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Hakim Ziyech, itinéraire d’un enfant pas gâté

Par Adel Bentaha et Tom Binet
11 minutes
Hakim Ziyech, itinéraire d’un enfant pas gâté

Au moment de défier le Real Madrid ce mercredi soir en Ligue des champions, Thomas Tuchel et Chelsea savent qu'ils pourront s'appuyer sur la patte gauche et le caractère à toute épreuve de l'élégant Hakim Ziyech. Après avoir perdu son père dès l'âge de dix ans et vu deux de ses frères passer par la case prison, l'international marocain a traversé son adolescence aux Pays-Bas en slalomant entre les embûches pour finir par vivre son rêve : devenir footballeur professionnel. Et tant pis s'il a fallu couper les ponts avec sa famille. Portrait d'un incompris.

« Je ne reviendrai pas en sélection. C’est ma décision finale. Tout est clair pour moi. Je me concentre maintenant sur mon club. » Début février, Hakim Ziyech annonçait la couleur : il ne remettrait plus les pieds en sélection marocaine. Le voilà donc qui s’arrête à 17 pions, 40 capes et pas mal d’embrouilles sous le maillot des Lions de l’Atlas. De quoi entretenir la réputation d’un garçon qui n’en est pas à son coup d’essai en matière de controverse. « Je ne peux pas convoquer un joueur qui peut exploser le groupe, même s’il s’appelle Lionel Messi, balançait encore Vahid Halilhodžić après l’élimination des siens à la CAN, cet hiver. Aimé Jacquet et Didier Deschamps sont devenus champions du monde en écartant les meilleurs joueurs. Je ne suis pas le premier à faire cela. » On ne sait pas si le Maroc soulèvera la Coupe du monde en décembre prochain, mais si cela devait être le cas, cela se fera sans Hakim Ziyech. Mettre un terme à sa carrière internationale à 29 ans et de cette façon aurait plombé le moral du commun des mortels. Hakim Ziyech n’est pas le commun des mortels. Pour lui, il s’agit d’un coup dur comme un autre. Un peu comme celui qu’il encaisse à 11 ans, lorsqu’on lui annonce qu’il n’a pas sa place au centre de formation de l’Ajax.

C’est à Heerenveen que le jeune homme part donc faire ses classes, avant de découvrir le monde professionnel 8 ans plus tard avec l’équipe première, un soir de barrage de Ligue Europa contre le Rapid Bucarest. Il signe ce soir-là sa première passe décisive chez les grands sans savoir qu’un jour, il deviendra l’unique joueur à terminer cinq fois de suite meilleur passeur d’Eredivisie. Il est d’ailleurs aujourd’hui le meilleur passeur de l’histoire du championnat néerlandais. Sa montée en puissance à Heerenveen l’oblige à rejoindre Twente, où sa deuxième saison se termine avec le brassard de capitaine autour du bras. Élu meilleur joueur dans ces deux clubs, Ziyech fait l’unanimité aux Pays-Bas. Il a coché toutes les cases pour revenir en fanfare à Amsterdam, en 2016, soit 9 ans après s’être fait recaler du centre de formation. Un aboutissement ? Tout le contraire : le début des choses sérieuses.

Un jour, on va jouer un match à Aberdeen. Pendant le voyage, on m’appelle pour m’annoncer que ma maman est décédée. Hakim avait connu cette situation, donc il est venu me voir pour me consoler, me dire de garder la tête haute et de me battre. Il a été d’une grande aide pour moi.

La famille d’abord

Dernier d’une fratrie de huit frères et sœurs, Ziyech grandit dans le nord des Pays-Bas, à Dronten. Une famille frappée par le drame, alors que le jeune Hakim n’a que 10 ans : son père décède des suites d’une sclérose en plaques, laissant l’enfant face à ses démons. Ou presque, puisqu’il va s’appuyer sur sa famille pour s’en sortir. « La situation à l’époque faisait qu’il était proche du reste de sa famille, il avait de nombreux frères et sœurs. Et puis tout le monde a pris soin de lui, les gens qui étaient autour de l’équipe. Ce n’était pas toujours facile, mais beaucoup de gens l’ont aidé », rejoue Jan de Jonge, qui fut son coach au sein de l’académie d’Heerenveen. Une décennie plus tard, Ziyech évolue à Twente, et le destin le conduit à endosser le rôle de celui qui console son coéquipier Shadrach Eghan. Le Ghanéen raconte : « C’était un jour où on allait jouer à Aberdeen. Pendant le voyage, on m’appelle pour m’annoncer que ma maman est décédée. Hakim avait connu cette situation, donc il est venu me voir pour me consoler, me dire de garder la tête haute et de me battre. Il a été d’une grande aide pour moi à ce moment-là. »

Entre-temps, le futur feu follet de Chelsea voit deux de ses frères condamnés à des peines de prison pour cambriolage. Heureusement, l’aîné de la fratrie, Faouzi, le prend sous son aile. « Je me sentais responsable d’Hakim, je lui ai donné toutes les chances, les opportunités et je l’ai protégé des grosses erreurs, sinon il aurait été un autre talent gâché, lâche l’intéressé à Foot11. Après 3 ans, il est allé dans une famille d’accueil. C’était mieux pour lui, il n’était pas toujours sérieux. Un jour, il a voulu arrêter, alors je l’ai poussé à continuer et à faire mieux. » Jeffrey Talan, lui aussi entraîneur de Ziyech pendant plusieurs années du côté d’Heerenveen, renchérit : « Hakim venait à chaque entraînement avec son frère Faouzi, ils étaient très complices. Son frère ne manquait pas une séance et lui donnait beaucoup de conseils. Pareil avec sa maman, qui était très présente. Il passait ses journées à leurs côtés. »

C’est peu dire que le lien entre les deux frères semble désormais brisé : « Il fut un temps où quand il avait besoin de moi, j’étais plus qu’un père pour lui, confie Faouzi, déçu de la tournure des événements. C’est la personne la plus ingrate du monde. Je n’ai pas de mots gentils à dire sur lui. » S’il refuse aujourd’hui de parler de son ancien protégé, Aziz Doufikar, premier Marocain à avoir joué en Eredivisie dans les années 1980, s’est également impliqué pour permettre au jeune Hakim de se diriger vers le football. Pour le plus grand bien de celui qui usait ses pompes sur le bitume de Dronten depuis l’âge de 5 ans.

Drogue, sorties nocturnes et rédemption

Car de la vie, « de kleine Hakim » (le petit Hakim en VF) en a longtemps essuyé les méfaits. Privé de cet ancrage paternel tant chéri, l’adolescent s’est en effet laissé glisser sur une pente descendante, comme happé par la fatalité. À 16 ans, entre consommation de drogue (cocaïne, surtout), sorties nocturnes ou petits délits, celui à qui l’on promettait le meilleur se retrouve pris dans l’étau d’un tunnel obscur, frôlant la prison à maintes reprises. En froid avec sa famille d’accueil, le rebelle fait le mur, arrête l’école, et se perd dans la déchéance nocturne. Mais se laissant le droit de rêver, il s’efforce de conserver un endroit vierge de toute noirceur : le terrain. Ultime porte de sortie, le football s’est naturellement mué en refuge. « Il revenait d’une période personnelle difficile. Mais en dehors de ses entraîneurs, personne ne le savait. Il tenait d’ailleurs à ce que ces problèmes personnels ne se répercutent pas sur ses coéquipiers, narre Jeffrey Talan. C’était sa vie et il tenait à garder les autres loin de cela. » Conscient de devoir s’élever, seul, « comme un homme », la boule de nerfs s’est dès lors résignée à changer.

C’était impressionnant de voir à quel point la facilité qu’il rencontrait sur le terrain tranchait avec les soucis qu’il pouvait avoir en dehors.

À Heerenveen, couvé par un Aziz Doufikar qui refuse de voir son poussin couler, le futur prodige se reprend en main, entre tournois de futsal et séances individuelles. « À 16, 17 ans, il a radicalement changé, poursuit Talan. Le football était devenu une priorité, et il s’est vite acharné au travail. Appliqué à l’entraînement, il s’impliquait sur chaque séance. C’était impressionnant de voir à quel point la facilité qu’il rencontrait sur le terrain tranchait avec les soucis qu’il pouvait avoir en dehors. » Poussé par le frangin Faouzi, qui se décrit pourtant comme plus fort que lui, Hakim s’est doucement sorti de ses galères. Jan de Jonge : « Quand vous perdez votre père, vous pouvez peut-être plus facilement commettre certaines erreurs, notamment en ce qui concerne la vie sociale. Je pense que c’était très bien pour lui de se focaliser sur le football, parce qu’on prend soin les uns des autres. Ça l’a aidé à surmonter cette situation. » Une période terrible qu’a également vécue Shadrach Eghan : « Personnellement, le football a été mon échappatoire après le décès de ma mère. Vous allez vous entraîner avec vos coéquipiers, tous ensemble, cela vous occupe l’esprit. Je pense que cela a été plus ou moins la même chose pour Hakim. » Baromètre d’un parcours malheureusement propre à de nombreux gamins sollicités par la rue, la résistance mentale a forgé Hakim Ziyech.

Voué à devenir professionnel, le Berkani s’est d’abord attelé à trouver sa place. « Je le faisais évoluer en meneur ou en ailier gauche. L’aile gauche lui était réservée, il privilégiait ce secteur. Ça ne m’étonnait même plus de le voir aider son latéral, il le faisait naturellement », évoque Talan. De quoi faire prendre conscience de cet épanouissement naissant à ses formateurs. « À l’époque, il comprenait peu à peu ce qu’il fallait pour devenir pro », resitue De Jonge. Discours encore confirmé par Jeffrey Talan : « Il comprenait les consignes et avait un discours d’adulte. Il me disait toujours : « Coach, je vais devenir footballeur professionnel. » Pas « je voudrais devenir footballeur », mais bien « je vais ». Je ne laissais rien transparaître, mais j’étais persuadé qu’il allait réussir parce qu’il était au-dessus des autres. »

C’est un taiseux, pas du tout un râleur. Par exemple, lorsque je lui demandais de défendre, il le faisait sérieusement, alors que beaucoup d’adolescents se plaignaient de devoir faire des efforts.

Complexes physiques et détermination

Il faut dire que l’enfant de Dronten n’a jamais manqué de caractère, quitte à parfois être incompris. « On lui a collé une réputation de « forte tête », mais c’est loin d’être vrai, tient à replacer Talan. Les gens confondent surtout franchise et mauvais caractère. Je n’ai jamais eu le moindre souci avec Hakim et ses coéquipiers non plus. La seule chose sur laquelle je devais le recadrer, c’était au niveau du football. En dehors, il était quasi irréprochable. » Une image que ses brouilles passées avec Hervé Renard, ou actuelles avec coach Vahid en sélection du Maroc peuvent laisser transparaître, mais que la réalité tend à atténuer. « J’ai eu de très bonnes relations avec lui, rembobine De Jonge. Je l’ai entraîné pendant très longtemps, et c’est un gars spécial, avec une mentalité à part. Il faut savoir le manager, mais un coach qui ne sait pas gérer Hakim Ziyech n’est pas un bon coach, car si vous y arrivez, vous avez votre meilleur joueur. » Sûr de ses forces, le dribbleur fait donc vite parler son tempérament de vainqueur. « C’est un taiseux, pas du tout un râleur. Par exemple, lorsque je lui demandais de défendre, il le faisait sérieusement alors que beaucoup d’adolescents se plaignaient de devoir faire des efforts », ajoute Talan.

Une ligne directrice, conservée une fois arrivé chez les plus grands. À Twente par exemple. « Hakim est plutôt quelqu’un de drôle quand vous êtes avec lui, il aime faire des blagues, c’est un mec assez positif en réalité, déroule Shadrach Eghan, habitué aux parties de bowling avec son compère. Et dans le vestiaire, c’est clairement un leader. Ce n’est pas pour rien qu’à Twente, il a été notre capitaine. Au moment d’aller en salle de gym, il s’assurait que tout le monde en fasse de même. Parfois, certains joueurs sont un peu en retard et traînent des pieds, mais lui, il faisait en sorte que tout le monde fasse les choses correctement. » Des qualités primaires, loin de ne lui avoir servi qu’à haranguer ses coéquipiers. Difficilement concurrencé balle au pied, Ziyech le surdoué a en effet dû se résoudre à faire de son cerveau l’arme ultime de sa carrière au plus haut niveau, afin de contrebalancer une condition athlétique peu favorable.

La principale chose que j’ai à dire, c’est qu’il n’a pas changé en tant qu’être humain. Je crois pouvoir dire que son âme d’enfant est toujours en lui.

Artisan majeur du style qu’on lui connaît aujourd’hui, Jeffrey Talan détaille le façonnement de son poulain. « Durant ses années de formation, il était complexé par ses lacunes physiques. Il pensait que ça allait freiner sa progression. Je lui faisais d’ailleurs rarement jouer 90 minutes, car il n’arrivait pas à tenir le rythme. Alors, on lui a fait des séances pour travailler son placement et éviter les duels, puisque son problème résidait dans sa volonté à jouer chaque ballon. Bilan : il se faisait bouger à chaque fois et passait son temps au sol. » Travaillant avec sa tête, l’intéressé a ainsi dû se résoudre à abandonner un peu de sa combativité, au profit d’une intelligence qu’il pensait enfouie. Talan poursuit : « Je me souviens d’une opposition en jeunes, durant laquelle il faisait face à des adversaires beaucoup plus imposants que lui. Il n’arrivait pas du tout à jouer. Je l’ai attrapé et lui ai dit : « Hakim, en allant à la confrontation avec eux, tu vas te faire manger tout cru. Utilise ton cerveau et esquive-les. » Ça a créé un déclic chez lui. Il a arrêté de jouer avec son corps et s’est mis à travailler son jeu d’évitement. Son intelligence, celle que l’on connaît aujourd’hui. »

En 2022, Hakim Ziyech, bientôt trentenaire, est effectivement devenu la personne qu’il se voyait secrètement être. Une personne têtue pour certains, confiante pour les autres, mais certainement pas un méchant garçon. Mieux, il s’est hissé au rang des meilleurs, pas pour rien qu’il a fini par rafler la Ligue des champions en 2021 avec Chelsea deux ans après l’épopée qui avait conduit l’Ajax dans le dernier carré. Un exploit d’autant plus louable pour celui qui, en fin de compte, n’a pas tant changé que ça. « C’est devenu un joueur très intelligent, qui a réussi à se frayer un chemin jusqu’au haut niveau avec un corps d’adolescent. Je suis troublé à chaque fois que je vois l’un de ses matchs », s’amuse Jeffrey Talan, bientôt rejoint par Jan de Jonge : « La principale chose que j’ai à dire, c’est qu’il n’a pas changé en tant qu’être humain. Je crois pouvoir dire que son âme d’enfant est toujours en lui. » Un gamin prêt à faire plier les géants du Real Madrid.

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Tous propos recueillis par AB et TB, sauf mention.

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