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Aux origines du mythe de la Zone Cesarini

Par Éric Maggiori
Aux origines du mythe de la Zone Cesarini

En Italie, quand un but est marqué en toute fin de match, on parle d’un but inscrit en « Zone Cesarini ». De quoi s’agit-il ? D’où vient l’origine de ce terme ? Les réponses au début du siècle dernier.

Quand un but est inscrit dans les arrêts de jeu, un nom revient régulièrement. Celui de Sir Alex Ferguson, et de son célèbre « Fergie Time ». En effet, à une certaine époque, le Manchester United de Sir Alex avait pris l’habitude de régulièrement marquer des buts décisifs dans le temps additionnel. Il n’en fallait pas plus pour que les médias anglais octroient à ces instants le nom du coach écossais. Dans les années 2010, le Napoli de Walter Mazzarri a lui aussi été un adepte des buts dans les arrêts de jeu, la presse italienne se faisant un plaisir de parler de « Mazzarri Time ». Mais bien avant Mazzarri, bien avant Fergie, un autre nom chantant avec la lettre « i » avait fait des dernières minutes sa chose. Renato Cesarini. À tel point qu’en Italie, pendant des décennies et aujourd’hui encore, le terme « Zona Cesarini » avait quasiment remplacé celui de « temps additionnel ». Et à force de parler de « Zona Cesarini » à tout bout de champ, on en a oublié qui en était à l’origine.

De l’Italie à l’Argentine, de l’Argentine à l’Italie

Renato Cesarini, donc. Un artiste du ballon né le 11 avril 1906 à Senigallia, dans la région des Marches. Deux ans après sa naissance, ses parents décident de quitter l’Italie pour aller s’installer à Buenos Aires. Le petit Renato, qui ne semble pas franchement intéressé par les études, se familiarise rapidement avec ce nouveau jeu venu d’Angleterre qu’est le football. Il fait ses gammes en Argentine, notamment à Chacarita Juniors, club de Buenos Aires. Milieu de terrain offensif très doué techniquement, il va, à 23 ans, faire le chemin inverse de celui de ses parents, en rentrant en Italie. La Juve le recrute, et Cesarini va devenir l’un des piliers de la célèbre Juve du quinquennat d’or, celle qui remporte cinq Scudetti de suite de 1931 à 1935. Après six saisons à Turin, il rentrera en Argentine, toujours à Chacarita Juniors, puis terminera sa carrière en 1937 à River Plate où il formera une sacrée attaque aux côtés de Peucelle, Bernabè Ferreyra, Moreno et Pedernera. Voilà pour le curriculum vitae. Maintenant, reste à savoir pourquoi le nom de cet Italo-Argentin est associé depuis près d’un siècle à des buts inscrits dans les arrêts de jeu.

La réponse, c’est l’intéressé lui-même qui l’a contée dans les colonnes du Calcio Illustrato, en 1949. « Encore aujourd’hui, et peut-être encore pour très longtemps, on entend parler de la « Zona Cesarini », écrivait-il de façon quasiment prophétique. De quoi s’agit-il ? Tout le monde le sait ! C’est cet instant final de chaque rencontre, où il est possible de résoudre le sort d’une partie équilibrée et indécise. » La légende voudrait que, lorsqu’il portait les couleurs de Chacarita Juniors, Cesarini ait inscrit plusieurs buts décisifs in extremis. Légende qu’aucun almanach ne peut confirmer, ni infirmer. À la Juve, Cesarini inscrit bien un but dans le temps additionnel contre Palerme, mais… en match amical. Puis, toujours selon la légende, il aurait récidivé en Mitropa Cup, à Budapest (après vérification, la seule fois où Cesarini a marqué à Budapest en Mitropa Cup, c’était en 1932, lors d’un Ferencváros-Juve qui s’était soldé par un 3-3, il avait planté un doublé, mais aux 30e et 65e minutes, N.D.L.R.), avant d’égaliser en toute fin de match, le 29 mars 1931, lors d’un Italie-Suisse. Mais la véritable histoire n’est pas encore écrite.

« Il faut avoir les nerfs solides »

Il n’y a même pas eu le temps de remettre le ballon dans le rond central, l’arbitre a sifflé la fin juste après le but. Les Hongrois l’avaient mauvaise, et moi, j’ai reçu les compliments de tous mes coéquipiers : la Zona Cesarini venait d’être découverte.

« Ladite « zone » qui encore aujourd’hui épouse mon nom, est née quelques mois après cet Italie-Suisse », écrivait encore Cesarini. Le 13 décembre 1931, à Turin, sur le terrain d’habitude occupé par le Torino, l’Italie affronte la forte Hongrie, pour le compte de la Coupe internationale. Le score est de 2-2, le terrain est lourd à cause des fortes pluies qui se sont abattues sur Turin, et les Italiens commencent à tirer la langue. « Il manquait quelques secondes quand je reçois le ballon. J’avais sur le dos Ferenc Kocsis, un grand type qui faisait peur (et qui n’a compté que deux sélections en équipe de Hongrie, N.D.L.R.). Ne pouvant pas avancer, j’ai passé le ballon à mon ailier Costantino. Il a avancé jusqu’à la limite de la surface et puis il a eu une seconde d’hésitation. J’ai alors eu une inspiration : je me suis jeté sur lui, et je lui ai mis un énorme coup d’épaule, comme s’il était un adversaire. Kocsis a été complètement déstabilisé par ce geste et a lâché son marquage, j’ai pu récupérer le ballon et me présenter face au gardien Ujvari. J’ai fait mine de passer le ballon à Mumo Orsi, qui arrivait à toutes enjambées sur la gauche : le gardien a anticipé, et j’ai tiré très fort de l’autre côté. Ujvari a eu le temps de plonger, de toucher le ballon, mais n’est pas parvenu à le maîtriser. 3-2 ! Il n’y a même pas eu le temps de remettre le ballon dans le rond central, l’arbitre a sifflé la fin juste après le but. Les Hongrois l’avaient mauvaise, et moi, j’ai reçu les compliments de tous mes coéquipiers : la Zona Cesarini venait d’être découverte. »

il faut une réserve d’énergie et de souffle suffisante dans les poumons pour pouvoir, au terme des 90 minutes, avoir encore la force de produire un effort décisif. C’est cet effort qui vous permettra de résoudre le match.

Et voilà comment, sur une action, Renato Cesarini a laissé son nom et son empreinte dans l’histoire. Après avoir raccroché les crampons, le natif de Senigallia est devenu entraîneur. On l’a notamment vu sur les bancs de River Plate (où il a, entre autres, été le mentor d’un tout jeune Omar Sivori) et de la Juventus. À tous ses joueurs, il a tenté d’enseigner des valeurs en accord avec le but qui l’avait rendu définitivement célèbre. « Quand je suis devenu entraîneur, j’ai toujours essayé de mettre mes joueurs en condition pour rester lucides jusqu’au coup de sifflet final. Conditions physique et mentale, et ce, même en cas de temps additionnel. Je leur disais : « Tous les joueurs peuvent marquer à la dernière seconde, mais pour ce, il faut que vous ayez certaines qualités. » Il faut, d’abord, avoir les nerfs solides, pour pouvoir garder son calme. Ensuite, il faut une réserve d’énergie et de souffle suffisante dans les poumons pour pouvoir, au terme des 90 minutes, avoir encore la force de produire un effort décisif. C’est cet effort qui vous permettra de résoudre le match. » Triste ironie de l’histoire, Cesarini est décédé en 1969, à 63 ans, d’une… embolie pulmonaire. Mais sa mémoire continue encore aujourd’hui d’être honorée. D’abord par la Zona Cesarini, bien sûr, mais aussi par un prix décerné en fin de saison depuis 2016. Un prix qui récompense les joueurs de Serie A ayant marqué les buts décisifs les plus « Cesarini » de la saison. Les lauréats 2020 se nomment Dries Mertens (Sampdoria-Napoli 2-4, 98e minute), Felipe Caicedo (Cagliari-Lazio 1-2, 97e) et Patrick Cutrone (Fiorentina-Verona 1-1, 96e). Seront-ils capables de nous raconter leur but décisif avec autant de précision et de poésie que l’a fait Renato Cesarini ?

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