Argentine : Maradona, évidemment…
Monsieur Arioul nous l'avait annoncé il y a quelques jours : Diego Armando Maradona serait très bientôt nommé sélectionneur de l'Argentine. C'est fait ! Une bonne raison d'aller l'interviewer pour qu'il nous raconte la chose. Et comme d'habitude, c'est du lourd. C'est parti !
-Bonjour, monsieur Arioul ! Content de vous retrouver. Alors, voilà, c’est fait : Diego Maradona est sélectionneur, comme vous nous l’annonciez…
-Oui, oui, dès la démission d’Alfio Basile, la piste Maradona était vraiment sérieuse. Maradona avait fait publiquement acte de candidature. D’autres postulants étaient pressentis : Miguel Angel Russo, coach de San Lorenzo, Diego Simeone, coach de River Plate, Sergio Batista, le coach des jeunes champions olympiques de Pékin et puis Carlos Bianchi, encore une fois…
– Comment ça, encore une fois ?
– Carlos Bianchi, c’est l’Arlésienne du foot argentin. C’est l’entraîneur le plus titré du pays en clubs. Il a tout gagné, notamment avec Boca Juniors. Depuis au moins 10 ans, on s’attend à le voir débarquer à la tête de la sélection, et mystérieusement, ça ne se fait pas. Il décline toujours le poste. On raconte qu’il ne supporterait pas la pression du poste le plus exposé au monde et que son image Boca Juniors trop marquée déplairait à trop de supporters… Il y a encore quelques années, il avait failli accepter mais les graves problèmes de santé de sa femme lui ont fait mettre sa carrière de coach entre parenthèses. Malgré ses échecs en Europe à l’AS Roma et à l’Atletico Madrid en 2006, Bianchi reste un entraîneur très respecté en Argentine. Qui sait ? Il se décidera peut-être un jour… Carlos Bianchi, c’est l’éternel recours.
– L’éternel retour ?
– Non. J’ai dit « l’éternel recours » … L’éternel retour, c’est très précisément Maradona. Vis, meurs et ressuscite… Comme le Christ. Maradona, c’est à la fois Dieu, le fils de Dieu, le prophète. N’oubliez pas qu’en Argentine, les héros du peuple ne meurent jamais : Evita Peron, Carlos Gardel ou d’une certaine façon Che Guevara, mêmes disparus, ils sont encore vivants. Maradona, c’est bien le mythe de l’éternel retour argentin : il revient comme Juan Peron, chassé du pouvoir puis revenu sous les acclamations populaires… C’était quasiment inévitable que Maradona devienne un jour sélectionneur : c’est dans la droite ligne de son destin incroyable… Beaucoup pensent aussi que Maradona ne vivra pas vieux, alors c’était peut-être le moment. Le retour de Maradona, c’est surtout le retour de Bilardo, le héros de 1986.
– Bilardo revient aussi ?
– Au poste de manager général, ou de “secrétaire sportif”, oui…Il faut bien “encadrer” Maradona avec un vrai technicien expérimenté, non ?
– Diego n’est pas un vrai technicien expérimenté ?
– Je n’ai pas dit ça. Maradona a fait deux essais infructueux dans des petits clubs de seconde zone, sans grands résultats mais sans grande passion, non plus. En 1994, il a coaché le Mandiyu de Corrientes d’octobre à décembre et l’année d’après, le Racing Club de Avellaneda de mai à septembre 1995. C’était dans les années les plus down de sa carrière, avant un come back foireux à Boca en tant que joueur. Maradona accuse donc aujourd’hui un manque d’expérience évident. Ceci dit, avec lui tout peut arriver : l’équipe d’argentine est très bonne et devrait normalement se qualifier pour la prochaine coupe du monde. Les sélectionnés le vénèrent et le connaissent bien, vu qu’il suit la plupart des matchs de l’Albiceleste dans les tribunes… Maradona est resté très charismatique auprès d’eux. Qui sait s’ils ne feront pas comme ses anciens coéquipiers en sélection qui le touchaient avant d’entrer sur le terrain pour se sentir plus forts… Sinon, Maradona suit le foot, assiste aux grands événements (Coupes du Monde, JO, foot argentin, etc….) : il n’est pas du tout largué. Mais que ses joueurs fassent gaffe à l’hymne national. Maradona est ultra patriotique : les joueurs devront chanter à vive voix. Maradona est un winner chauvin, ne l’oubliez pas.
– Revenons à Bilardo, s’il vous plaît…
– Sans doute une sage décision que de l’avoir rappelé. Maradona et Bilardo sont restés proches et s’estiment mutuellement malgré le clash de Séville en 1992. De 1983 à 1990, Maradona joueur et Bilardo sélectionneur ont vécu une relation quasi fusionnelle : ils faisaient l’équipe, préparaient méticuleusement les compétitions et cherchaient sans cesse à perfectionner la Seleccion… Ils passaient des heures, des nuits entières à parler foot, à analyser les différents styles de jeu. Contrairement à son image de dilettante festif, Maradona pensait foot à 100 %, 24 heures sur 24 : Bilardo est formel là-dessus. Si les deux hommes parviennent à s’entendre à nouveau, l’Argentine pourrait enfin réaliser la promesse de gagner à nouveau la coupe du monde.
– Et qui d’autre pour étoffer le staff des Albiceleste ?
– On parle justement de Sergio Batista et de José Luis Brown. En fait deux anciens de 1986… Brown avait marqué le premier but argentin contre la RFA en finale du Mundial. C’est le souhait de Maradona de s’entourer de certains anciens d’Argentine 86…
– … Le genre d’initiative qui plairait à Dugarry !
– M’oui… Je poursuis. Maradona aurait contacté l’un de ses plus proches amis : Fernando Signorini, son préparateur personnel de 1983 et 1994 qui serait donc le préparateur physique de la sélection.
– Et voilà Maradona qui rebondit à nouveau !
– A 48 ans, Maradona vient d’atteindre le seuil critique de la star en perte de vitesse. Il doit continuer à gérer cette carrière de star internationale, alors le poste de sélectionneur est un sacré coup d’éclat médiatique de portée mondiale. Il fait de moins en moins recette : il vit de ses shows TV, de ses exhibitions de Show Ball (foot indoor), de contrats pubs…et d’interviews rémunérées. Même s’il est resté extrêmement populaire en Argentine et dans le monde entier, son étoile était sérieusement en train de pâlir. Pensez au phénomène Messi : le petit Lionel a éclipsé en partie le mythe Maradona.
– Maradona n’aime pas trop Messi, non ? Il lui préfère le Kun…
– Kun Agüero, oui, gendre de Maradona… Il ne faut pas exagérer. L’Argentine a besoin des deux, Agüero et Messi. Maradona le sait et les fera jouer. Ceci dit, Maradona n’a pas directement critiqué Messi : il critiquait surtout le système de jeu de la Seleccion, trop dépendante d’un seul joueur, Messi en l’occurrence. Ce en quoi il n’avait pas tout à fait tort. Maintenant, que Maradona ait une préférence pour le Kun, c’est évident. Mais tant que ça n’interfèrera pas dans le système de jeu argentin et dans ses choix tactiques, il n’y a rien à craindre. Bilardo est aussi là pour ça…
– C’est marrant ces histoires de gendre et de beau-père. Il se passe la même chose en sélection hollandaise avec Mark Van Bommel, revenu chez les Oranje, entre autres parce que le sélectionneur est son beau père, Bert Van Marwijk…
-Votre allusion aux Pays-Bas est intéressante, à plus d’un titre. Maradona aura la mission sacrée de réussir là où tous les anciens sélectionneurs de l’Argentine ont échoué : Passarella, Bielsa puis Pekerman. Comme pour les Pays-Bas, l’Argentine a souvent disposé d’équipes nationales fantastiques qui se sont toutes ramassées dans les grandes compétitions internationales. Maradona a devant lui un sacré défi à relever… Sinon, depuis que Maradona est devenu sélectionneur, Johan Cruyff restera le dernier monstre sacré du foot qui ne sera pas devenu entraîneur national, exception faite de Pelé, qui n’a jamais été intéressé par le job. Dommage pour le foot mondial : on aurait aimé que Cruyff coache les Oranje, comme il a failli le faire à l’Euro 92 et au Mondial US. Qui sait si la grande Hollande de 94 n’aurait pas gagné sa première Coupe du Monde…
– Un mot sur Grondona, le président de la fédé argentine qui a appelé Diego ?
– Président inamovible et très affairiste de la Fédération argentine, Grondona est un ennemi intime de Maradona. Ce dernier a toujours dénoncé ses magouilles et ses corruptions répétées. L’origine de la haine remonte à la Coupe du monde US en 1994 : Maradona a toujours reproché à Grondona de l’avoir laissé tomber dans l’affaire de dopage à l’éphédrine qui a coûté au Pibe son exclusion de Mundial puis sa suspension de 18 mois. Maradona n’a jamais pardonné à Grondona de ne pas l’avoir soutenu contre deux autres de ses ennemis mortels : Blatter et surtout Havelange… En appelant Maradona, Grondona se refait une popularité en Argentine, où il est souvent brocardé. Grondona se lave de tous ses péchés en pactisant avec le héros du peuple. Le requin-crocodile sait se faire rusé renard : en appelant Maradona, Grondona a aussi saisi là l’occasion de se débarrasser une bonne fois pour toutes du Pibe. Sélectionneur de l’Argentine est un poste ultra exposé : si Maradona se plante, il sera discrédité et Grondona sera débarrassé d’un gêneur qui conteste toujours son pouvoir et son autorité. Et si Maradona triomphe, ça sert aussi Grondona, le parrain éternel du foot argentin qui pourra continuer à magouiller à la tête de la fédé…
– Quel est le programme de la sélection argentine ?
– Un match amical le 19 novembre en Ecosse. Puis le 11 février, France-Argentine à Marseille, où il avait failli venir du temps de l’OM de Tapie. Et puis après, c’est du sérieux avec les éliminatoires de la Coupe du Monde 2010, zone Amsud. L’Argentine est actuellement 3ème, à quand même 7 ponts de l’étonnant Paraguay. Le Brésil est second. L’Argentine jouera le 28 mars contre le Venezuela de Chavez, grand ami de Maradona. Puis le 31 mars, l’Argentine ira gagner en Bolivie…
– Pourquoi « gagner en Bolivie » ?
– On raconte que les Argentins n’ont jamais pardonné aux Boliviens d’avoir « livré » Ché Guevara aux Yankees, en 1967. Depuis, l’Argentine met un point d’honneur à toujours aller gagner à La Paz, en mémoire du Ché…
Chérif Ghemmour
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