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Yuri Ancarani : « J’ai vu les jardiniers lancer des pétards pour faire fuir les pigeons »

Propos recueillis par Jeanne Mayer
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Des jardiniers qui lancent des pétards, de la musique électronique et des gradins vides : Yuri Ancarani, artiste italien, lève le voile sur San Siro. Originaire de Ravenne, Ancarani habite à Milan. Alors qu'il mène une réflexion sur les temples païens, il se tourne logiquement vers le stade mythique.

San Siro, le film, ça parle de quoi ?

San Siro raconte les coulisses d’un match de foot. J’aime le présenter comme ça, très simplement. Mais en réalité, il y a d’autres clés de lecture, que le spectateur comprend quand il voit le film, ou bien après réflexion, une fois rentré chez lui. San Siro a été tourné pendant une saison de championnat, et dure 25 minutes. Pour le monde du cinéma, c’est hors format : les courts-métrages sont considérés comme des salles de sport où s’entraîner avant de faire un long-métrage de fiction. Pour moi, 25 minutes, c’est le temps parfait pour raconter ce qui m’intéresse.

Pourquoi un stade de foot ?

À l’origine, il y a eu une série de repérages, pour un projet avec une chaîne télé italienne. Je suivais les camions-régies de télévision, car j’étais curieux de ce milieu. Je me suis retrouvé à passer mes journées sur des parkings, juste à côté du stade, à attendre que le match commence. C’étaient des moments assez difficiles, parce qu’un parking, ce n’est pas un très bel endroit ! Et le stade, quand il est complètement vide, provoque une sensation étrange. Plus tard, je me suis rendu compte que cette apparence de vide cachait en fait des vies secrètes, celles des employés qui travaillent dans le stade. Quand on pense à San Siro, on pense évidemment aux supporters qui le peuplent et qui hurlent. Si tu les enlèves, il n’y a quasiment plus rien. Pourtant, ce qui reste est intéressant.

Comment le film est-il né ?

Tout est parti d’un moment en particulier. Je me rappelle être dans un camion-régie. J’ai commencé à entendre des bruits bizarres, continus, très musicaux et très intéressants. Je suis sorti du camion-régie pour trouver d’où ils venaient, et je n’ai rien trouvé. Plus tard, j’ai fini par découvrir que ce son venait des barrières en métal que les stadiers traînent sur le sol en béton. C’était mieux que de la musique électronique ! J’ai voulu suivre ces stadiers, et de fil en aiguille, j’ai assisté à d’autres événements, tout aussi étranges.

Par exemple ?

J’entendais, en plein jour, des explosions. Je n’arrivais pas à comprendre d’où elles venaient. On aurait dit l’écho du match de la veille. Clairement, ce n’étaient pas les ultras, parce qu’à onze heures du matin, ils ne sont pas là. J’ai fini par comprendre que c’étaient les jardiniers, qui lançaient des pétards pour faire peur aux pigeons. De là, petit à petit, le film est né.

Comment tu es passé des pigeons aux joueurs ?

J’ai senti la nécessité de rendre le film plus complet. Il y avait les travailleurs, mais il manquait les personnages principaux : les joueurs. J’ai commencé par voir si c’était possible de les filmer, avant leurs matchs toujours. J’ai eu l’accord, et j’ai pu montrer l’équilibre qui existe entre toutes ces personnes qui travaillent dans le stade, et les footballeurs.

Dans une scène, tu suis les policiers qui contrôlent le stade et ses entrées : comment ça s’est passé ?

Au niveau technique, c’est moi qui ai fait toutes les images du film. J’ai filmé avec du matériel très léger et tout petit, en carbone. Je devais pouvoir me déplacer rapidement et rester discret : je ne voulais pas que les gens que j’ai filmé se rendent compte de ma présence. D’habitude, je réduis au minimum les mouvements de caméra. Mais pour la scène des policiers, j’ai compris que je devrais utiliser une steady-cam. J’ai suivi leur rythme. J’aurais voulu pouvoir m’arrêter de temps en temps, mais ça a été une course effrénée et très longue.

Ça a été difficile d’obtenir les autorisations de filmer ?

Ça a été la chose la plus compliquée ! Les artistes font peur, je ne sais pas pourquoi. Quand on parle de projet artistique, tout le monde prend ses jambes à son cou. Pourtant c’est intéressant d’avoir une autre vision de ce que tu as devant toi au quotidien. Pour tout le monde, ce qu’il y a de plus important dans un stade, c’est toujours le match de foot, jamais les gens qui y travaillent. Ils restent en arrière-plan. Imagine un artiste qui veut faire un film sans filmer de match, sur le moment qui précède le match : c’est un fou ! Je remercie d’ailleurs le Milan AC, qui a finalement compris qu’on parlait d’art et s’est rendu très disponible. En Europe, c’est la première fois que des prises de vue ont été faites dans un bus, avec les joueurs. Pour les passionnés, ça doit être un beau moment parce que ça n’a jamais été vu avant.

Le cinéma documentaire est sans doute moins populaire que le foot : ça t’a plu de mettre ces deux champs en contact ?

Je pense que tout doit être accessible, et renvoyer à des niveaux de lecture : quelqu’un qui connaît mal ce type de cinéma verra avant tout une belle représentation d’un avant-match ; quelqu’un de plus attentif, qui a vu davantage de films de ce genre, verra autre chose. Il verra un temple païen, où les gens se déplacent en masse pour prier leurs divinités.

Donc tu dirais que le foot est une religion en Italie ?

Ce n’est pas ma religion : je ne suis pas un tifoso. Je suis un Italien atypique, de ce point de vue. Je pense que c’est mieux pour le film, parce qu’un œil extérieur est plus apte à voir les détails, qui resteraient invisibles autrement. Mais j’ai trouvé très intéressant ce besoin de croire en quelque chose, quel qu’il soit : pas forcément la religion, mais aussi des choses plus matérielles.

San Siro, de Yuri Ancarani 2014 / Italie / 26 min Le film a été projeté samedi 28 mars au centre Georges Pompidou (Festival cinéma du réel)

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Propos recueillis par Jeanne Mayer

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