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Pierre Chayriguès, la classe ouvrière

Par Nicolas Kssis-Martov

Avant Hugo Lloris, un gardien français a failli garder les cages des Spurs. Lui aussi était le titulaire incontestable en sélection nationale. Il s’appelait Pierre Chayriguès. Il évoluait au Red Star. Nous étions en 1912. 

Pierre Chayriguès, la classe ouvrière

« Gamin de Paris en qui tous les gamins de Paris se reconnaissent. » Gabriel Hanot, le futur inspirateur de la Coupe d’Europe et qui fut son coéquipier en équipe de France du CFI avant la Grande Guerre, dresse le parfait portrait de Pierre Chayriguès dans La Vie au grand air du 20 décembre 1919. Le premier personnage, au sens cinématographique, du foot français alors balbutiant son aura populaire entre la boxe et le cyclisme. Une figure qui s’impose alors que les photos sont rares. Il perdure pourtant le souvenir de ce portier atypique et rebelle : « Il porte une casquette légendaire, à carreaux blancs et gris, enfoncée sur sa tête jusqu’aux oreilles, et pourvue d’une visière impressionnante, qui rend le regard aigu et farouche ; le visage subit vers le nez une sorte de poussée en avant, qui, dans la passion du jeu, donne à Chayriguès l’aspect d’un fauve ; les mains sont démesurément longues et larges, des mains à la Jean Alavoine, et qui, comme celles de ce coureur cycliste, ont subi une sorte de déformation professionnelle ; le corps est moulé dans un maillot gris, et les bottines sont tenues par des lacets très larges qui font plusieurs fois le tour du cou-de-pied. »

Bien des années plus tard, en 1979, l’historien du communisme Philippe Robrieux ouvrira son livre Les Grands Goals de l’histoire avec un chapitre consacré au gardien français qu’il décrit ainsi au début des années 1920, alors au sommet de sa carrière et peut-être de son art : « Sobriété, détermination, et un certain embonpoint – voyez ces joues – caractérisent le “Pierrot” national de 1923. À noter également les genouillères et la façon dont le populaire gardien lace ses chaussures. D’abord par le bas ; une façon qui est un signe supplémentaire de prémodernité. »

Crédit Photo : Red Star
Crédit Photo : Red Star

Fantaisies, petite taille et gros bobos

Un précurseur, donc. Le principal intéressé s’octroie également ce titre de gloire dans ses mémoires 25 ans de football : « J’ai compris tout de suite que le gardien devait être autre chose qu’un homme enfermé dans sa cage. J’ai donc décidé de quitter ma ligne de but et de me promener dans les dix-huit mètres, à la fois pour mieux anticiper le jeu, stopper l’attaque adverse et relancer les contre-offensives. On m’a alors considéré comme un demi-fou… » Il n’a pas tort. Son style n’a jamais fait l’unanimité, surtout dans un sport largement dominé par une imitation très conservatrice des aînés britanniques. À l’occasion d’une rencontre de gala organisée en décembre 1918 entre une sélection de la Ligue de Paris et une équipe britannique de bric et de broc, le chroniqueur du Ballon rond égratigne le Clemenceau du gazon. « Chayriguès est toujours sans rival pour l’équipe de France, mais il est sorti parfois avec trop de fantaisie. Cette façon de faire lui a déjà coûté plusieurs buts et, dimanche dernier, un goal fut encore marqué sur un “loupé” de sa part qu’un joueur de sa classe ne doit pas connaître, d’autant plus qu’il n’ignore pas que les avants anglais ont pour habitude de suivre la balle. »

J’ai compris tout de suite que le gardien devait être autre chose qu’un homme enfermé dans sa cage.

Pierre Charyguès dans ses Mémoires

L’audace dont il fait preuve lui coûtera, du haut de son 1,70 mètre (sur la pointe des pieds, lit-on parfois) de nombreuses blessures qui finiront par avoir raison de son talent, tout autant, comme le disent les mauvaises langues, que le changement de règle du hors-jeu en 1925 (seulement deux joueurs désormais). En particulier lors des Jeux olympiques de Paris, en quarts de finale contre l’Uruguay. Sans pitié, l’attaquant de la Celeste Pedro Petron, un des premiers champions du monde en 1930, lui défonce une cote sans chercher à se retenir une seule seconde lors du choc. Un an plus tard, il se fracture la cheville et le péroné au cours d’un match opposant les sélections du Nord et de Paris le 13 décembre 1925, à Roubaix. Il se relève à chaque fois. Une autre époque.

Crédit photo : Red Star
Crédit photo : Red Star

Foot et socialisme

Le prix à payer pour ce pionnier. À plus d’un titre. Hormis son apport à la construction du poste de gardien de but, Pierrot fut surtout, en ce XXe siècle naissant, une des premières grandes figures populaires du football dit alors d’association, face à un rugby cajolé par les élites sociales et intellectuelles de la nation. Pierre Chayriguès va incarner cette rencontre avec le peuple. Le peuple de la banlieue ouvrière de la capitale, qui se densifie au-delà des fortifs au fur et à mesure de l’industrialisation croissante du pays. Une banlieue ouvrière qui prend la relève des quartiers populaires de Paname écrasés sous la Commune. Les gavroches se mettaient à la savate quand les premiers muscles pointaient. Les mômes apaches de la Petite ceinture inventent un foot des rues que Gabriel Hanot restitue avec tendresse : « En 1903, à l’âge de 11 ans, Pierre Chayriguès était déjà pour les enfants de son quartier un champion incontesté (…),  et sur la petite place de l’église de Levallois, des parties épiques se disputaient, plus dures et plus passionnées que des matchs de championnat. (…) Tel est le milieu dans lequel Chayriguès fit son apprentissage sportif. »

En 1903, à l’âge de 11 ans, Pierre Chayriguès était déjà pour les enfants de son quartier un champion incontesté.

Gabriel Hanot

Déjà apprenti électricien, le jeune garçon entrera quelques années plus tard dans son premier club. Il s’agit du Club athlétique socialiste de Levallois. La SFIO de Jaurès a lancé depuis peu son mouvement sportif ouvrier, sous l’impulsion du journaliste sportif de L’Humanité Henri Abraham Kleynhoff, qui voit par ailleurs dans le football un « véritable sport de caractère socialiste dans lequel les équipiers coordonnent tous leurs efforts et leur volonté en vue d’une action collective et d’un résultat d’ensemble ». Il aurait été refusé dans les autres équipes du coin car trop petit. Il lui arrivera ensuite de recroiser le chemin des crampons rouges. Ainsi, en août 1934, il assiste au stade Buffalo à un match entre la Norvège et l’URSS, alors boycottant la FIFA, lors d’une Coupe du monde du foot ouvrier. Le journaliste de Sport, la revue de la FST (Fédération sportive du travail), décrit dans « la tribune de la presse (…)  de nombreux journalistes, d’anciens joueurs de football comme Gamblin ou Chayriguès [qui] nous ont dit leur admiration de leurs réelles qualités et certains ont même comparé la valeur de l’équipe soviétique à celle d’une des plus grandes équipes internationales de football : l’Angleterre. »

De la guerre à la naissance du professionnalisme

Mais finalement, Pierre Chayriguès sera l’homme d’un club : le Red Star de Jules Rimet, le père éternel de la Coupe du monde, avec lequel notamment il remporte un triplé dans la toute jeune Coupe de France (1921, 1922 et 1923). Il y devient « Pierrot les grandes mains ». Le 8 mai 1922, Ouest éclair lui attribue même largement le crédit de la victoire de 1922 contre le Stade rennais. « Le brio de Chayriguès fut le rempart devant lequel toutes les vagues d’assaut de l’équipe rennaise vinrent se briser. (…) Il sauva des situations que tout le monde jugeait désespérées. » Le Red Star sera la maison de Pierre Chayriguès, tout comme l’équipe de France fut sa famille (21 capes entre 1911 et 1925). Il avait rejoint l’Étoile rouge, d’ailleurs, pour pouvoir évoluer dans la sélection du CFI, le Comité français interfédéral, ancêtre de la FFF. Il brille dès ses débuts à 19 ans, mais c’est la victoire en 1912 à Turin contre la Squadra (4-3) qui l’inscrit dans l’épopée bégayante des Bleus.

Pierre Charyguès en haut debout à droite, les mains derrière le dos. Crédit photo : Red Star
Pierre Charyguès en haut debout à droite, les mains derrière le dos. Crédit photo : Red Star

Sa génération verra néanmoins son ascension coupée net par la guerre. Répondant à son service militaire en 1912 (certains affirment que ce fut la principale raison qui l’empêcha de rejoindre alors Tottenham), il passe une fois le conflit déclenché du 153 B Régiment d’artillerie à Toul au 20e corps d’aviation. Les sportifs les plus connus sont largement employés par la propagande, il faut les protéger. Il rechausse de la sorte parfois les crampons pour la bonne cause, comme au Parc des Princes, en 1916, au profit des œuvres de l’armée. Il retrouve à cette occasion Gabriel Hanot, auréolé d’une évasion d’un camp de prisonniers en Allemagne.

Lorsque ma présence s’annonçait douteuse pour une rencontre, tenez pour certain que c’était parce que nous n’étions pas d’accord avec le pouvoir organisateur sur le prix de ma participation. J’étais alors tout à fait décidé à ne jamais jouer gratuitement pour des organisations qui ne visaient que la recette.

Pierre Charyguès

Après la guerre, il reprend son apostolat dans les cages audonniennes. Mais en outre des blessures, la polémique du professionnalisme, qui ne cesse de grandir sein du foot français, le rattrape. Fils du peuple, il n’a jamais accepté l’idée de jouer gratuitement alors que les stades se remplissent et que les premiers « sponsors » apparaissent. L’idéal amateur, si bourgeois, de Coubertin ne lui convient guère. Il saura toujours négocier, en douce, le fameux amateurisme marron, avec primes et dédommagements au fil de sa carrière (on évoque des revenus de près de 10 000 francs par an en 1912, soit l’équivalent de ce que gagne un haut cadre dans la banque). Il ne fait pas d’exception pour l’équipe de France. « Je n’ai jamais joué, pas plus pour la Ligue parisienne que pour la Fédération, à titre gratuit. Les indemnités variaient, évidemment, mais il m’arriva souvent de toucher, d’un coup, 2 000 francs. Lorsque ma présence s’annonçait douteuse pour une rencontre, tenez pour certain que c’était parce que nous n’étions pas d’accord avec le pouvoir organisateur sur le prix de ma participation. J’étais alors tout à fait décidé à ne jamais jouer gratuitement pour des organisations qui ne visaient que la recette. »

En 1929, alors qu’il clôture sa carrière et que du côté de Sochaux, Peugeot force pour imposer le professionnalisme, Le Quotidien s’amuse de l’hypocrisie autour de son cas, après une confession lâchée dans L’Auto (ancêtre de L’Équipe) : « Les dirigeants sacro-saints de la F. F. F. A. disent que Chayriguès se vante, qu’il n’a jamais été rémunéré pour arrêter les balles ennemies, que ses confessions sont d’insupportables mensonges, qu’il était amateur, essentiellement amateur, qu’il l’est encore, et qu’il le sera jusqu’à sa mort ! Vous voyez d’ici la tête de Chayriguès ! » Pierre Chayriguès ne raccroche pas les gants pour autant. Il traverse la Méditerranée et devient l’entraîneur du Gallia Sports d’Alger, fer de lance du foot colonial en Algérie. Il tente même un temps de refonder un club du côté de Bezons, en région parisienne. Après la Seconde Guerre mondiale, à l’image de nombreux footballeurs de ces premiers temps, il achète un café à Avranches, en Normandie, avant de devenir finalement l’entraîneur du club local jusqu’en 1956. Pierre Chayriguès meurt le 19 mars 1965 à l’âge de 72 ans. Les héros du peuple sont immortels.

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