A l’Est d’Eden

Si l’on s’amusait d’ailleurs, au vu des qualifiés et des absents de cet Euro austro-helvète de 2008 à tenir des statistiques sur les phases finales des compétitions majeures (Euro + mondiaux) depuis les origines, on serait d’abord surpris de constater que les cinq pays qui dominent les clubs aujourd’hui tiennent également le haut du pavé en sélection. L’Allemagne tout d’abord (26 phases finales, 16 Mondiaux (sur 18) et 10 Euros (sur 13) (1) ; ensuite, on trouve l’éternelle Squadra Azzurra (16 coupes du monde et 7 championnats d’Europe) ; viennent après, à égalité, l’Espagne et l’Angleterre avec 19 ronds de serviette lors des grands festins (avec 12 et 7 chacune) ; la France occupe sa place favorite, la cinquième, même si depuis vingt ans, elle triple galope à la recherche du temps perdu avec une breloque de moins (11 et 7).

Pour le reste, et notamment l’Est européen, il faudrait considérer de plus près les trois empires éclatés du Vieux Continent…L’ex-Tchécoslovaquie, l’ancienne Yougoslavie et la défunte URSS. Voire. Si l’on s’amusait à attribuer, ce qui respecterait une certaine logique, les jetons de présence des territoires engloutis aux jeunes républiques qui leur ont succédé, la donne serait légèrement différente. Ensemble, la Yougoslavie d’avant-guerre, celle de Tito, et la Croatie, compilent dix-sept tournois finaux ; la République tchèque et l’ex-Reprezentace cumulent quinze phases finales tout comme l’antique URSS et sa “banlieue” la plus importante, la Russie. On pourra toujours discuter ces “filiations” mais personne ne peut raisonnablement nier l’importance et l’impact des joueurs issus de ces régions dans les résultats des trois empires engloutis. Ces vues de l’esprit servent avant tout à rendre palpable le lent et inexorable déclin d’une bonne moitié du continent depuis une quinzaine d’années.

L’implosion des pays socialistes devait forcément avoir un coût. L’arrêt Bosman allait ensuite constituer un autre sale coup. Le successeur de l’Etoile Rouge de Belgrade (vainqueur de la C1 en 1991) au palmarès n’est pas exactement attendu pour demain. La dernière (et seule ?) intrusion dans le dernier carré de la “Champions” d’un club de l’Est, depuis la bande à Prosinecki, remonte à 1999 avec le Dynamo de Kiev de Rebrov et Chevtchenko, demi-finaliste sorti par le Bayern de Munich.

Depuis Bosman, les grands clubs de l’Ouest accumulent les richesses et collectionnent les joueurs comme d’autres les poupées russes. Le nouveau capitalisme russe (et ses scories mafieuses) n’a pas encore été capable de structurer une ligue et des clubs capables de briller en Europe. Une question de temps sans doute mais pas seulement. Les nouveaux tycoons semblent préférer investir, en effet, leurs pétro-roubles à l’étranger, notamment dans les grands championnats occidentaux, peu regardants sur la provenance des capitaux. Et dans ce domaine, le libéralisme protestant d’Albion reste imbattable. Les clubs de l’Est mettront du temps à émerger à la table des puissants. Les équipes nationales, elles, relèvent quelque peu la tête. A commencer par les joueurs…
Si l’on excepte Nedved et Chevtchenko, les individualités se faisaient rares à la fin des années 90. D’une certaine façon, les deux Ballons d’or constituaient même les derniers feux, les ultimes reliquats de l’ex-bloc de l’Est. D’une certaine manière, et via l’arrêt Bosman, les jeunes pousses du foot de l’Est du continent rêvent désormais de gloire et de cash. Comme leurs cousines du tennis qui cachetonnent tous azimuts et squattent sans vergogne les meilleures places du classement mondial. Subrepticement, la génération née à la fin des années 70 a commencé à venir à l’Ouest vers vingt ans. Ce sont les géniaux Roumains Chivu (à l’Ajax à 19 ans en 1999) ou Mutu (à l’Inter à 19 ans en 98) ou encore le Serbe Stankovic (à la Lazio à 20 ans en 98).

Aujourd’hui, ils rivalisent tous de précocité. Marek Hamsik, le meneur slovaque du Napoli, entame sa quatrième saison dans le calcio à…20 ans. Il était venu tenter sa chance à…Brescia en…Série B à…17 ans. Mirko Vucinic, le génial flotteur monténégrin de la Roma, vient de fêter sa huitième saison en Italie, à 24 ans. Ces raggazzini n’ont pas froid aux yeux et envahissent la vieille Europe. Une kyrielle de jeunes Tchèques (ils sont huit) nés entre 1986 et 1990 spéculent déjà à l’Ouest qui à Stuttgart, qui à la Fiorentina…

Comme le Danemark en 1984 et 92, comme la France en 98 et en 2000, les cinq équipes nationales de l’Est pourraient réserver quelques surprises à l’Euro 2008. Les Anglais ont déjà payé pour savoir (attention aux jeunes Croates), les Russes pourraient sortir un jour de leur torpeur et les Polonais rêvent de retrouver pour dix ans une génération dorée équivalente à celle des 70’s. Les Tchèques réussissent, eux, toujours à l’Euro ou presque et les Roumains de Chivu et Mutu pourraient bien être la sensation de l’épreuve. Demandez donc aux Français ! A l’Est, rien qu’du nouveau !!!

Yevgueny Maverick

(1) : entre 1960 (création de l’Euro) et 1976, seules les quatre dernières équipes accédaient à la phase finale des cinq premières épreuves continentales. Ensuite, de 1980 à 1992, le tournoi final ressemblait plus à une phase finale traditionnelle avec huit pays avant d’en venir en 1996 à la formule actuelle de 16 associations.