Un short cuts pas comme les autres : Lettre ouverte à François Hollande…
Voilà donc notre confrère – et néanmoins ami – Denis Robert, au coeur de l’affaire Clearstream, désormais cerné par la mauvaise foi. Suite aux propos de François Hollande dans les Inrockuptibles, Denis Robert tenait à apporter quelques précisions quant à son rôle dans l’affaire dans une lettre ouverte au premier secrétaire du PS. Lettre ouverte que nous publions ici, sur sofoot.com, en appelant au soutien de Denis Robert et plus largement du journalisme d’investigation. Visitez son blog : http://www.ladominationdumonde.blogspot.com/
Lettre ouverte de Denis Robert à François Hollande :
Cher François Hollande,
J’ai lu dans le dernier numéro de l’année des Inrocks, que pour vous l’affaire Clearstream se résumait à un informaticien « sans scrupules » qui aurait abusé de la confiance d’un journaliste « sans méfiance » lequel aurait fait tomber dans un piège un juge « sans défense. » Je vous réponds aujourd’hui pour compléter cette réflexion. Point de polémique dans ce courrier, simplement la volonté de mieux vous informer. Afin que plus tard, surtout au sein de votre parti, vous ne véhiculiez plus une vision si réductrice de ce qu’est cette affaire. Je la vis de l’intérieur et la simple analyse des faits vous montrera que j’en suis une des victimes. Bien plus que les hommes politiques ou champions de l’armement dont les noms sont souvent cités. Ce qui ne veut pas dire que je ne sois pas combatif, ni soutenu et encore moins « sans méfiance » .
En quelques semaines, plus de 4000 personnes se sont manifestées auprès du comité de défense qui s’est constitué, sans compter l’appui de « Reporters sans frontières », du Syndicat National des Journalistes et du conseil d’administration de l’association Attac qui, à l’unanimité de ses membres, vient de voter une motion de « soutien total. » Près de 400 personnes nous ont écrit et ont envoyé des dons qui servent à lutter contre le harcèlement judiciaire dont je suis l’objet. Ce n’est qu’un début. Ce sont généralement des gens qui ont lu mes livres, connaissent mon parcours et sont très informés de la première affaire Clearstream, celle qui compte et qui dénonce le fonctionnement de la multinationale luxembourgeoise. Ils savent aussi mon rôle dans la seconde affaire, celle du corbeau, où les résultats de mon enquête et mes document ont été détournés à des fins au minimum politiciennes.
Je ne suis pas un « journaliste sans méfiance » comme vous l’écrivez, et comme s’évertue à le raconter avec une constance touchante le journal Le Monde. J’étais tellement méfiant à l’égard de l’informaticien Imad Lahoud que je n’ai jamais divulgué ses allégations, cherchant toujours à vérifier le vrai et le faux dans ces courriers anonymes qui ont secoué la tête de l’Etat, des services secrets et des milieux de l’armement pendant de si longs mois. On l’oublie trop souvent aujourd’hui mais il y avait beaucoup de vrai dans la première lettre. J’ai toujours cherché à savoir ce qui se cachait derrière la manipulation. J’y suis presque parvenu. Je suis sans doute un des premiers à l’avoir perçue. Et publiquement déjoué.
Si vous aviez lu mon dernier livre (Clearstream, l’enquête), vous sauriez que c’est grâce à cet ouvrage et au témoignage de Florian Bourges, l’auditeur d’Arthur Andersen, que l’instruction des juges est sortie de l’enlisement et que Clearstream a été en partie disculpée. Ça peut sembler paradoxal. Si je m’étais tu, je m’en porterais mieux aujourd’hui. Mais je crois encore à des fadaises comme la vérité, la justice, l’intelligence des lecteurs. Vous auriez également relevé que ce livre, pour d’obscures raisons de censure, a été retiré des librairies pendant près d’un mois en juin dernier. Aucun politique, si rapide à dégainer quand la liberté est menacée ailleurs, n’est intervenu pour trouver cela scandaleux ici. Ça l’était pourtant. Des chefs de rayon sont quand même entrés dans des librairies pour retirer des piles de livres qui venaient d’y entrer.
Je suis également un de ceux qui a le plus protégé le juge Van Ruymbeke, ainsi que mon principal témoin, ma source au sein de Clearstream, Florian Bourges, car je ne souhaitais pas les voir mis en cause dans un règlement de comptes au sommet de l’Etat. Il n’y avait que des coups à prendre dans cette instrumentalisation de la justice. Et des coups, nous en prenons un peu trop depuis quelques semaines. Nous et personne d’autre.
Cette affaire gigogne est l’accumulation de plusieurs scandales dont ma mise en examen récente n’est pas le plus anodin. Vous auriez écrit un juge « sans méfiance » , un journaliste « sans défense » , j’aurais à la limite mieux compris. Là, votre jugement lapidaire me laisse perplexe.
Je suis mis en examen à la demande pressante de Clearstream. La plainte pour vol et recel déposée par la multinationale a été encouragée par le Parquet Général de Paris. Vous n’êtes pas sans savoir que son représentant est l’ancien conseiller Justice du Président de la République. Le Garde des Sceaux l’a soutenue, comme le Premier Ministre. Vous savez, celui qui fait des pompes quand on l’interroge.
Cette mise en examen permet d’étouffer la première affaire. Celle de la « boîte noire » de la finance qu’est Clearstream, protégée par l’Etat luxembourgeois, dont les clients peuvent dissimuler leurs transactions vers les paradis fiscaux.
La dilapidation de nos investissements par les prédateurs de la finance, les évasions de capitaux au profit des tycoons et des champions de la défiscalisation : Voilà un vrai problème ! Un sujet sur lequel j’aimerais vous entendre… Pour plus de détails, demandez à vos collègues Vincent Peillon et Arnaud Montebourg qui ont mené une mission d’information sur ce sujet et ont pu vérifier en tous points que ce que je dénonçais était exact, fondé, étayé. A l’époque, c’était en 2002, leurs pires ennemis étaient au sein de votre parti, Messieurs Védrine et Fabius qui, pour des raisons de real politique, étaient venus en aide au Luxembourg, à son Premier Ministre et à ses banquiers. J’avais alors écrit qu’il existait des socialistes de droite et des socialistes de gauche. Les lignes semblent avoir bougé, le problème reste cruellement posé.
Vous êtes le premier secrétaire d’un parti aux portes du pouvoir qui devrait se soucier davantage de ces questions et de la liberté d’informer. Elle est aujourd’hui, par ma mise en cause, gravement piétinée.
Vous devriez réfléchir et faire des propositions pour mieux nous protéger, moi et tous ceux qui cherchons à éclairer le public sur ces affaires. Il est anormal qu’aujourd’hui je sois mis en examen et poursuivi en diffamation dès que je m’exprime. Il est anormal que j’ai à supporter tous ces frais de justice simplement parce que mes adversaires sont riches et à la tête de l’Etat, déliquescents. Il est anormal que j’ai à vous le dire.
Vous devriez, en vue des élections qui se profilent, penser à des lois qui pourraient aider au contrôle de ces outils apatrides comme Clearstream. Ce n’est pas une obsession, c’est une évidence. C’est techniquement possible.
J’aimerais ainsi vous entendre vous exprimer sur l’assèchement de nos économies grâce à ces autoroutes de la finance où seules les grosses cylindrées peuvent rouler. Le pouvoir et l’influence des banquiers d’affaires est de plus en plus voyant. Ce sont eux, en premier chef, qui ont mis en place et utilisent Clearstream. Qui les contrôle ? Qui va dire « Stop » ? Le chantier est vaste. L’invective facile, j’en conviens. C’est aussi mon rôle de vous écrire cela aujourd’hui. Je crois encore aux vertus démocratiques et au pouvoir des politiques.
J’avais espéré plus de soutien de votre part. Ma mise en examen pour des motifs aussi futiles visent à faire de moi un paria. Après m’avoir isolé, on cherche à m’abattre comme un lapin. Mais je cours vite, j’ai développé debonnes capacités au passage politiquement invraisemblable que seule l’extrême gauche et des associations citoyennes me soutiennent aujourd’hui.
Si être socialiste c’est être de gauche, et si être de gauche c’est lutter contre les outrances du capitalisme financier, l’affaire Clearstream, la vraie, devrait être pour vous un formidable moyen de toucher ce « peuple » de gauche qui semble vous fuir depuis tant d’années.
Je me tiens à votre disposition pour vous en parler et vous expliquer. Cette affaire est loin d’être finie et j’aimerais vraiment vous aider à mieux la comprendre. Ne voyez aucune malice, ni aucun piège à ce courrier.
Je vous souhaite de bonnes fêtes et une très heureuse année 2007. Si elle est bonne pour vous, elle le sera sans doute aussi un peu pour moi.
Bien à vous,
Denis Robert (le 6 janvier 2007)