triste réputation dont jouit la province qui entoure Berlin. Celle d’une région où il ne se passe jamais rien, où la seule source de fierté se résume à des cornichons marinés avec des graines de moutarde, rendus célèbres par le film Good Bye Lenin. Et pourtant, depuis le début du mois, elle fait la une de tous les journaux pour un petit derby de D4 qui s’est tenu au printemps dernier et a davantage fait parler de lui pour un combat politique entre supporters locaux et visiteurs que pour le score final. Le 28 avril 2017, des supporters de l’Energie Cottbus proféraient des chants racistes et antisémites à l’encontre de leurs rivaux du SV Babelsberg, dont les fans ont répondu par des slogans antifas.

Deux poids, deux mesures

Personne ou presque n’a retenu la victoire 2-1 de Babelsberg sur l’Energie Cottbus. Mais les jours qui suivirent ont remis sur le tapis une relation conflictuelle qui « n’a pas de point de départ et pas de fin en soi » , comme la décrit Rico Noack, auteur d’un ouvrage spécialisé sur le club de Potsdam. Quelques mois plus tard, la Nordostdeutche Fußballverband (NOFV, la ligue qui gère les championnats du Nord-Est de l’Allemagne) rend son verdict : Cottbus est condamné à 10 000 euros d’amende pour usage d’engins pyrotechniques. Nulle part, il n’est fait mention des saluts hitlériens et des chants racistes et antisémites, pourtant avérés par les images de la télévision. En face, Babelsberg écope de 7000 euros d’amende, car un supporter a répondu aux provocations par un « Dehors les porcs nazis ! » La réponse de la direction ne se fait pas attendre. « Nous refusons de payer l’amende, clame Thoralf Höntze, porte-parole du club. Ce serait un signal terrible si une équipe venait à être punie de la sorte pour de la légitime défense verbale. »

En deuxième instance, la NOFV tente bien de rattraper les choses en ajoutant une sanction de 5000 euros à l’encontre de Cottbus, correspondant aux chants incriminés. Mais l’Energie fait appel de cette décision pour vice de procédure… et gagne. Dans le même temps, Babelsberg est condamné à 4500 euros d’amende supplémentaire pour troubles à l’ordre public. La direction ne bouge pas d’un pouce : pas question de payer.

Match retour entre timidité et hypocrisie

Et tant pis si la NOFV menace le club de lui retirer sa licence et de le rétrograder administrativement en D5. Au SV Babelsberg, les convictions politiques sont aussi importantes que les résultats sportifs. « L’équipe et son public se décrivent comme antifascistes et antiracistes. Ce n’est pas une image de marque, mais une évidence, et ce, depuis la Réunification, résume Thoralf Höntze. Je sais que beaucoup tiquent lorsqu’ils entendent le terme « antifascisme. » Nous représentons le drapeau rouge pour beaucoup de fans d’autres équipes. Mais des convictions, on en a ou on n’en a pas. Nous sommes convaincus que si les fascistes et leur folle image du monde sont inacceptables, on se doit de clairement se positionner contre et agir en conséquence. » En attendant une nouvelle rencontre au mois de mars, Thoralf Höntze explique que son club et la NOFV ont déclaré un « cessez-le-feu » et se dit confiant quant à l’issue finale du dossier. En d’autres termes, on espère du côté de Potsdam la levée des amendes pour propos antifascistes, faute de quoi, le club a menacé de porter l’affaire au civil.

Au mois de novembre dernier, lors du derby (télévisé) entre le Lok et le Chemie Leipzig, des chants à caractère raciste avaient également été entendus et enregistrés. Mais là encore, la ligue régionale n’avait condamné les deux clubs qu’à des amendes sanctionnant l’usage d’engins pyrotechniques, arguant que les paroles incriminées n’étaient « pas distinctement audibles » . Pourquoi la NOFV – qui n’a pas donné suite à nos sollicitations – est-elle si réticente à condamner des faits avérés de racisme en tribune ? Une telle décision irait pourtant dans la direction prônée par la Fédération nationale (DFB). Après les incidents survenus en tribune lors du match Tchéquie-Allemagne en septembre dernier, son président, Reinhard Grindel, avait déclaré que « les dirigeants du football allemand ne toléreront jamais les slogans fascistes, racistes, insultants ou homophobes. Ensemble, l’équipe nationale, les fans et la DFB, nous devons nous opposer à ces fauteurs de troubles. »

« Le mot « timidité » serait bien choisi, analyse Thoralf Höntze. Mais je préfère être honnête : je ne connais ni les motivations ni les structures de la Fédération. Je ne peux donc pas expliquer cette prudence. » Et le porte-parole d’expliquer pourquoi la DFB ne s’est pas ouvertement positionnée dans le débat : « Son règlement général – et je peux le comprendre – accorde un certain degré d’autonomie aux ligues régionales. Mais il y a tout de même un point positif : la Fédération allemande s’est déclarée sceptique lorsque l’Energie Cottbus a gagné son appel. Je le vois comme un signal clair. » Une goutte de soutien dans un océan de solitude.

Semer les graines de la solidarité

Au mois de septembre, le SV Babelsberg a décidé de faire ce qu’il sait faire de mieux en dehors des terrains : afficher clairement ses positions politiques en lançant une campagne intitulé « Nazis, hors des stades ! » Près de six mois plus tard, Thoralf Höntze se dit satisfait du premier bilan : « Nous avons 200 nouveaux membres, vendu des centaines de sacs, de tote-bags et de T-shirts et reçu de nombreux dons. Les bénéfices doivent servir à créer une nouvelle dynamique. Avec nos partenaires, nous voulons soutenir des petites équipes dans leur combat quotidien contre le racisme et les nazis. Et en parallèle à ce soutien, il nous apparaît important de développer un réseau au sein duquel les équipes concernées échangent et s’épaulent mutuellement. Dit autrement, nous voulons prolonger la solidarité. » La campagne a tout de même rencontré quelques réticents, parfois même d’origine inattendue. Au mois d’octobre par exemple, la police a sommé les joueurs du Roter Stern Leipzig, un club d’extrême gauche qui évolue en D7, de retirer lesdits T-shirts qu’ils portaient à l’échauffement. Une « provocation » pour les forces de l’ordre.

Mais le SV Babelsberg a aussi reçu de nombreuses marques de soutien. Et pas seulement de Sankt-Pauli, son pendant idéologique en Allemagne de l’Ouest. Des clubs de Bundesliga ont réaffirmé leurs valeurs antinazies, à travers des communiqués officiels ou des banderoles de leurs ultras. Dortmund, Brême, le Bayern ne sont que quelques exemples. La solidarité a même traversé les frontières, le club de Potsdam étant évoqué lors de matchs du Betis Séville ou du FC United of Manchester. Dans la presse, l’affaire a fait grand bruit jusqu’aux États-Unis, en Israël et même en Nouvelle-Zélande. « Nous ne nous attendions pas à une telle vague de soutien, conclut Thoralf Höntze. Un journaliste écrivait que notre conflit avec la NOFV est très évocateur pour de nombreux fans en Allemagne, car il fait écho à plusieurs précédents d’actions de solidarité à différentes échelles : sociétale, politique et sportive. »

« La relation [entre Babelsberg et Cottbus] n’a pas de point de départ et pas de fin en soi. Jusqu’à ce que la mort finisse par nous séparer. Ou la NOFV. » Cette phrase, Rico Noack l’a écrite en 2015. Qui aurait cru que l’avenir puisse lui donner si vite raison ?

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Par Julien Duez

Propos de Thoralf Höntze recueillis par JD

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