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Byron Moreno, l’arbitre qui a gâché le Mondial 2002

Par Maxime Marchon et Marc Hervez
Byron Moreno, l’arbitre qui a gâché le Mondial 2002

Accusé par toute l’Italie de l’avoir volée lors d’un huitième de finale perdu contre la Corée du Sud à domicile en 2002, l’arbitre équatorien Byron Moreno a fini par se faire coffrer, huit ans plus tard, alors qu’il tentait d’introduire six kilos d’héroïne sur le sol américain. Retour sur le parcours folklorique d’une grande bouche qui n’en était pas à sa première erreur de jugement.

On l’appelait « Le Justicier ». Pourtant, dans la nuit du 20 au 21 septembre 2010, peu après minuit, Byron Moreno est tombé entre les mains de la justice américaine, dans un terminal de l’aéroport JFK de New York City. L’ex-sifflet international équatorien descendait du vol 700 de la compagnie Aerogal – contraction de Aerolineas et Galapagos – reliant Guayaquil à la Grosse Pomme avec 6 kilos et 205 grammes d’héroïne sur lui. L’équivalent d’un demi-million de dollars de dope « de bonne qualité », selon les autorités US, répartis en dix petits sachets transparents scotchés sur son ventre, son dos et ses jambes. Une méthode vintage visiblement moins dangereuse, mais plus aléatoire que celle, en vogue en Amérique du Sud, qui consiste à ingurgiter une vingtaine de capotes en priant pour que les sucs gastriques sécrétés par la digestion n’entraînent pas la dissolution du latex. Et donc la mort par overdose. Bref, Byron Moreno est ce qu’il est convenu d’appeler une mule. Une sorte de milieu relayeur du crime organisé, payé très cher, autour de 50 000 dollars la course en moyenne, pour faire la dernière passe. Les instances judiciaires ont immédiatement prononcé l’incarcération provisoire du contrevenant, sans possibilité de libération sous caution. À ce moment-là, le natif de Quito risquait dix ans de cabane.

« Il croyait quoi, Moreno, avec sa drogue ? Qu’il n’allait pas se faire prendre ? Faut vraiment être le dernier des cons. » À plusieurs milliers de kilomètres des geôles américaines, Angelo Di Livio rigole jaune. L’ancien milieu de la Nazionalepeut bien savourer sa vengeance sur l’Équatorien, dont la tête est mise à prix de l’autre côté des Alpes. En cause, son arbitrage au soir d’un huitième de finale de Coupe du monde Italie-Corée du Sud, joué le 18 juin 2002 à Daejeon. Florilège de la prestation de Moreno ce soir-là : penalty accordé aux Coréens, carton rouge plus que litigieux envers Francesco Totti, et but en or refusé à la Nazionale pour un hors-jeu inexistant de Damiano Tommasi. Lequel a eu depuis le temps de se faire sa religion : « J’ai revu les images, nous les avons tous revues : il n’y avait pas hors-jeu, on aurait donc dû être qualifiés. » Plus que ces erreurs, les Italiens sont scandalisés ce jour-là par le comportement de Moreno qui semble, selon eux, prendre un malin plaisir à les enfoncer. « Il nous prenait de haut, très snob, alors qu’il était très gentil avec les Coréens. Il n’a jamais voulu nous expliquer aucune de ses décisions. Et à la fin du match, il a même refusé de nous serrer la main. En 2002, ce n’est pas dans le slip qu’il avait ses six kilos d’héroïne, mais plutôt dans le corps », se remémore Di Livio. Dès le lendemain du match, la polémique enfle. L’arbitre aurait pu faire profil bas, il préfère venir affronter la presse italienne le sourire aux lèvres et la bedaine en évidence. Première question : « Monsieur Moreno, comment avez-vous dormi ? » Réponse : « Parfaitement bien. Je suis très satisfait de mon arbitrage et je pense qu’il m’aidera à être retenu pour le prochain Mondial en Allemagne. » Plus loin dans l’interrogatoire, l’Équatorien rappelle aux Transalpins qu’ils feraient mieux de se regarder dans la glace avant de lui chercher des noises.« Christian Vieri s’est retrouvé tout seul devant le but en fin de match, et il a tiré au-dessus. Ce n’est pas de ma faute si vous êtes sortis du Mondial. » Puis il se vante un peu : « Vous savez que j’ai une très bonne vue ? Aux tests de la FIFA, j’ai eu 20/20 à l’œil droit, et 15/20 au gauche. C’est largement supérieur à la moyenne. Et je cours le 50 mètres en 7 secondes. » Lorsqu’il se lève de sa chaise, Byron Moreno est un autre homme : la compétition n’est pas encore terminée que lui s’est déjà assuré une place dans l’histoire de la Coupe du monde. Il peut annoncer qu’il part en vacances à Miami « la conscience tranquille ». Tellement tranquille que le 12 août, l’arbitre en rajoute une couche à la télévision chilienne : « Quand Mussolini était au pouvoir, il avait prévenu ses joueurs : s’ils ne gagnaient pas la Coupe du monde 1938, ils ne pourraient pas rentrer chez eux. La vérité, c’est que les Italiens ne savent pas perdre. »

En 2002, ce n’est pas dans le slip qu’il avait ses six kilos d’héroïne, mais plutôt dans le corps.

Dans la foulée, un promoteur immobilier sicilien utilise l’affaire pour se faire un coup de com’ en annonçant qu’il baptisera du blase de l’arbitre les toilettes de l’hôtel qu’il est en train de construire. Byron Moreno choisit d’appliquer la même stratégie : la mauvaise publicité, c’est encore de la publicité. Puisque son nom fait vendre en Italie, autant en profiter. Invité à la télévision italienne, l’Équatorien accourt avec plaisir. Même si c’est pour se faire ridiculiser, danser en tenue d’arbitre au milieu de jeunes filles dénudées, se prendre un seau d’eau sur la gueule ou récolter les lazzi du public dès qu’il ouvre la bouche. Les audiences sont bonnes, la paye aussi. Adriano Aragozzini, l’homme qui a fait venir Moreno sur les plateaux de la Rai via un intermédiaire colombien, garde le souvenir d’un type prêt à tout pour l’argent : « Personne au monde avec un tant soit peu de dignité n’accepterait de se faire traiter de la sorte. Lui, ça lui allait. » Flairant lui aussi le coup fumant, Aragozzini, sorte de Gérard Louvin à la sauce carbonara, fera revenir Moreno une autre fois en Italie, quelques mois plus tard, pour une sorte de cirque fellinien mi-drôle, mi-pathétique. « C’était pour le carnaval de Cento, une petite ville près de Bologne. Je l’avais fait apparaître au balcon, et les gens lui avaient jeté des légumes et des salades au visage. Finalement, la police avait dû intervenir, mais quelqu’un avait tout de même réussi à lui jeter un œuf sur le crâne. L’une des plus belles attractions de l’histoire du carnaval. » Lors de ces interventions, Moreno accepte de lâcher du lest sur son arbitrage. Il concède que « les erreurs font partie du jeu » et balance plusieurs fois son juge de touche, qui, et c’est la pure vérité, avait levé son drapeau sur le but de Tommasi avant que l’arbitre ne porte le sifflet à la bouche. Mais Moreno continue de se battre sur un point : sa probité. Accusé de corruption, il mettra plusieurs fois les points sur les i, notamment concernant la Mercedes qu’il s’était achetée au retour du mondial. « À la Coupe du monde, j’ai reçu de la FIFA 17 500 dollars. Plus mon salaire habituel, ça fait 23 000 dollars au total. Concernant mes vacances à Miami, j’ai choisi un package très raisonnable, et j’ai dormi chez ma sœur. La voiture, je l’ai payée 12 500 dollars et je suis déjà en train de la vendre pour acheter une maison qui me laissera des dettes pour les quinze prochaines années. Qui insinue des choses sur ma conduite morale devra payer », balance-t-il en direct à la Rai. Aragozzini se souvient que durant son séjour italien, l’arbitre ne quittait jamais un attaché-case contenant un document prouvant la régularité de l’achat de sa Mercedes. « Dès que quelqu’un émettait un doute, il lui mettait la feuille sous le nez. »

Au pays, Byron Moreno peut en revanche se balader les mains dans les poches : il est reçu en héros. Lors de son premier match de reprise du championnat, il est accueilli par une standing ovation au moment de son entrée sur la pelouse. Après tout, l’arbitre est l’Équatorien qui est allé le plus loin dans le tournoi. « C’était une vedette. Il était pratiquement plus célèbre que les joueurs de la sélection. C’était un peu le Pierluigi Collina sud-américain », détaille son compatriote Bomer Fierro Chávez, qui fut son assistant durant la rencontre USA-Portugal au Mondial 2002. Byron Moreno sera pourtant vite rattrapé par son destin. À l’automne 2002, il accorde treize minutes d’arrêts de jeu lors du match entre Liga de Quito et le Sporting Club Barcelona Guayaquil. Suffisant pour que les locaux, menés au score, égalisent puis remportent la partie 4-3. Bizarrement, sur la feuille de match, l’homme en noir ne mentionne pas un temps additionnel aussi élevé. Un oubli qui lui vaudra vingt matchs de suspension. Devant la commission des arbitres, il se défend en arguant que les 90 minutes de jeu effectif n’avaient pas eu lieu, Barcelona Guayaquil faisant tout pour gagner du temps. Soit. Mais c’est surtout sa présence sur la liste des prétendants au conseil municipal de Quito pour les élections à venir qui gêne. Face à cette « coïncidence » , la FIFA décidera d’ouvrir une enquête. Sa purge consommée, Moreno ne met pas longtemps à refaire parler de lui. En mai 2003, deux matchs après sa reprise, il expulse trois joueurs du Deportivo Quito dans la même rencontre. « Son arbitrage a toujours prêté à polémique. Sur le terrain, c’était un shérif. Comme un policier qui a besoin d’user de la matraque pour se sentir puissant », analyse le présentateur TV Carlos Victor Morales, qui coanimait une émission sur le foot avec l’ancien arbitre jusqu’à son arrestation. Le mois suivant, sous la pression des dirigeants de la fédération, Byron Moreno jette le sifflet. Puis il se plante aux élections. Ne lui reste qu’une dernière casquette à brandir pour continuer dans le foot et rester au centre de l’attention : les médias. La radio dans un premier temps, puis la télévision sur Canal Uno. Certes, Byron Moreno a bien des diplômes d’avocat de l’université centrale de Quito, mais, de son propre aveu, « n’exerce pas ».« Il ne se voyait pas vivre ailleurs que dans le foot, poursuit l’animateur TV. Il a donc entamé une carrière dans les médias pour rester dans le milieu. »Employé en tant que consultant, Byron Moreno était chargé de décrypter les actions… litigieuses. De l’humour ?

Reste une autre question : comment Byron Moreno qui, malgré ses casseroles, était resté un personnage public et populaire, a-t-il pu passer de consultant à passeur de drogue ? « Il avait des soucis à la fois sur le plan personnel et financier », avance Fernando Carrión, journaliste foot à Radio Quito. À dire vrai, les uns furent la conséquence des autres. Quelques années avant les faits, Byron Moreno a perdu son fils de trois ans, atteint d’une insuffisance cardiaque, non sans s’être ruiné en opérations coûteuses. Puis il a divorcé une seconde fois en six ans. Avant de se retrouver endetté jusqu’au cou à la suite d’un accident de voiture qu’il a lui-même provoqué au volant d’une voiture de location, et pour lequel il a fait quelques jours au trou. Enfin, en juillet 2008, on raconte qu’il a agressé sa mère avec une bouteille en verre et blessé sa nièce de 8 ans par la même occasion au cours d’une fiesta. Si ses problèmes de trésorerie étaient connus de certains, la nouvelle de son arrestation a tout de même estomaqué le pays, mais surtout son entourage. « J’ai cru à une blague. Dire qu’il était incarcéré à 5000 kilomètres de chez nous, alors que la veille, nous avions enregistré notre émission, comme si de rien n’était… », hallucine encore Carlos Victor Morales.

C’était une vedette. Il était pratiquement plus célèbre que les joueurs de la sélection. C’était un peu le Pierluigi Collina sud-américain.

L’ancien compère de Moreno à l’antenne n’avait aucune idée de la double vie que menait son collègue. Voire de sa vie tout court. « Ce mec était une vraie tombe. Nos relations étaient certes strictement professionnelles, mais il ne parlait même pas de ses hobbies, ou de l’endroit où il passait ses vacances. Quant à ses voyages aux États-Unis, j’ai appris leur existence en même temps que vous. » Ses voyages ? Bien que cela ne prouve rien, Moreno aurait bouclé en septembre 2010 son cinquième aller-retour aux States de l’année s’il n’avait pas été interpellé. C’est ce qu’on appelle aimer les États-Unis. Ou savoir gérer sa reconversion. Car il faut bien l’avouer, Byron Moreno avait le profil parfait de la mule. D’abord par sa nationalité. « Ce n’est pas en Équateur que se confectionne la drogue. En revanche, le pays, situé entre le Pérou et la Colombie, deux des plus grands producteurs mondiaux de stupéfiants, est devenu une zone de transit pour les trafiquants désireux d’exporter », explique Jorge Lopez, consul général d’Équateur à New York à l’époque et jusqu’en novembre 2017. Ensuite, en raison de sa personnalité. Qui de plus insoupçonnable qu’un mec qui passe à la télé toutes les semaines ? Moreno a d’ailleurs utilisé sa notoriété pour passer entre les mailles du filet à l’aéroport international José Joaquín de Olmedo de Guayaquil. Les caméras de surveillance du terminal l’ont capté en train de refuser une simple fouille aux portiques de sécurité. Pour se justifier, l’ancien arbitre a prétendu avoir subi une opération récente à l’abdomen. Ingénieux stratagème lui permettant de boycotter tout contact tactile. Cette séquence vidéo qui a fait le tour du Net n’a pas vraiment été du goût de la population et des autorités à l’époque. Les uns ont déploré les fameux traitements de faveur dont jouissent les puissants, pendant que les autres ont pointé du doigt la négligence du personnel de l’aéroport. L’affaire Moreno a également relancé le débat sur l’efficacité de la politique de répression du narcotrafic en Équateur. En plein tourment médiatique, les têtes pensantes du pays ont décidé d’augmenter le nombre des contrôles. Des caméras dans les bars et restos des aéroports ont également été installées, alors que davantage de chiens policiers sont bientôt venus renifler du fessier à l’approche des zones d’embarquement.

Des mesures que Byron Moreno a suivies d’un œil très lointain. D’abord emprisonné en préventive à New York, l’ex-arbitre n’allait pas fort. Une radio équatorienne a même par erreur annoncé son suicide, deux jours après son incarcération. « La première fois que je suis allé le voir, il était vraiment mal. J’ai demandé à ce qu’on lui fournisse une assistance psychologique. J’ai aussi réussi à faire venir sa famille. J’essayais de faire en sorte qu’il reste stimulé mentalement. Je lui ai amené de la lecture », relate le consul Jorge Lopez. Pas à un contrepied près, Moreno commence par plaider non coupable. « Je demande simplement au peuple équatorien de ne pas me juger. Un jour ou l’autre, la vérité éclatera. Je suis innocent », déclare-t-il au tribunal de Brooklyn avant de changer d’avis et d’admettre sa culpabilité le 13 janvier 2011. Une attitude qui lui permet de n’écoper que d’une peine de deux ans et demi de prison, finalement réduite à 26 mois pour bonne conduite, l’ancien arbitre ayant notamment ouvert une école de football au sein du pénitencier. Extradé en Équateur le 3 décembre 2012, la grande gueule n’a plus trop fait parler de lui depuis. En juin 2017, à l’occasion d’une rencontre entre Liga de Quito et le SC Barcelona, il acceptait finalement de répondre à la presse de son pays : « J’espère que Barcelona va gagner, comme ça ils m’oublieront. »

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