Un Campari pour Gouffran
Yoan Gouffran accomplit une première partie de championnat du feu de dieu, dans la lignée des récentes performances du Stade Malherbe, emballant 6e de la Ligue 1. Plébiscité par les coachs et par ses collègues, ce Francilien de cœur pourrait être l'attraction du prochain mercato d'hiver puisqu'on l'annonce depuis belle lurette au...PSG. Portrait de la première idole normande du troisième millénaire, à qui l'on souhaite une carrière un tantinet moins agitée que celle de Xavier Gravelaine, l'égérie caennaise du début des années 1990.
Samedi 1er décembre. Yoan Gouffran et ses coéquipiers font leurs premiers pas sur les planches d’un théâtre parisien de la porte de Saint-Cloud, le Parc des Princes. La troupe du Camp des Loges y interprète une comédie footballistique écrite par Thierry Adam, actuel “mister Coupe de la Ligue” chez France Télévision, et intitulée “Chute à l’arrière”, clin d’œil à son passé d’envoyé spécial en queue de peloton sur le Tour de France.
La pièce rejoue en intégralité un match de Ligue 1 de bas de tableau, PSG – Caen, le 18e qui reçoit le 11e. Bref, pas très enthousiasmant. Le théâtre de boulevard est assez prévisible : les prémices du mélodrame sautent même aux yeux du spectateur le moins averti. Mais ce soir-là, dans les gradins, le suspens est insoutenable. Le PSG s’entête à hoqueter son football et cherche en vain un premier succès à domicile face à la plus faible équipe à l’extérieur. A la 75e minute, Ceara, l’acteur principal, entame la chorégraphie phare dévolue à son rôle. Avec une légèreté toute relative, il tente un crochet extérieur, piétine le ballon et se vautre devant le milieu de terrain caennais Nicolas Florentin qui s’en va donner la réplique à Landreau d’un imparable plat du pied.
Dans cette scénette, Yoan Gouffran est loin de l’action, presque en coulisse. Il ne sait pas s’il faut rire ou pleurer…de rire. A la fin de la pièce, Gouffran et ses potes saluent les spectateurs sous les huées. Injuste, mais visiblement, la prestation de la “Troupe du Camp des Loges” n’a convaincu personne. La fébrilité surréaliste de ses futurs partenaires a-t-elle effrayé Yoan Gouffran, lui qui s’attire bien des louanges depuis l’ouverture du championnat, 5 buts, 2 passes décisives et une belle influence sur le jeu du Stade Malherbe de Caen. Car sauf improbable retournement de situation, Gouffran sera la recrue majeure du mercato parisien. Et devra supporter au quotidien l’intransigeance du public de la capitale.
Un retour aux sources, en somme, pour le petit bonhomme de Villeneuve-Saint-Georges. Né dans le Val-de-Marne, Gouffran retourne grandir en Guadeloupe. Il y reste quatre ans avant que la famille ne revienne poser ses valises en région parisienne, à Franconville, dans le Val-d’Oise, puis à la Courneuve, en Seine-Saint-Denis.
Lorsqu’il n’est pas au collège, Gouffran fait ses classes au Red Star, le club du coin, et intègre rapidement la sélection d’Ile de France.
En 2001, la SIF dispute un tournoi à Clairefontaine au cours duquel le jeune Yoan met en exergue ses nombreuses qualités. Pas bien grand (1,75 m), pas bien épais (70 kg) mais puissant, très sûr techniquement et bon de la tête : le genre de “prototype du joueur moderne” qui plaît beaucoup aux recruteurs. Les émissaires de Lens, Saint-Etienne, Le Havre et Caen se bousculent au portillon. Mais Gouffran est réfléchi, casanier, et rechigne à quitter une région à laquelle il est très attaché. Direction la Basse-Normandie et le Stade Malherbe de Caen, « un club où il y avait un véritable suivi par rapport aux études et qui n’était pas trop loin de chez moi » .
Une arrivée qui coïncide avec les retours de Franck Dumas et d’un certain Xavier Gravelaine, 15 buts et autant de passes décisives en 2001-2002. Caen n’est qu’en Division 2 et entame une lente reconstruction. A l’ombre de Gravelaine, Gouffran démarre pépère en CFA 2, à 15 ans.
En 2003-2004, il joue ses deux premiers matchs avec l’équipe première sous les ordres de Patrick Rémy. Lanterne rouge après cinq journées, le Stade Malherbe finit en trombe et monte sur le podium. Gouffran monte encore d’un cran et découvre l’impitoyable univers de la Ligue 1. Après un début de saison prometteur, les Caennais prennent finalement l’ascenseur et retournent à la case départ. Franck Dumas, qui a remplacé Rémy sur le banc en mai 2005, offre une cure de jouvence à l’effectif. Place aux jeunes et donc à Gouffran, dont la progression discrète et linéaire plaît aux dirigeants caennais. Emmenée par capt’ain Zubar, la classe biberon plonge la tête la première dans les entrailles de la Ligue 2.
Pas vraiment déstabilisé par son éphémère baptême du feu en Ligue 1, Gouffran s’aguerrit au contact des latéraux “boiseurs-bouchers” de l’antichambre de l’élite. Dans le système Dumas, il joue milieu droit, devient un ailier athlétique malgré son gabarit modeste, tout en conservant ses acquis d’attaquant de formation. Doté d’un bagage technique au dessus de la moyenne et d’une bonne vision du jeu, Yoan Gouffran est un joueur difficile à catégoriser qui peut évoluer en 9 et demi ou encore avant-centre, comme l’ex-idole du stade Michel d’Ornano Xavier Gravelaine (parti ensuite au…PSG), qu’il remplace progressivement dans le cœur des fans.
Bonne mais pas exceptionnelle, sa saison 2005-2006 ferait pourtant rougir n’importe quel attaquant de l’actuel PSG : 8 réalisations en 32 matchs mais une grosse déception au final pour Caen, 4e et premier recalé avec la meilleure attaque de Ligue 2 (56 buts).
L’exercice suivant voit la défense caennaise refaire le coup de la passoire (40 buts encaissés) mais le Stade Malherbe obtient un ticket express pour l’échelon supérieur grâce à un Gouffran survitaminé. Elu trois fois joueur du mois et à des moments clés (septembre-janvier-mars), le feu follet décroche l’oscar du meilleur joueur de Ligue 2 2006-2007.
15 buts, comme Pauleta cette saison-là, qui incitent Le Guen et Cayzac à revêtir leurs plus beaux habits de courtisans. Gouffran commence le championnat le moral dans les protèges-tibias : « Quelque chose s’est cassé durant l’intersaison. […] Ca ne s’est pas fait avec Paris, je suis forcément déçu car pour moi Paris est un grand club, c’était ma priorité et je suis du coin. Il faudra réattaquer avec Caen. […] Je suis déçu de l’attitude de Franck Dumas et des dirigeants. Comme j’avais fait une bonne saison, je pensais qu’ils allaient être plus reconnaissants. Ils n’ont pas gâché ma carrière mais empêché de franchir un palier » , confie-t-il à sports.fr en septembre 2007.
Privé de championnat d’Europe espoirs 2009, l’international aux 8 sélections en moins de 23 prend sur lui et fait la misère au Mans, à Bordeaux et à Lyon. Paris en salive déjà. Yoan Gouffran aussi, il rentre… Espérons que son parcours au PSG n’aura pas l’amertume d’un Campari…
Par Pierre Arnaud
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