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Infiltrations : la piqûre de rappel

Par Nelio Da Silva
Infiltrations : la piqûre de rappel

Le drame qui a frappé Bruno Rodríguez, amputé d'une jambe à la mi-mars, remet en question les infiltrations aux corticoïdes, devant un potentiel problème de santé publique. Entre tabous et fantasmes, cette pratique a longtemps fait partie intégrante du quotidien de certains joueurs, et il reste à déterminer quelle place elles tiennent encore aujourd'hui. Dans tous les cas, ces piqûres suscitent plus d’interrogations qu’elles n’y répondent.

Décembre 2005, sur un terrain enneigé du nord-est de l’Angleterre, le grand gaillard qui garde les buts de Darlington en D3 anglaise percute un de ses défenseurs sur une sortie. La mi-temps ne sera sifflée que dans de longues minutes, et pendant ce temps, Bertrand Bossu souffre le martyre. À tel point que l’équipe adverse, le voyant boiter, tente sa chance directement sur un engagement. Le natif de Calais raconte : « Le coach, David Hodgson, ne mettait pas de deuxième gardien sur le banc pour gagner un joueur de champ en plus. Je n’arrivais pas à marcher à la mi-temps pour revenir aux vestiaires, je pouvais à peine poser le pied par terre. » Demander à un joueur d’enfiler les gants est inenvisageable, alors la possibilité de l’infiltration vient donc rapidement à l’esprit du staff. « Ils m’ont dit que c’était de la cortisone, il me semble. En tout cas, je ne sentais plus rien, je pouvais courir, il n’y avait plus de problème. D’ailleurs, je fais une très bonne deuxième mi-temps. » C’est quelques heures après l’infiltration que la douleur se réveille, une fois passé l’effet anesthésiant. Les radios du lendemain révéleront une fracture du métatarse pour Bertrand Bossu, et sa rémission s’avérera être beaucoup plus longue que pour une blessure ordinaire de la même nature.

« J’aurais très bien pu porter plainte »

« J’ai eu beaucoup de mal à revenir parce que l’infiltration m’avait rongé tout le cartilage. » Un sort d’autant plus cruel que Bertrand Bossu n’avait signé qu’un bail d’un an avec Darlington. Rapidement, il est notifié que celui-ci ne sera pas renouvelé, le club préférant se tourner vers un profil plus jeune et surtout d’ores et déjà capable de tenir sa place pour pallier l’absence de longue date du Nordiste. Kasper Schmeichel arrive donc durant le mercato hivernal en prêt en provenance de Manchester City. « À l’époque, j’ai été gentil, j’aurais très bien pu porter plainte. Je sais qu’ils ont eu peur. Je ne l’ai pas fait parce que je ne suis pas procédurier et que j’avais confiance en moi et en ma capacité à revenir, mais si je n’avais pas pu reprendre ma carrière, bien sûr que j’aurais porté plainte », raconte celui qui a mis dix mois pour revenir de cette blessure, là où une fracture du métatarse aurait dû ne l’éloigner des terrains que pour quelques semaines. Pourtant, dans ce cas précis, l’utilisation de cortisone pour anesthésier presque instantanément laisse perplexe Emmanuel Orhant. « Ce n’est pas un anesthésique, le délai d’action est généralement de plus d’une heure, commente le responsable médical de la FFF. Donc pour jouer 45 minutes derrière, ça me paraît compliqué. Je ne suis donc pas sûr qu’on lui ait mis des corticoïdes. » L’occasion pour l’ancien médecin de l’OL de rappeler la fonction originale de ces fameuses infiltrations de corticoïdes : « Elles permettent de traiter la douleur plutôt que de la cacher. C’est un traitement qui a une action anti-inflammatoire. Parallèlement, si on a moins d’inflammation, on a moins de douleur. Donc, la bonne pratique, c’est d’utiliser des corticoïdes à bon escient, au bon moment. »

Dans tous les cas, l’effet anesthésiant du produit injecté à Bertrand Bossu correspond à une utilisation abusive de ces infiltrations, bien trop fréquente dans un monde du foot où intérêts économiques et sportifs peuvent parfois prendre le dessus sur la raison en matière de traitement médical. « Cela revient à avoir un effet de pansement sur l’articulation, explique le Dr Orhant. À partir du moment où on a un effet pansement, sans traiter, sans phase de repos ni phase de rééducation, alors on va continuer à dégrader une articulation. » Un sparadrap sur une jambe de bois donc. Raphaël Varane lors du match de barrage face à l’Ukraine en 2013, Michel Platini pour la Coupe du monde 1986 ou encore Sergio Ramos en 2017, comme le révélait les Footballs Leaks de Mediapart, ont tous eu recours à des infiltrations pour pouvoir assurer leur place sur le terrain. Récemment, le cas de Bruno Rodríguez a beaucoup fait jaser. Dans une interview accordée à L’Équipe, l’ancien attaquant du PSG ou du FC Metz raconte le moment où il a pris la décision de se faire amputer de la jambe droite : « On a fait une dernière réunion avec les médecins. Je leur ai demandé de couper. » En proie à des douleurs persistantes, il se souvient : « Je n’avais plus d’autonomie, je ne pouvais plus conduire. Ma femme était obligée de me laver. Je ne pouvais plus travailler, donc il n’y avait plus de rentrée d’argent. » La faute à des infiltrations bien trop fréquentes pour résister aux douleurs causées par des entorses à répétition.

Mauvaise médecine et omerta

« Peut-être que chez certains médecins ou dans certains pays, c’est une bonne pratique, mais à l’UEFA, c’est ce qu’on appelle de la mauvaise médecine, explique le Dr Orhant, également membre de la commission médicale de l’UEFA. C’est pour ça que l’agence mondiale antidopage a mis les corticoïdes dans la liste des produits proscrits en compétition depuis le 1er janvier dernier. Parce qu’on cache la douleur et on continue. » Une pratique nocive pour la santé des joueurs que le progrès médical et la législation permettent de raréfier. « À l’époque, vous jouiez avec une fracture, et il fallait endormir la douleur. C’était une époque pas très clean sur tout un tas de choses », affirme le Dr Orhant. Pourtant, ces infiltrations peuvent toujours faire partie du lot d’une carrière de haut niveau ponctuée par des blessures récurrentes. Tout comme l’omerta qui les entoure. « Sincèrement, à l’époque, ce n’était pas un sujet de conversation, mais on savait que ça existait, explique Sylvain Kastendeuch. On savait que certains coéquipiers en avaient subi une. Mais de là à dire que c’était totalement répandu… » En tant que dirigeant du syndicat des joueurs professionnels, l’ancien Messin se défend d’avoir connaissance « de garçons qui souffrent davantage parce qu’ils ont subi des infiltrations ». Et d’ajouter que « le cas de Bruno(Rodríguez, NDLR)est très particulier ». Même si l’UNFP travaille sur la mise en place d’« un service assez global sur la protection globale du joueur, et ces dimensions-là entreront en compte. Ce n’est pas à la suite de ce qui est arrivé à Bruno, loin de là, mais ce sont des choses que l’on va mettre en place. » Le sujet touche le foot, et les instances ont intérêt à le prendre à bras le corps : « Forcément, une carrière de haut niveau laisse des traces, plus que pour le commun des mortels », concède Kastendeuch. Arthur Schopenhauer avançait que « la plus grande sottise de l’homme est d’échanger sa santé contre n’importe quel avantage ». Fallait-il déjà savoir que, la plupart du temps, cet avantage se transforme en handicap.

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Par Nelio Da Silva

Tous propos recueillis par NDS, sauf Bruno Rodríguez tirés de L'Équipe.

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