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Van Persie et Falcao, du but à la mort
Le football, par sa nature injuste, aime faire voler les carrières et les exploser en plein vol. Le buteur, pourtant jugé en fonction de ses performances, c'est-à-dire de ses buts marqués, en est la victime numéro un. Aujourd'hui à Manchester United, aussi bien Radamel Falcao que Robin van Persie souffrent, différemment, des attentes placées en eux. Sont-ils devenus trop forts trop vite ? Ou sont-ils plus simplement les victimes d'un jeu complètement injuste ?
Le timing du buteur est cette notion bien connue qui mesure le talent d’un numéro 9 à arriver au bon moment sur le ballon, ou faire en sorte que le ballon arrive au bon moment sur lui, on ne sait pas trop. Mais derrière, il en existe un autre. Non pas un autre buteur, mais un autre timing, qui prend bien plus son temps, laisse s’écouler les années et se briser les carrières. Celui-là, il regarde le terrain avec la vision d’un numéro 10 et casse tous les numéros 9 un par un, tôt ou tard. Ce timing, c’est celui de la réussite et de l’échec.
Combien de grands avants-centres peuvent se prévaloir de n’avoir jamais connu de période de doute ? Le but a ses secrets, et peu d’hommes ont réussi à ne jamais chuter en tentant de les découvrir. Le plus grand de tous, Ronaldo, a même failli ne jamais se relever. La relation qui unit à vie Luis Suárez et le but vient de connaître des premiers mois « compliqués » à Barcelone. Sur ses onze saisons jouées sous les couleurs du Milan, Pippo Inzaghi n’en a connu que cinq à plus de 10 buts en championnat. Et pourtant, s’il y en a un qui devait avoir tout compris, c’était bien lui… Même Andrey Shevchenko aura connu les cauchemars des ratés à répétition. Didier Drogba a mis du temps à se dévoiler, tandis que Dwight Yorke a vite disparu. Karim Benzema a côtoyé de nombreux démons. Enfin, le destin de Fernando Torres pourrait devenir un cas d’école des grands buteurs en lutte spirituelle avec la cruauté de leur outil de travail.
Manchester United, le jeu et les buts
En début de saison, tous les pubs anglais répétaient que Manchester United avait commis le péché d’acheter trop d’attaquants. Dans le froid et le prestige du centre d’entraînement des Red Devils, Louis van Gaal pouvait effectivement compter sur son ami Robin van Persie, la star Radamel Falcao, le capitaine Wayne Rooney, et même Ángel Di María. Aujourd’hui, l’accumulation des buteurs n’a pas donné une overdose de buts, loin de là. Le coach autoritaire n’hésite pas à le souligner : « C’est vrai. Van Persie ne peut le nier, Falcao ne peut le nier, et Rooney ne joue plus beaucoup désormais. En ce moment, il nous manque un buteur capable de planter une vingtaine de buts » . Van Persie et Falcao en seraient donc incapables ? Le problème, ce seraient les buteurs ? À écouter Van Gaal, Robin van Persie ou Radamel Falcao devraient être à la hauteur de Diego Costa et Sergio Agüero dans le classement des buteurs, à 17 buts chacun. Cette réflexion soulève deux problèmes.
D’une part, Diego Costa et Sergio Agüero profitent avant tout du jeu de leurs équipes respectives, ce que ne peuvent pas faire les attaquants de Manchester United. Mais ça, Van Gaal le sait bien. D’autre part, qui sont vraiment Van Persie et Falcao aujourd’hui ? À Manchester, l’arrivée de Robin van Persie a coïncidé avec la meilleure période de sa carrière. Ce transfert en 2012, c’était une autoroute de bonheur, la dernière idée de génie de Sir Alex Ferguson. Après une saison de goleador à 30 buts pour Arsenal, Van Persie arrivait à Manchester et en marquait 26 pour offrir un dernier titre à Old Trafford. Résistance à la pression, chefs-d’œuvre, incarnation de l’esprit cynique d’un club marié à la victoire : tout semblait écrit. Mais autour de cette période presque irréelle, qui a osé lire l’histoire ? Entre 2005 et 2009, Van Persie apporte moins qu’Emmanuel Adebayor à Arsenal : 34 buts avec un ratio de 0,38 but par match, contre 46 buts et 0,44 pour le Togolais. D’ailleurs, en 2009, Van Persie a 26 ans et sort de sa saison la plus complète avec seulement 11 buts. Après deux saisons abouties pour les Gunners entre 2010 et 2012, Van Persie signe à Manchester, et puis redescend sur terre après 2013 : 12 buts en 21 matchs la saison dernière, 10 en 23 cette saison. Son destin, depuis le début, c’est celui d’un albatros : l’homme aux bras infinis aura connu un décollage difficile, un vol court mais majestueux, et un plongeon rapide. Mais si Van Gaal pensait trouver un Ruud van Nistelrooy infaillible (6 saisons à plus de 30 buts), il s’est fait avoir par le timing trompeur de la carrière de Van Persie.
Falcao lâché dans le vide
Le destin de Falcao est tourné dans l’autre sens. À 26 ans, le Colombien était déjà sur une autre planète et semblait avoir quelques années d’avance. De 2009 à 2013, El Tigre sort quatre saisons consécutives à plus de 34 buts marqués. Quatre saisons boostées par deux campagnes européennes extraordinaires, qu’il ne connaît plus depuis. La suite, c’est un long voyage de martyr que vit le Colombien : balancé à Monaco, puis à Manchester United dans des projets prévus et annulés à la dernière minute, le Colombien se perd : 11 buts en 19 matchs l’an passé, 4 en 16 rencontres cette saison. En football, seul le buteur peut prendre une telle dimension et retomber en si peu de temps. Un défenseur ou un milieu dépendra toujours bien trop du jeu. Le buteur, lui, peut emprunter des raccourcis. Comme un jardin secret, le but fascine. Et dès que quelqu’un parvient à s’y balader, la foule semble exiger qu’on le canonise dans l’immédiat. Santo subito, disent les Italiens.
Falcao est un buteur en panne en plein âge d’or, comme l’était avant lui Fernando Torres. Les blessures et les transferts peu judicieux sont tombés au mauvais moment, comme si, après des dizaines de petits virages de montagnes bien négociés, de dos d’âne franchis de façon chirurgicale, les deux pilotes avaient connu des problèmes mécaniques sur l’autoroute, en pleine ligne droite. Alors qu’il devrait être au top, il n’est même pas titulaire et semble ne pouvoir compter sur aucun soutien. Ce moment fatidique d’une carrière, vers 28-29 ans, c’est le moment où Van Persie s’est enfin arrangé pour tenir une saison complète et démontrer sa vraie valeur, dans le bon club. Une histoire de timing injuste. Comme Torres, est-ce que Falcao a été trop fort trop vite ? Auraient-ils préféré attendre d’avoir 28-29 ans pour signer les saisons de leur vie, et dans la foulée un dernier contrat juteux sur la table et une reconnaissance éternelle sur un plateau ?
Le but, phénomène hors-jeu
Sur toutes les pelouses du monde, l’histoire continue. À West Ham, la saison de Diafra Sakho est un nouvel exemple des caprices du but. Après avoir planté 7 fois lors de ses 9 premières apparitions, l’avant-centre n’a marqué que 3 fois en 11 matchs par la suite. En trois mois, il est donc passé du statut de phénomène n’ayant peur de rien à celui de buteur en difficulté. En Argentine, Gustavo Bou est l’avant-centre du Racing dans un style comparable à celui de Djibril Cissé. Renommé pour ses limites techniques, le joueur vient tout de même de planter deux triplés consécutifs en Copa Libertadores, et pourrait bientôt faire un petit tour en Europe, alors que personne ne s’y attendait. Une affaire de ketchup, dirait Van Nistelrooy ? Finalement, la vérité réside peut-être dans la nature même du jeu. Le football est naturellement porté vers les coups d’éclat : au milieu de 90 minutes d’intensité et de duels perdus, un seul pointu peut résoudre un match. Et quelques pointus bien sentis peuvent même construire une carrière. Indécis, ponctuel, inconstant, arythmique, le football sera toujours amené à faire grandir des joueurs très vite, avant de les briser aussitôt. Les buteurs sont ceux qui en profitent le plus, mais aussi les seuls pouvant en mourir.
Par Markus Kaufmann
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