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Rudi Vata : « C’est en France que j’ai appris ce qu’était la liberté »

Propos recueillis par Aymeric Le Gall
9 minutes
Rudi Vata : « C’est en France que j’ai appris ce qu’était la liberté »

Rudi Vata, ancien footballeur professionnel albanais, connaît très bien la France. Il a en effet profité d'un France-Albanie au Parc des Princes en 1991 pour fuir le régime dictatorial d'Enver Hoxha et faire une carrière honorable en Europe. Aujourd'hui tranquillement installé en Écosse, il a accepté de décrocher son téléphone pour parler de son pays et de sa sélection.

Avant d’en venir au football à proprement parler, pouvez-vous nous dire un mot sur l’Albanie de votre enfance ? L’Albanie faisait partie du bloc soviétique, et Enver Hoxha était l’un des plus grands dictateurs que le monde ait connus. La population ne jouissait d’aucune liberté, et le pays était très pauvre. En 1991, le régime est tombé et le pays s’est ouvert au monde. Du coup, les gens en ont profité pour fuir le pays et essayer de vivre une vie normale. Car si l’on regarde depuis 25 ans, la politique n’a pas vraiment résolu les problèmes des gens. On aurait mérité mieux, c’est sûr, mais on ne désespère pas.

Quelle est la situation dans le pays aujourd’hui ? Il y a toujours énormément de pauvreté.

Ce qu’a réalisé la sélection nationale, en se qualifiant pour l’Euro, c’est vraiment quelque chose de magnifique. Ça va insuffler de l’espoir pour l’avenir.

S’il y avait eu une véritable volonté de la part des dirigeants politiques, les choses auraient pu évoluer beaucoup plus rapidement. Le problème, c’est que les politiciens ont d’abord pensé à eux et à leurs proches, et pas du tout aux besoins du peuple. Mais au-delà de tout ça, l’Albanie reste un pays magnifique. Et ce qu’a réalisé la sélection nationale, en se qualifiant pour l’Euro, c’est vraiment quelque chose de magnifique. Ça va insuffler de l’espoir pour l’avenir. Les jeunes générations doivent se nourrir de ce genre de performances pour faire à leur tour de belles choses pour notre pays.

Vous pensez que le football, à travers le parcours de la sélection nationale, peut donner au peuple des raisons de croire en des jours meilleurs ? En Albanie, dans la vie de tous les jours, la population n’a pas énormément d’occasions de se réjouir et de célébrer des événements joyeux. Donc oui, cette qualification est la meilleure chose qui pouvait nous arriver. Il faut comprendre que là-bas, les gens sont tristes parce qu’ils n’ont pas une vie facile et ce genre d’événements, rares, leur donne énormément d’espoir. Après, le futur de l’Albanie dépend avant tout de ceux qui le gouvernent. Mais on espère vraiment que ceux qui ont de belles idées, ceux qui aiment vraiment l’Albanie, auront l’occasion de s’exprimer. Jusqu’ici, les politiciens ont fait trop peu… De notre côté, on se doit de toujours garder espoir et croire en des jours meilleurs. Et encore, pour moi qui vis à l’étranger, je n’ai pas à me plaindre. Mais quand on rentre au pays, on voit clairement que plein de choses ne vont pas encore dans le bon sens.

Vous retournez souvent là-bas ? Oui, très souvent.

Nos politiciens ont ouvert notre pays aux promoteurs immobiliers, ils ont sali nos côtes, et tout ça a été fait sans aucune vision claire et à long terme.

J’y vais presque tous les mois. Il faut dire que le nouveau gouvernement a commencé à changer pas mal de choses, mais ce n’est pas difficile tant les problèmes sont nombreux ! À la chute du bloc soviétique, rien ne s’est arrangé puisqu’avec la démocratie, le business s’est imposé et nos politiciens n’ont pas œuvré pour le bien commun. Ils ont ouvert notre pays aux promoteurs immobiliers, ils ont sali nos côtes, et tout ça a été fait sans aucune vision claire et à long terme. Il n’y en avait que pour leur argent…

Sans parler de la corruption qui gangrène le pays. Oui… Aujourd’hui encore, il y a beaucoup de corruption. J’ai pu le constater personnellement au niveau de mes affaires là-bas… C’est difficile. On espère que le nouveau gouvernement prendra les mesures qui s’imposent pour améliorer cette situation. Il y a un vrai dialogue qui s’est engagé avec l’Europe, avec les États-Unis, mais le peuple, lui, attend toujours les résultats. Dans le passé, beaucoup de politiciens ont volé ce pays et je pense qu’il faudrait commencer par mettre ces gens-là en prison parce qu’ils ont fait énormément de mal à l’Albanie. Ils se sont enrichis sur le dos du pays et ce n’est un secret pour personne. Pourtant, ils sont toujours en liberté, tranquilles, sans être embêtés par les autorités. J’espère que ce jour arrivera bientôt.

Vous arrivez à garder espoir ? Oui, j’ai énormément d’espoir, même si rien ne sera facile, car avec l’histoire qui est la nôtre, les Albanais ont fini par cultiver un certain sentiment d’infériorité. Il y a toujours cette idée que les autres nous sont supérieurs. Toutes ces années d’oppression ont fait qu’on a perdu confiance en nous. C’est pour ça que je dis que cette qualification est la meilleure chose qui pouvait nous arriver.

Vous avez profité d’un match France-Albanie (5-0, ndlr) en 1991 pour fuir votre pays et vous exiler en Europe de l’Ouest. C’est quelque chose que vous aviez planifié de longue date ?

En 1991, je me suis dit que le moment était venu de faire ce choix et de gagner ma liberté.

Non, je n’avais pas vraiment prévu de profiter de ce match pour quitter l’Albanie. Je savais juste que ce choix n’aurait pas de conséquences pour ma famille. Si j’avais fait ça avant, en 1989, mes proches auraient pu avoir de gros problèmes avec le régime. Or en 1991, je me suis dit que le moment était venu de faire ce choix et de gagner ma liberté. Je voulais avoir cette chance de réussir à faire ma vie dans le football et c’est finalement ce que j’ai fait.

Ça a dû être une décision difficile à prendre. Oui, évidemment, il fallait trouver la force nécessaire et le courage pour le faire. Parce ce que tu ne sais pas du tout dans quoi tu t’embarques. Mais j’avais une grande confiance en moi et j’étais persuadé qu’en travaillant sans relâche, j’arriverais à réaliser mon rêve. De toute façon, il n’y avait pas d’autres alternatives, il fallait que je réussisse. Je savais que cette occasion ne se représenterait peut-être pas et il n’était pas question de douter de moi.

Comment avez-vous vécu ce passage d’un monde à l’autre ? Tout était neuf pour moi, la vie était très différente de ce que j’avais connu en Albanie et je dois dire que j’ai énormément appris en arrivant en France. On peut même dire que jusque-là, j’étais ignorant. Mais ce n’était pas de ma faute, c’était celle du système politique dans lequel nous vivions. Et en France, je me suis ouvert à plein de choses, j’ai appris la langue, j’ai pu me cultiver, apprendre l’histoire, et ce sont des choses qui m’ont servi toute ma vie. C’est aussi en France que j’ai appris ce que c’était que la liberté.

Venons-en à la sélection albanaise. Vous imaginiez sincèrement qu’elle puisse se qualifier pour l’Euro 2016 ? Non, je ne pensais pas que le moment était venu.

Finalement, le travail de De Biasi a payé, et ce succès albanais est avant tout le sien.

Malgré le gros travail réalisé par l’entraîneur, je pensais que nous manquions encore de maturité pour passer ce cap. Quand Gianni De Biasi a pris la tête de cette équipe, les gens ne lui ont pas tous montré un grand soutien. Il a d’abord essayé beaucoup de joueurs avant de choisir son groupe, de travailler avec lui dans la continuité et de créer une organisation très solide sur le terrain. Finalement, son travail a payé et ce succès albanais est avant tout le sien.

Que pensez-vous du groupe de l’Albanie ? Pour nous, c’est déjà un énorme privilège de se retrouver à l’Euro. On peut se permettre de jouer sans pression, les joueurs n’ont rien à perdre, puisque personne ne nous voit sortir de ce groupe. À côté de la France qui doit terminer première, les deux autres équipes font office de favoris face à nous. Ce qui fait que l’Albanie n’a pas à se poser de questions, ils entrent sur le terrain, ils donnent tout et on verra bien. Être là aujourd’hui, c’est déjà une grande victoire. Le reste, ce n’est que du bonus. Quoi qu’il arrive, on sera satisfait de leur performance.

Comment sentez-vous ce France-Albanie ? Je me souviens de la victoire albanaise en match amical contre l’équipe de France. On l’emporte 1-0, mais les Français auraient très bien pu encaisser un deuxième but. Mais il ne faut pas s’attendre à revivre le même scénario.

Avec le soutien du public du Vélodrome, je vois mal la France faire un faux pas face à l’Albanie.

Les Bleus ne prendront pas ce match à la légère et ça va être beaucoup plus difficile ce coup-ci. Ils ne feront pas la même erreur que le Portugal (l’Albanie a battu le Portugal 1-0, chez lui, lors des qualifications, ndlr). Dans cet Euro, il n’y a pas de match facile, mais avec Deschamps vous êtes tranquilles, ce n’est pas le genre de personne qui sous-estime ses adversaires et je pense qu’ils vont tout donner pour assurer directement leur qualification. Et puis avec le soutien du public du Vélodrome, je vois mal la France faire un faux pas.

Quelles sont les forces de cette équipe albanaise selon vous ? Comment peuvent-ils embêter les Français ce soir ? La force de l’Albanie, c’est son groupe. Il n’y a pas de stars chez nous et c’est la solidité du groupe qui doit nous permettre de gêner les Bleus. On est une équipe costaude qui sait bien défendre, mais il faut avouer que devant c’est compliqué. On ne marque pas beaucoup de buts… On aurait un joueur de classe mondiale en attaque, un Lewandowski ou un Ibrahimović par exemple, on pourrait vraiment espérer faire de grandes choses. Ce n’est pas le cas, il va donc falloir se baser sur un collectif soudé et qui ne ménage pas ses efforts. Et si on arrive à ne pas prendre de buts dès le début de la rencontre, alors peut-être qu’on pourra espérer quelque chose.

Le 3 mai 2016, le Kosovo est devenu le 55e pays reconnu par l’UEFA. Ça risque d’avoir un impact direct sur le futur de la sélection albanaise. Ça vous inquiète ? Ce qui est sûr, c’est que ce qui va se passer après l’Euro va être très intéressant à suivre.

Je pense sincèrement que la future équipe du Kosovo a un bel avenir et on assistera à de jolies surprises de la part de cette équipe sur la scène européenne.

Je pense que de nombreux joueurs kosovars qui sont actuellement dans le groupe albanais vont choisir de défendre les nouvelles couleurs du Kosovo, c’est normal. Mais il faut bien l’avouer, c’est une très mauvaise nouvelle pour notre sélection, car on va perdre de très bons éléments. Or, si l’on doit puiser dans le championnat albanais pour peupler la sélection, ça va être compliqué de retrouver le niveau qui est le nôtre aujourd’hui, car le championnat national ne produit pas encore de joueurs de haut niveau. Tandis que le Kosovo, lui, a un vrai réservoir de joueurs talentueux. Ils ont été formés dans de bons clubs européens et ont une vraie mentalité taillée pour le football professionnel de haut niveau. Je pense sincèrement que la future équipe du Kosovo a un bel avenir et on assistera à de jolies surprises de la part de cette équipe sur la scène européenne.

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Propos recueillis par Aymeric Le Gall

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