America-Deportivo : Cali-fornication
Au pays des FARC, de la corruption, de Faustino Asprilla et de Carlos Valderrama, seul un derby est capable de retenir l'attention de toute la nation : l'America contre le Deportivo Cali. Dimanche dernier, pour la première fois depuis 5 ans, la télévision publique colombienne avait pour l'occasion décidé d'acquérir les droits du clasico, histoire de faire oublier un peu les conflits socio-politiques qui rongent le pays. Au final, les spectateurs et téléspectateurs auront eu droit à une sorte d'Apocalypse Now du football obligeant l'arbitre à arrêter le match avant son terme...
Ce n’est pas le derby le plus glamour du monde, ni même disons le franchement le plus intéressant, mais le clasico entre l’America Cali et le Deportivo Cali est sans doute l’un des matchs les plus chauds de la planète.
Dimanche dernier, les deux clubs ennemis s’affrontaient pour la 256ème fois de leur histoire. Comme d’habitude, tout est parti en vrille. Depuis quelques années, le clasico del Valle del Cauca est effectivement devenu tragiquement prévisible.
Malgré un niveau de jeu assez faible, “los Rojos” et “los Verdes” se sont une nouvelle fois distingués grâce à leurs bouillants supporters. Cette fois, ce sont les barras bravas de l’America qui ont su ambiancer de sinistre manière un match au cours duquel le Deportivo menait 0-1 à 7 minutes de la fin.
“Barons Rouges”
Tout a commencé lorsque les leaders des “Barons Rouges” ont cru apercevoir des supporters du Deportivo infiltrés dans leurs tribunes. Il apparaît plus vraisemblablement que ces hooligans version sud-américaine se sont énervés à cause de la présence – jour de fête oblige – de quelques trafiquants de drogue venus de Bogota pour profiter de la présence de nombreux clients dans les tribunes.
Malgré la dissolution du cartel de Cali, les “Barons Rouges” sont considérés comme la plus grosse organisation narcotrafiquante de supporters du monde. Aujourd’hui en prison après avoir fait assassiner Escobar, l’ancien chef du cartel de Cali et accessoirement président de l’America, Orijeula, a donc laissé un héritage assez dégueulasse à sa ville et au football colombien.
Dans une interview exclusive accordée à So Foot, son fils Fernando Rodriguez Mondragon avoue que son enfoiré de père dirigeait sans vergogne le football local dans les années 80. L’époque dorée du championnat cafetero.
Arbitres, dirigeants, joueurs, et ultras se faisaient alors ‘rincer’ de coke et d’argent, notamment par Orijuela et Escobar, qui dirigeait, lui, le Nacional Medellin. S’il est vrai que l’argent de la drogue a permis de rameuter des entraîneurs du calibre de Bilardo, il a aussi provoqué des luttes intestines au sein des clans narcotrafiquants qui ont forcément eu des répercussions sur le monde du football.
La stratégie Orijuela
Fernando Rodriguez Orijuela était ainsi fan du Deportivo Cali, alors que son oncle Miguel et son paternel dirigeaient les “Rojos”. Truands mais pas cons, ces deux-là savaient que pour attirer des stars et du public, l’émotion et la passion étaient des conditions sine qua non. Le cartel de Cali régalait donc tout le monde, y compris ses adversaires directs ; tant qu’à y être, autant créer un semblant d’intérêt pour un championnat qui au tournant des années 80 avait fait de la médiocrité son leitmotiv.
Une stratégie reprise plus tard par Tapie et Bez en France, mais qui a permis à tout le monde de comprendre pourquoi Orijuela était surnommé “le joueur d’échecs”. La rivalité entre les deux grands clubs de Cali est donc d’une certaine manière une conséquence directe de la guerre de la cocaïne.
Le président de l’America savait d’ailleurs se faire aimer de ses joueurs. Cabanas se vit ainsi offrir une villa après avoir marqué un but victorieux dans la ligne droite d’un championnat, tandis que Bilardo, coach du Deportivo Cali et de la sélection nationale, devint le propriétaire d’une merdique, mais très pratique Fiat Uno…
Conscient qu’il ne pouvait pas gagner de l’argent avec le football, Orijuela inventait tous les stratagèmes possibles et inimaginables pour faire plaisir à ses ouailles. Il fit par exemple incendier un centre commercial lui appartenant afin de toucher les indemnités de son assurance pour pouvoir payer Chepe Santacruz, un de ses joueurs. La combine fut néanmoins rapidement détectée.
Le Pape Jean-Paul II ne fut pas dupe non plus. Orijuela paya 150 gamins lors de la venue du pape polonais. Il voulait faire un gros coup marketing avec une énorme banderole sur laquelle on pouvait lire « Dieu aime les enfants, la Colombie et l’America » . Jean Paul ne prit pas la peine de s’attarder avec sa papa mobile, et passa son chemin.
Les fastes du football colombien s’arrêtèrent net quand les chefs de cartels furent assassinés ou dans le meilleur des cas placés à l’ombre – et encore incarcérés aujourd’hui.
Le match le plus truqué de l’histoire ?
Le rejeton de Don Orijuela, Fernando, aujourd’hui en liberté conditionnelle, avoue, dégoûté, que le derby de Cali est le match qui a été le plus de fois truqué lors de la présidence de son paternel. A son grand désarroi, c’est souvent l’America qui enflait “los Verdes”. Mais ce ne fut pas toujours le cas…
En 1937, les deux équipes se rencontrèrent pour la première fois. Malgré une victoire 2-1 des “Rojos”, c’est le Deportivo qui l’emporta. L’arbitre avait effectivement décidé dans les vestiaires d’annuler les deux buts des “Rojos”…Les dirigeants des “Diablos” avaient alors crié au scandale, avant de se faire exclure par la Fédération colombienne de football de toute compétition pendant un an.
Depuis, les incidents n’ont jamais cessé, même 70 ans plus tard. Club populaire par excellence, l’America Cali prend toujours autant de plaisir à ridiculiser son grand rival sur et en dehors du terrain.
Le Deportivo quant à lui n’attaque jamais le premier, mais réplique souvent très fort. La lutte des classes. La lutte tout court. Jamais un évènement sportif n’aura causé autant de dommages collatéraux que le clasico colombien. Selon le quotidien El Tiempo, 71 personnes au total auraient trouvé la mort lors des matchs America-Deportivo. 3000 arrestations, 11 viols et 19 overdoses viennent complètent ce tableau des horreurs.
Sunday Bloody Sunday
Dimanche dernier, 63 personnes ont été arrêtées. La routine. Après avoir expulsé un joueur de Cali (Valencia) et accordé un coup franc douteux ayant débouché sur le but du Deportivo, Diego Umana, l’entraîneur des “Diablos”, n’a rien trouvé de mieux que d’asséner un violent coup de coude à son homologue uruguayen du Deportivo Daniel Carreno.
Déjà très chauds, les supporters de l’America ont alors arraché les toilettes du stade Pascual Guerrero pour s’en servir comme arme blanche. Deux supporters “verdes” se trouvent d’ailleurs entre la vie et la mort après avoir reçu un violent coup de cuvette sur le bulbe.
Côté Deportivo, on y est carrément allé à la masse (mais qu’est-ce qu’elle foutait là???) sur un supporter de l’America. Là aussi, le supporter est pour ainsi dire plus mort que vivant. La seule réjouissance de la soirée a été la naissance d’Alberto, sa mère ayant accouché sur place en deux-deux, la panique l’y aidant sans doute. Il faudra par conséquent désormais inaugurer une nouvelle ligne dans le tableau de statistiques du match le plus hardcore du monde.
Par Javier Prieto Santos
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