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À la rencontre de l’équipe de France de football sourds, qui rêve du Brésil

Par Alexandre Delfau, à Eaubonne
À la rencontre de l’équipe de France de football sourds, qui rêve du Brésil

Depuis quatorze ans, l'équipe de France de football sourd attend un titre. La prochaine occasion ? La médaille d'or aux Deaflympics 2022 au Brésil, l'équivalent des JO pour le monde sourd et malentendant. Sauf que la route est encore longue pour les Bleus, en pleine reconstruction. Et cette route passait par une opposition interne à Eaubonne, dans le Val-d'Oise, samedi dernier, à quatre mois de deux matchs qualificatifs pour les Deaflympics contre la Turquie et la Tchéquie.

À 70 kilomètres au nord de Clairefontaine-en-Yvelines, une autre équipe de France s’est aussi retrouvée pour la première fois depuis des mois avec une grande échéance en ligne de mire. Mais pas de château de Montjoye ni de belles cylindrées, et encore moins de montée des marches le long du buisson le plus célèbre de l’Hexagone. Ici, on se satisfait de retrouver le football et les copains sous aucune caméra. Bienvenue à Eaubonne, au CDFAS : le centre départemental de formation et d’animation sportives du Val-d’Oise. Le soleil a beau briller, ce sont les sourires qui irradient les lieux. Le tout dans un silence seulement brisé par le ronronnement de la départementale 170 et le bourdonnement des avions qui décollent de Roissy. Un silence tout à fait normal, puisqu’il s’agit du rassemblement des 28 joueurs de l’équipe de France des sourds et malentendants. Tous ont répondu à l’appel du sélectionneur Sylvain Morvan, pour une journée où chacun joue sa place dans le groupe de 18 qui affrontera la Turquie et la Tchéquie début septembre. L’enjeu ? La qualification pour les Deaflympics, équivalent des Jeux olympiques pour les personnes ayant au moins 55% de surdité, qui auront lieu l’année prochaine au Brésil.

Table rase, bleu de chauffe et bouche-à-oreille

Avant d’accomplir le rêve de tout footballeur et de jouer au Brésil, les Bleus ont fait comme ceux de Blanc et Deschamps après 2010 : ils sont repartis de zéro, après une décennie de sécheresse. « L’ancien directeur sportif l’a été pendant dix ans, mais les résultats étaient catastrophiques et il ne s’entendait plus avec la Fédé Handisport, alors il a été viré », explique Stéphane Tucillo, directeur sportif du football sourd auprès de la Fédération française handisport (FFH) depuis février 2020. « On m’a nommé sélectionneur en 2017 et une semaine après, j’ai été viré. Parce qu’il n’acceptait pas que ce soit moi qui choisisse les joueurs, ça devait passer par lui », éclaire Sylvain Morvan, réintronisé sélectionneur l’été dernier. Et ce début de mandat a, forcément, été compliqué pour celui qui compte plus de 100 sélections chez les Bleus sourds en tant que joueur, et qui a joué jusqu’en Régional 1 chez les valides avant de prendre en charge les U9 de l’Escale foot d’Orléans et les seniors de l’USM Olivet (R2).

En deux rassemblements en octobre et mars, Sylvain Morvan a quand même pu observer plus de 60 joueurs, chaque observation étant le fruit d’un travail de longue haleine car ses Bleus, le sélectionneur doit les dénicher, d’autant plus en cette période de pandémie sans matchs. « C’est du bouche-à-oreille, des vidéos… Certains, je les connais, j’ai joué avec eux. Il y a pas mal de nouveaux aussi, qui n’ont jamais joué dans des clubs sourds et qui ont envoyé un mail à la Fédération pour savoir s’il y avait une équipe de France pour les sourds et s’il était possible d’y candidater. Il y a également Pierre Cavelier (défenseur de Notre-Dame-de-Bondeville (Seine-Maritime) en Régional 2, NDLR), qui m’a envoyé un message sur Facebook et ça s’est fait comme ça », illustre Sylvain Morvan, une heure avant le match amical qu’il a organisé à Eaubonne, entre 28 joueurs présélectionnés. La température monte autour du terrain et dans les têtes : tous savent qu’ils ont 90 minutes pour faire leurs preuves.

Les jumeaux Recober avancent casqués

Justement, les acteurs apparaissent sur la pelouse. Tous ont au moins 55% de surdité, mais équité oblige, sur le terrain les appareils auditifs sont interdits. Sauf pour Paul et Théophile Recober, frères jumeaux et joueurs de l’USC Dijon (Régional 2), qui portent un casque à la Petr Čech pour protéger leur implant cochléaire, qu’ils ne peuvent pas retirer et qui, au quotidien, leur envoie des impulsions électriques de faible intensité, ce qui permet de réactiver le nerf auditif pour entendre des sons (et non pas des mots). Quant au football à proprement parler, c’est du classique en dehors de l’arbitre qui signale les fautes via un drapeau, et non pas un sifflet. « Le foot sourd va moins vite, car il est plus visuel », note toutefois Macirré Tounkara, international depuis quatre ans. Sur le pré, les têtes sont effectivement bien plus souvent levées, les jeux de regard décuplés. Alors oui, parfois, un coéquipier est oublié en retrait ou à l’opposé, les cris du gardien ne sont pas entendus ou une action se poursuit alors que l’arbitre a stoppé le jeu depuis pas mal de temps. Mais l’essentiel est ailleurs.

Être sourd peut s’avérer être une qualité pour un joueur de foot, car on a justement tendance à avoir une meilleure prise d’information.

En France, le foot est le sport le plus pratiqué par les sourds et malentendants. On recense 18 clubs dédiés, dont Reims et Paris sont les têtes de gondole. Le champion en titre reste toutefois Vitry-sur-Seine, sacré en 2019. Mais si un championnat sourd a bien été mis en place, tous les joueurs n’en font pas partie. Certains footballeurs sourds ou malentendants défendent même plusieurs couleurs. C’est notamment le cas d’Antoine Le Bigaut, milieu de terrain au Club sportif des sourds de Nantes, mais également au Stade pontivyen, club valide : « J’essaye d’alterner en fonction du calendrier. Par exemple, la N3 joue le samedi soir, la B va jouer en R2 le dimanche et les matchs des sourds sont le samedi, donc je fais des choix et je m’organise. Ça m’arrive de jouer deux matchs dans le week-end », expose l’étudiant en Staps de 20 ans. Si cela reste du football, Antoine apprécie la complémentarité des deux pratiques. « La première fois que j’ai enlevé mes appareils pour jouer avec les sourds, ça m’a surpris et en même temps, ça fait du bien parce que c’est assez gênant avec la transpiration, concède-t-il d’abord. La concentration est primordiale avec les sourds, donc il faut bien regarder partout, tout le temps. Et être sourd peut s’avérer être une qualité pour un joueur de foot, car on a justement tendance à avoir une meilleure prise d’information. »

Une équipe de tous les horizons

Cette prise d’information, sur le terrain des sourds, se fait en langue des signes. Contre toute attente, c’est une découverte pour certains, pour qui intégrer l’équipe de France sourds-malentendants rime avec intégration dans le monde des sourds. Car, souvent, ils sont les seuls à en faire partie dans leur entourage. « Sur le groupe de 28 joueurs présents aujourd’hui, il y en a 7 ou 8 qui ne connaissaient pas du tout le monde des sourds », énumère Damien Beaujon, adjoint entendant de Sylvain Morvan, mais bilingue langue des signes du fait de parents sourds. Ce dernier a fait appel à lui « parce qu’il voulait une personne en capacité de faire la différence et le lien entre les deux mondes », de quoi permettre une grande évolution dans le système de sélection des Bleus. « Quand on est arrivés avec Sylvain, on a élagué tous nos réseaux, on est allés à la recherche un peu partout et on s’est aperçus qu’il y avait des jeunes malentendants et sourds qui jouaient avec des clubs entendants, mais qui ne savaient pas qu’il y avait une équipe de France sourds. »

Résultat : les rassemblements de l’équipe de France prennent des airs de leçon de langue des signes, et accouchent même de compromis spontanés pour communiquer sur et en dehors du terrain. Difficulté supplémentaire liée à l’époque : le masque, qu’ils subissent bien plus que le reste de la société. Et on ne parle pas de respiration, mais toujours de communication. « Ça change tout, car d’habitude, on lit sur les lèvres. Même si j’ai mon appareil, je n’entends pas très bien si je ne lis pas en même temps sur lèvres. Donc c’est sûr que ça fait du bien de se retrouver en équipe de France où on signe tous ensemble », souffle Macirré Tounkara. Mais « signer » n’est parfois pas suffisant pour se faire comprendre, d’où la problématique du masque. « En fonction des régions, il y a des termes ou des mots qui n’ont pas la même signification dans la gestuelle. Donc pour être sûr que le geste employé est en lien avec le mot évoqué, il y a besoin de la lecture labiale », approfondit Damien Beaujon.

La parole au terrain

Outre les retrouvailles, les rencontres et les bons moments passés, les présélectionnés de l’équipe de France étaient donc réunis pour un match de trois fois trente minutes, offrant un aperçu du niveau et de la forme physique de chacun. Car au-delà du gardien Guillaume Lesec, d’ailleurs absent pour cause de blessure, mais passé par Laval chez les professionnels, le joueur de la liste de Sylvain Morvan exerçant au plus haut chez les valides évolue en National 3. Et en sachant que les clubs sourds sont amateurs, ce match amical entre Bleus était donc le premier depuis bien longtemps pour la plupart des protagonistes à cause des nombreuses restrictions sanitaires. « Ils n’ont pas joué depuis octobre, après il y a eu le couvre-feu à 19 heures et on ne pouvait plus s’entraîner », fait remarquer Sylvain Morvan.

Après un match remporté 2-0 par l’équipe rouge – avec un but sur penalty et un autre à la suite d’un coup franc mal relâché par le gardien bleu -, le sélectionneur et son adjoint ont pu se faire une idée en vue des qualifications aux Deaflympics. « Dans l’ensemble, les deux équipes ont fait une très bonne heure. Ils ont donné le maximum, il y avait du rythme, mais pendant trente minutes, il y a eu une baisse de régime des deux côtés. C’est resté assez plaisant et il y a de quoi faire avec ce groupe. Ils auront un programme et du renforcement musculaire à faire d’ici septembre. On fera un match amical avant les qualifications pour refaire un point. Mais je suis content, les postes sont bien doublés et pour les trois quarts, c’est pas mal du tout », apprécie Sylvain Morvan. Sacré champion d’Europe en 2007, et médaillé d’argent en 1997 aux Deaflympics, le sélectionneur veut que ses ouailles goûtent elles aussi à ce plaisir.

Cela tombe bien : ses joueurs sont sur la même longueur d’ondes et se réjouissent de son arrivée et des changements qu’il a impulsés. « L’équipe est en construction, mais le niveau est bien plus élevé que dans l’ancienne », remarque Lucas Alexandre, 22 ans, gardien d’Itancourt en Régional 1 et en équipe de France depuis ses 16 ans. Aller au Brésil, c’est un rêve, et les Deaflympics, c’est le summum pour nous les sourds. » Son coéquipier Macirré Tounkara ajoute : « On recommence à zéro, on veut et doit montrer que la France compte dans le foot sourds. » Car si toute la France attend les exploits des Bleus de Didier Deschamps à l’Euro, la France des sourds attend elle ceux de « son » équipe. « Notre monde est petit, donc on a toujours du public, beaucoup de sourds viennent nous soutenir », indique Macirré. Pour l’équipe de France des sourds, il n’y a plus qu’à écrire son nom en Bleu, signer son nom en Bleu.

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Par Alexandre Delfau, à Eaubonne

Tout propos recueillis par AD

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