Aucun manager noir pour 92 clubs professionnels, puis deux, Chris Powell à Huddersfield et Keith Curle à Carlisle, intronisés en cours de saison… Pour la PFA et son président Gordon Taylor, la proportion de techniciens noirs ou issus d’une minorité est trop faible dans le football professionnel anglais, où l’on compte pourtant un quart de footballeurs noirs. Dans un communiqué officiel publié fin septembre, le président du syndicat des joueurs anglais avait évoqué « une résistance cachée » et la nécessité d’amener le problème au niveau politique.
Au nom de la PFA, vous avez officiellement dénoncé « une résistance cachée » au sein du foot anglais à l’égard des managers noirs. Une manière détournée de dire que l’univers du ballon rond anglais est raciste ?
J’ai simplement pointé du doigt les faits. Au début de l’actuelle saison, il n’y avait aucun entraîneur noir au sein des 92 clubs de notre football. C’était vraiment décevant, car sur le terrain de jeu, nous avons environ 25% de joueurs noirs. La plupart des joueurs professionnels veulent rester dans le monde du football après leur retraite sportive, alors nous les encourageons à passer les diplômes d’entraîneur de l’UEFA. L’objectif est de les faire accéder à différents postes de manager ou membre de staff technique, quel que soit le niveau. La proportion d’hommes de couleur qui accèdent à ces postes est trop basse. L’idée est donc d’encourager l’établissement de procédures de recrutement plus transparentes, sur le même modèle de ce qui a été appliqué dans le foot US, avec la Rooney Rule. Les Américains ont vu que la proportion de techniciens noirs étaient trop faible par rapport au nombre de bons joueurs. Ils ont donc trouvé une solution. La question n’était pas d’instaurer des quotas, mais de chercher à être plus « inclusif » dans le processus de sélection, et d’inclure au moins un candidat noir ou issu d’une minorité.
Et ça donne quoi ?
Bientôt 12 ans après sa mise en pratique, on constate que cette règle a donné l’opportunité à de nombreux coachs noirs ou de minorités d’accéder à des postes d’entraîneur. Certains ont accédé aux plus grands honneurs dont la victoire en Super Bowl (à l’image de Mike Tomlin, plus jeune entraîneur à remporter un Super Bowl en 2009 avec les Pittsburgh Steelers, dont il est encore le coach aujourd’hui, ndlr). En Angleterre, on a beaucoup de travail de lobbying à accomplir pour arriver à cela. On a déjà fait du lobbying auprès du gouvernement, de la Ligue de football. On a un rendez-vous fixé avec le ministre des Sports, et la Ligue de football a annoncé qu’elle allait revoir ses positions sur ce problème. Il y a des signes encourageants, et nous pensons, à la PFA, que c’est une question importante, car notre syndicat travaille depuis trois décennies à lutter contre le racisme et promouvoir l’égalité des chances. Nos combats concernent le football féminin ou encore la lutte contre l’homophobie. Ce que nous demandons pour les techniciens noirs et issus de minorités est partie intégrante de cette campagne-là.
Un équivalent de la Rooney Rule peut être adoptée en Angleterre ?
Je l’espère parce que les procédures de recrutement d’entraîneur dans le football anglais sont vraiment ad hoc. Les politiques de recrutement ressemblent à des portes tournantes : très peu de managers restent dans un club sur une période relativement longue, juste une ou deux exceptions comme Arsène Wenger à Arsenal. Il y a aussi plus d’une centaine de contentieux entre des clubs et leur ancien entraîneur qui se règlent dans les tribunaux, ce qui coûte beaucoup d’argent à notre football. Nous disons donc que chaque entraîneur en Premier League doit avoir la licence pro UEFA, et que chaque division doit exiger un niveau de diplôme spécifique. Si les « qualifications » requises sont transparentes, le processus de recrutement sera plus transparent également.
Il faudrait que les clubs aient à puiser dans un annuaire d’entraîneurs disponibles
Et à terme les clubs auront à se justifier quant à leur choix d’entraîneur ?
La seule chose que nous demandons pour le moment est de tenter d’améliorer la situation en considérant les candidats de minorités. Expliquer le pourquoi de leur choix ? Non, car les candidats qui n’ont pas été retenus n’ont sûrement pas envie qu’on l’explique publiquement. Cela peut mettre mal à l’aise. Mais il faut que le football professionnel – la Ligue, la Fédération, l’association des entraîneurs – soit au courant de qui est « interviewé » pour chaque poste. Il faudrait que les clubs aient à puiser dans un annuaire d’entraîneurs disponibles.
C’est une manière de promouvoir les entraîneurs noirs et issus d’autres minorités en montrant qu’ils existent ?
Oui, leurs noms et disponibilités sont visibles sur le radar, les clubs ont plus facilement conscience des choix à leur disposition. Eux également, s’ils sont dans le « circuit » , seront informés plus rapidement si une place se libère, et pourront se présenter.
José Mourinho a récemment dit que le racisme n’existait pas dans le football, que les meilleurs trouvaient toujours du travail…
José Mourinho est un entraîneur au sommet de la pyramide. Il a réalisé des choses qui lui apportent beaucoup de crédit personnel, mais son opinion ne concerne que son expérience personnelle. L’évidence nous montre que le racisme existe dans le football : combien de problèmes en Europe de l’Est, dans certains pays comme l’Espagne ou l’Italie ? En Angleterre, il y a toujours des signes de racisme, parfois dans les tribunes… Mais pour la majeure partie, les footballeurs noirs ont été acceptés en Angleterre, on peut en être fier. Mais le fait est que le nombre de managers noirs en poste est beaucoup trop faible en comparaison de l’intégration réussie des footballeurs noirs, mais aussi par rapport au nombre de techniciens noirs qualifiés disponibles. Actuellement, il n’y en a que deux en poste dans le football anglais : Chris Powell, ancien international anglais et coach de Charlton en Championship qui a été nommé à Huddersfield Town, et Keith Curle, lui aussi ancien international anglais qui vient d’être nommé à Carlisle, en League 2, notre quatrième division. J’ai entendu les propos de José Mourinho, et cela m’a rappelé que certains disaient exactement la même chose à propos des joueurs noirs quand il n’y avait pas de joueurs noirs sur les terrains. C’est grâce aux efforts pour encourager l’égalité des chances et l’anti-racisme que la situation a évolué, mais on doit encore insister pour que cela concerne également les entraîneurs. Même au niveau des directions des clubs et des instances dirigeantes, il y a trop peu de noirs…
Andy Murray a bien pris une femme comme coach
Peut-on penser qu’il manque un entraîneur de couleur ayant réussi pour jouer le rôle du pionnier ? Un grand joueur comme Paul Ince, par exemple, a moins de succès comme coach…
Je peux me souvenir d’un de vos anciens grands joueurs, Jean Tigana, qui a réussi à Fulham, ou encore de Ruud Gullit, passé par Chelsea et Newcastle. À plusieurs occasions, on a eu des recrutements d’entraîneurs noirs étrangers, mais pas assez souvent des techniciens issus du système domestique.
Aujourd’hui, vous défendez les minorités. Dans le futur, peut-on imaginer que vous meniez le même type de combat pour la présence de femmes à la tête de clubs de Premier League ? En France, Clermont a installé une femme comme entraîneur…
J’ai vu ça, c’est une bonne question. Actuellement, la PFA s’occupe des équipes nationales féminines et compte des membres dans la Super League féminine. Il y a de bons coachs dans le football féminin aujourd’hui. Je pense à Hope Powell, qui a dirigé l’équipe d’Angleterre avec succès (sélectionneur de l’Angleterre de 1998 à 2013, elle a atteint la finale de l’Euro 2009 et aurait pu être la première femme à entraîner une équipe masculine en Angleterre la même année, à Grimsby Town, ndlr). Il n’y a pas de raison pour que les femmes n’aient pas le droit aux opportunités dans le football masculin. En tennis, Andy Murray a bien pris une femme comme coach (Amélie Mauresmo, ndlr).
Pour la question du faible nombre d’entraîneurs noirs dans le foot anglais, mais aussi pour la question des quotas de joueurs anglais que vous voulez imposer en Premier League, vous avez amené le débat dans la sphère politique. Aujourd’hui, le football anglais n’est donc plus capable de régler ses problèmes seul ?
Je crois que dans un monde idéal, ces questions devraient rester dans le football et être résolues dans le football. Mais à de nombreuses occasions, et pour de nombreux sujets, que ce soit le football amateur, la modernisation des stades, la sécurité, c’est compliqué. Dans ce pays, le football est le sport numéro un en tant que spectacle, mais aussi en tant que pratique. C’est le cas dans beaucoup d’autres pays, mais aucun n’a autant de clubs professionnels que le nôtre, aucun n’a autant de joueurs professionnels, aucun ne nous dépasse en termes d’affluences cumulées dans les stades… Le football est partie intégrante de notre vie sociale, le football œuvre énormément pour nos communautés. C’est pour cela que j’estime qu’une grande partie des problèmes liés au football doit être traitée et résolue au niveau parlementaire, afin de développer un système meilleur et plus juste.
Les supporters d’Anderlecht vont braver l’interdiction de déplacement de l’UEFA