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Jouer sans attaquant, pourquoi et comment?

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Jouer sans attaquant, pourquoi et comment?

Mardi soir, Di Matteo décide de laisser Torres sur le banc et d’affronter la Juve sans numéro 9. Comme la sélection espagnole, le Barça ou encore le PSG avant lui. Une tendance forte, mais pas à la portée de tout le monde. Comment joue-t-on sans attaquant ? Pourquoi, et pourquoi pas ?

Dans les années 1990 et au début des années 2000, le football s’est enrichi auprès du 4-4-2 d’Arrigo Sacchi, de Sven-Göran Eriksson ou encore de Fabio Capello. Ce sont les années des grandes paires d’attaquants : Ronaldo-Zamorano, Yorke-Cole, Shevchenko-Inzaghi ou encore Trezeguet-Del Piero. Puis certains adeptes de la pointe unique se sont imposés vers le milieu des années 2000 : Wenger, Benítez, Mourinho… C’est le retour du rôle d’ailier et la fin du trequartista derrière les deux pointes. Assiste-t-on maintenant à une nouvelle ère, sans pointe ?

L’échec de Chelsea, la démonstration espagnole et les autres

Jusqu’à mardi dernier, les équipes qui faisaient le choix de se priver d’une pointe partageaient la volonté de contrôler la possession. Pour vulgariser le schéma, il s’agit de rajouter un milieu offensif habile et d’enlever un buteur plus maladroit à la construction et moins mobile autour de la surface. Plus de vitesse, plus de technique, plus de possibilités de déséquilibrer le bloc adverse, quitte à perdre en finition. À l’Euro, Del Bosque a (souvent) préféré Fàbregas à Torres. Les dangers sont alors venus de Pedro et Iniesta sur les côtés, ainsi que des percées axiales de Xavi et Cesc, ou latérales de Jordi Alba. Mardi, face à la Juve, Di Matteo a fait le choix de n’aligner aucune pointe, mais sans vouloir contrôler la possession. En clair, l’Italo-Suisse a installé un plan de jeu basé sur la contre-attaque et la vitesse de ses trois milieux offensifs. Sans profondeur. Sans point de référence pour faire remonter le bloc.

D’où une contradiction fondamentale. Di Matteo aurait oublié un principe simple : avec moins de finition, il faut plus d’occasions. Ou alors espérait-il provoquer la chance et marquer sur cette première occasion de Hazard… En face, le schéma de la Juve est aussi innovateur, tant le danger provient plus souvent de Marchisio et Vidal dans l’axe, ou Lichstcheiner et Asamoah sur les côtés, que des attaquants bianconeri. Finalement, ces nouveautés sont la suite logique de la révolution entamée par Guardiola à la sortie de l’hiver 2010, quand Messi fut progressivement placé en « faux 10 » . Il y eut le 2-6 au Bernabéu, suivi de diverses tentatives de copie du système.

La modernité et Messi, Zlatan, Benzema, Van Persie…

En fait, la question du rôle de la pointe est devenue fondamentale aujourd’hui en Europe. Les dézonages de Benzema avec les Bleus, la fausse position d’attaquant de Cristiano Ronaldo, la concurrence Van Persie/Huntelaar aux Pays-Bas, le rôle de David Villa au Barça… Les interrogations s’accumulent. Selon Diego Simeone, cette disparition progressive du pur 9 est en lien direct avec la recherche de la possession : « Avec tout ce que l’on fait autour de la possession, on s’éloigne toujours plus des « tueurs » qui, eux, apportent moins de possession. » Mais lorsque l’on évoque les multiples décrochages de Zlatan, Benzema, Rooney ou Van Persie, on ne peut s’empêcher de les ramener à leur capacité à tout faire. Pourquoi se limiter à attendre le ballon quand je sais moi-même l’amener au but ?

L’an passé, le PSG s’est souvent basé sur le trident Nene-Pastore-Ménez, sans vrai attaquant. En attendant Zlatan ? Pas vraiment. La position que le Suédois occupe au PSG est intéressante : loin d’être un 9 classique qui vit sur la ligne du hors-jeu, Zlatan a l’habitude de décrocher « en 10 » pour jouer face au but et laisser les deux « ailiers » (Ménez, Lavezzi, Nene) prendre la profondeur comme deux vraies pointes et lui libérer des espaces. Si cette configuration multiplie les menaces, elle n’empêche pas une certaine perte d’équilibre : à la perte de balle, les trois attaquants sont déjà effacés. Dans l’autre schéma (à une pointe), les deux attaquants de côté peuvent participer à la récupération, comme l’ont montré les exemples du Chelsea du Mou ou du Liverpool de Rafa. Malgré notre époque « tiki-takiste » , on préfère parfois perdre le contrôle de la possession pour donner plus d’influence à un certain type de joueurs.

Des nouveaux attaquants, pour des nouveaux schémas

D’une part, il y a le développement de certains schémas de jeu très ambitieux en matière de contrôle du jeu, qui se servent de moins en moins des dons de buteur et de placement des 9 à l’ancienne. D’autre part, il y a l’émergence d’une nouvelle sorte de buteurs ultra-complets et mobiles, capables de construire, finir et distribuer. Quand Huntelaar sait marquer, Van Persie sait marquer et construire. À City, la situation est similaire avec la domination des deux polyvalents Tévez et Aguëro. D’ailleurs, Fàbregas prenait la presse espagnole à contre-pied cet automne, en dévoilant qu’ « en fait, quand on dit que je joue faux 9, moi, sur le terrain, j’essaye de jouer comme un vrai 9 » . Les milieux offensifs s’adaptent pour couvrir du mieux possible le rôle de buteur, tout en conservant leurs qualités de constructeurs.

Enfin, il faut ajouter que cette tendance est surtout dominante en Espagne. L’Italie reste le royaume des matadores, avec la longue liste des Milito, Cavani, Klose, Osvaldo, Pazzini, Denis ou même encore Luca Toni… Le Bayern ne compte pas moins de trois purs 9, tandis que l’Angleterre des deux Manchester n’a pas encore abandonné le 4-4-2. Comme l’a montré l’échec de Chelsea, très peu d’équipes peuvent se permettre un tel schéma de jeu. Et à l’Euro, le manque de finition de la Roja a failli coûter cher à celle qui reste pourtant l’équipe la plus organisée au monde. La possession a un prix…

Par Markus Kaufmann
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