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Équipe de France : ramener le groupe à la raison

Par Mathieu Rollinger, à Split
5 minutes
Équipe de France : ramener le groupe à la raison

De passage à Split lundi soir, l'équipe de France a présenté un nouveau visage : celui formé par ses habituels seconds couteaux. La démarche avait autant pour but de faire souffler des cadres éreintés que d'offrir un coup de projo à des hommes habitués à l'ombre. Forcément, certains ont été aveuglés, mais derrière le résultat nul (1-1), la soirée a été nourrie de quelques enseignements.

En Croatie, sur chaque menu mal traduit, l’entrée « moules françaises » renvoie inévitablement vers les palourdes. Certes ces mollusques sont diablement communs sur les rivages de l’Hexagone, mais ils auraient été massivement importés du Pacifique dans les années 1970. Reste que si on tient à trouver une explication à ce raccourci, les Bleus ont réussi à lui donner une autre bonne raison. Ce stade Poljud de Split à la forme de coquillage, accroché sur le bord de l’Adriatique, a eu la primeur de découvrir une composition, avec une belle flopée de pousse-pied prêts à se faire rincer. Dans la bourriche, on trouvait des anciens en quête de second souffle (Pavard, Rabiot, Kimpembe), des éternels remplaçants (Maignan, Digne) ou remplaçants du remplaçant (Ben Yedder), des jeunes à dégrossir (Saliba, Guendouzi, Diaby, Nkunku) et un seul rescapé de la dernière partie de pêche contre le Danemark (Tchouaméni).

Au premier abord, rien de follement appétissant pour tous les estomacs espérant avaler les trois points et lancer enfin cette session de juin. Dix nouvelles têtes d’un match à l’autre, Deschamps ne s’y était jamais risqué. « Il y avait beaucoup de changements, contraints et forcés par les soucis rencontrés par certains joueurs », s’est défendu le sélectionneur, conscient de l’état de fatigue de ses habituels titulaires. Qu’importe. La nappe à carreaux croate était dressée, la star locale de schlager Mišo Kovač en fond sonore et Luka Modrić ayant l’honneur de présider pour sa 150e sélection, prêt à engloutir le plateau de crustacés. Rien de copieux : en cumulé et au coup d’envoi, le onze tricolore ne comptait que 23 capes de plus que lui. « Ce n’est pas une excuse, mais il y a forcément eu moins d’automatismes », a rebondi l’amiral français. Et les premières minutes du match l’ont confirmé : ces Bleus avaient le pas lourd et se recroquevillaient au moindre coup de pic des Vatreni. Faut-il s’arrêter sur cette impression ? Certainement pas, ce serait sous-estimer le métabolisme et l’instinct de survie de ces petites bêtes.

Une coquille pas si vide

Malgré les apparences, cette équipe expérimentale avait du goût. En effet, contrairement à ce qui se trempe habituellement allègrement dans la mayonnaise, ça cogite sous la carapace, au point d’avoir laissé passer les déferlantes croates pour mieux naviguer en sous-marin ensuite. Et pendant que Budimir ou Kovačić s’étranglaient devant les retours désespérés de Saliba et Kimpembe, c’est Vida qui secouait trop fort Nkunku. Comme des mouettes s’acharnant sur un bulot, la bande de Dalić n’a plus vu d’autre solution que des coups de bec pour tenter de déstabiliser ces joueurs qui passaient entre les mailles de son filet. Une fois « les problèmes de communication réglés » (dixit Digne), Tchouaméni a alors retrouvé progressivement sa justesse et son peps, Guendouzi en avait fini de mouliner dans le vide, Diaby a pu se mettre face au jeu et Nkunku pouvait sentir les bons coups. L’ensemble restait fragile et tâtonnant, mais a été récompensé par une action menée par deux hommes en difficulté. Décidés à passer l’éponge sur leur piètre prestation, Adrien Rabiot s’est appuyé sur Wissam Ben Yedder — enfin déterminé à décrocher — pour aller inscrire son second but en sélection.

Si le Duc s’est retrouvé dans un rôle matuidesque, il ne fallait pas pour autant y voir un réchauffé du Mondial 2018. Le 3-4-3 adopté sur les dernières sorties a effectivement été amendé, mais seulement pour y mettre « chaque joueur dans les meilleures dispositions », à écouter Deschamps. « Et dans ce système, c’était le cas. L’animation offensive, on peut toujours l’améliorer. Défensivement, la profondeur, on peut rencontrer ce problème à trois, quatre ou cinq… Je changerai peut-être encore de système au prochain match, je ne suis pas figé. Ça n’enlève rien à ce qu’on fait avant, mais c’est le moment de tester des choses. Ces rencontres sont avant tout des matchs de préparation, l’occasion d’avoir plus de réponses. » Des réponses, voilà ce qu’est venu chercher le sélectionneur. Sauf que dans son épuisette, d’autres questions ont émergé. Une fois l’effet « fraîcheur » de cette troupe new look consommé, la houle a repris de plus belle. La légende Modrić remise au placard, des remplaçants assoiffés ont profité des dernières dix minutes pour montrer qu’avaler cette équipe A’ n’avait rien d’insurmontable. Ainsi Kramarić, Sučić et Vlasić ont porté les estocades pour remettre les têtes françaises sous l’eau.

Apportez le rince-doigts

Au moment de l’addition, faut-il pour autant condamner les douzième, treizième ou vingt-deuxième hommes ? Certainement pas. Malgré son penalty concédé, l’entrant Jonathan Clauss n’a rien perdu. William Saliba n’aura au pire qu’emmagasiné une expérience utile lorsqu’il devra seconder Varane, Koundé voire Konaté, alors qu’on regrettait il y a moins de deux ans le manque d’axiaux droitiers. S’il doit tout de même se poser des questions sur la place à donner à des garçons comme Pavard ou Rabiot (ex-titulaires en perte de vitesse) ou sur l’utilité de Ben Yedder dans son casting, Deschamps y voit aujourd’hui plus clair. Kimpembe et Digne sont toujours de solides alternatives, Maignan sera un futur grand numéro 1, Tchouaméni a les cannes pour devenir un titulaire très prochainement s’il ne l’est pas déjà, Nkunku a les épaules pour rentrer dans la rotation. D’ailleurs, cela n’a pas échappé à Zlatko Dalić, son homologue croate : « Didier Deschamps a la chance d’avoir une bonne réserve, une deuxième équipe très performante. La preuve : il y avait là le meilleur joueur de Bundesliga. » Une sélection n’a jamais été uniquement un noyau de onze bonhommes. Il faut savoir laisser l’espace à d’autres éléments de s’y exprimer, revendiquer, défaillir, pour trouver de nouveaux équilibres, de nouvelles associations. En somme, il faut savoir prêter l’oreille à son réservoir, aussi riche soit-il. Et ce lundi, il y a fort à parier que, comme avec un coquillage, on pouvait y entendre le bruit de la mer. Le signe d’un heureux présage ?

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