Vive la France qui perd, par Dhorasoo
Mardi soir, on a retrouvé la France qui perd. C’est le plus important.
Finie la France qui doit toujours gagner, la page est peut-être définitivement tournée. Finie l’exclusivité de la parole et du savoir.
Les derniers rescapés de 98 – Gloria Gaynor avec eux – et tout ce qu’on a bien voulu nous faire avaler, hop, enfin à la cave. Finis le 1,2 et 3 zéro et la France black blanc beur post-coupe du monde…Finie la France qui gagne pour nous détourner de la réalité.
Et même, cette France désorganisée, avec une défense plus que limite, à 10 et face aux champions du monde, on lui a trouvé un peu de panache au Royal Cusitine bar de Barbès. Oui, Domenech a encore raté son coaching. Oui, Domenech joue avec deux récupérateurs, soit un de trop par rapport aux autres équipes du tournoi. Oui, Domenech…N’empêche : il peut être fier de ce qu’a fait cette équipe rajeunie – un seul champion du monde 98 sur le terrain – pour son dernier match. S’est bagarrée. A pris des risques.
Le lendemain, la France s’est réveillée sans gueule de bois semble-t-il, comme si cette fin était attendue – espérée ? –, comme si finalement, ce n’était pas plus mal que ça se termine comme ça. Dans ces moments-là, les gens sont solidaires : ils cherchent un bouc émissaire. En l’occurrence, ils n’ont pas eu besoin d’aller le chercher: il s’est rendu tout seul. « Je demande Estelle en mariage » , qu’il a dit Raymond, le soir de l’élimination.
On pourrait évidemment y voir une pirouette : Raymondo aurait fait le malin. Une ruse pour ne pas avoir à reconnaître ses erreurs, une manière de déplacer le propos. Il a tenté le coup de l’émotion. Bien essayé, c’est plutôt à la mode, dans la France médiatique de Sarkozy. Alors quoi de plus normal que de surfer sur cette vague, dans un dernier espoir, pour sauver la face le soir d’une cinglante défaite ? Surtout lorsque l’on est la personne la plus importante – pardon, le couple le plus important – après le couple présidentiel.
Estelle n’est pas Carla. Elle n’a pas apprécié ? Hum… peut-être… Les Français, eux, c’est sûr…
A l’occasion de cet Euro, Raymond donnait l’impression de vouloir jouer un nouveau registre : celui du type humain. On y a presque cru quand il est venu annoncer sa sélection, la larme à l’œil.
En décidant de prendre trente joueurs, et d’en éliminer sept il savait pertinemment que ce serait terrible pour les recalés. Qui est le plus traumatisé dans cette affaire ? Lui ou les sept exclus qui risquent d’être marqués par cet événement comme l’avaient été ceux de 98 ? Non, Domenech a juste pris les meilleurs, sauf Mexès, sans faire aucun sentiment. Gomis, Mandanda sortis de nulle part comme Ribéry et Chimbonda deux ans plus tôt, façon de se mettre l’opinion dans la poche. Il raconta que les joueurs finalement retenus étaient venus saluer leurs copains sur le départ. Landreau, son fidèle lieutenant, le désavouera publiquement. Manipulation ratée. Démasqué Raymond.
Il voulait être le sélectionneur et il l’est devenu.
Mais être sélectionneur a un prix : Domenech a accepté de le payer, par ambition, goût du pouvoir ou de l’argent ? Il a adoubé le retour des anciens. Certainement contre son gré. Il est devenu lisse (finis les poils sous les yeux), fade (où le décalage ? où le théâtre ?), une sorte de produit TF1 payé par le service public – et SFR pour arrondir les fins de “moi”. Et puis mardi soir, il a perdu après avoir commis trop d’erreurs techniques, tactiques et de communication.
Dès le lendemain, on a rameuté les loups. Le lobby 98 à l’action. Lizarazu, Petit, surtout Dugarry, et même Boghossian, tout 98 en cœur : « Domenech, dehors ! » Deschamps, celui qui vote chasse, pêche et tradition, est là, déjà prêt pour le remplacer (il l’a annoncé dans Le Monde la veille de France-Italie espérant certainement une défaite de la France. Très élégant !), avec ses préparateurs physiques italiens en embuscade. Les champions du monde n’en ont pas fini avec Domenech.
Faut-il hurler avec les loups ou prendre le maquis ?
Évidemment, la deuxième solution : organiser la résistance, maintenant, pour que Domenech vive son histoire, celle de toute une génération, celle naissante et celle intermédiaire sacrifiée. Le mec ouvert – et de gauche – que l’on appréciait a disparu le jour où d’autres, un soir de France-Côte d’Ivoire, ont décidé de réapparaître. Ce 17 août, c’était écrit : la génération 98 aurait sa peau. Tôt ou tard, elle reprendrait le pouvoir. Après avoir flingué Lemerre et Santini (pas vraiment des flèches ces deux-là), c’était au tour de Domenech.
Il est peut-être temps de sauver le soldat Raymond s’il est prêt à se battre (s’il va aussi voir un bon psy et fait son mea culpa), et du même coup, le foot français enfin libéré du poids des anciens légitimés par un concept illégitime – la victoire – ; et aussi parce que la France qui perd a aussi son mot à dire…
Vikash Dhorasoo.
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