S’abonner au mag
  • Culture Foot
  • Interview Ciro Guerra

« Tous les Colombiens se souviennent du 5-0 contre l’Argentine »

Propos recueillis par Arthur Jeanne
7 minutes
«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Tous les Colombiens se souviennent du 5-0 contre l&rsquo;Argentine<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Le réalisateur colombien Ciro Guerra est l’un des réalisateurs les plus prometteurs de son pays. Dans son dernier film, L’étreinte du serpent, plébiscité à Cannes lors de la quinzaine des réalisateurs, l’homme a fait de l’Amazonie son personnage principal. Une déclaration d’amour à la nature, qui ne l’empêche pas d’aimer aussi le football.

Tu regardes beaucoup de foot ? Il y a tellement de foot aujourd’hui à la télé que je ne sais plus où donner de la tête. J’aime le foot et j’essaye de regarder les matchs des principaux championnats étrangers. Mais je suis surtout les matchs de la Colombie, et des grandes compétitions internationales. Si tu veux voir du foot toute la journée à la télé, c’est formidable, même si c’est un peu chronophage.
Donc tu crois qu’il y a une overdose de football ? Sans doute oui, mais c’est un problème de la société et des médias qui en diffusent presque trop, ce n’est pas la faute du foot en tant que tel. Le football a un côté très noble, c’est une célébration du travail d’équipe qui me plaît énormément. Je crois beaucoup en l’idée des Grecs qui dit que l’art, le sport, la religion et la partie spirituelle des êtres humains sont des compléments fondamentaux. Le problème, c’est quand le football est récupéré à des fins nationalistes comme ce fut le cas de la Coupe du monde 1978 en Argentine, ou quand il sert de distraction à des choses plus importantes.

Le football a un côté très noble, c’est une célébration du travail d’équipe qui me plaît énormément.

En Colombie, on a une anecdote horrible à ce sujet. Quand il y a eu la pire attaque terroriste de l’histoire du pays, la prise du palais de justice par les guérilleros du M-19 en 1985, la ministre de la Communication de l’époque a ordonné de ne pas diffuser les événements en direct et a demandé la retransmission d’un match de football à la place ! Tout le monde était devant sa télé pour suivre la prise d’otages du palais de justice et ils ont diffusé un match !

En Colombie, le football était aussi un des rares moments de répit des gens pendant le conflit armé ? Oui, c’était un moment de respiration, de soulagement. C’était un moment très sombre pour le pays, et on avait une sélection très heureuse, souriante dans l’attitude comme dans le jeu, et c’était des moments de joie pour le peuple de les voir jouer dans ces moments difficiles. C’était un rafraîchissement
Tu es fan d’une équipe en particulier ? La sélection colombienne qui nous unit en tant que pays bien sûr, et sinon, je suis l’Atlético Bucaramanga, mais parce que c’est le club de ma région d’origine. Ils viennent de revenir en première division, mais c’est plus de la sympathie qu’un vrai supporterisme.

Willington Ortiz, Arnoldo Iguaran ou Faustino Asprilla… des joueurs noirs dans un pays profondément raciste, mais qui n’a aucune raison de l’être, car c’est un pays métis.

Et dans la sélection, les joueurs qui t’ont le plus marqué ?J’aime ce qu’ont représenté historiquement des joueurs comme Willington Ortiz, Arnoldo Iguaran ou Faustino Asprilla. Des joueurs noirs dans un pays profondément raciste, mais qui n’a aucune raison de l’être, car c’est un pays métis. La haute société était raciste, et ces joueurs d’origine afro-américaine ont pas mal fait changer les mentalités et sont devenus des idoles. Pacho Maturana aussi, ces hommes ont montré l’apport fondamental à la société colombienne, des « minorités ethniques » , qui ne sont pas des minorités, mais qui était sous-représentées aux hautes fonctions. Il y a un moment particulier qui représente le climax du football colombien pour toi ?Oui, quand la Colombie a battu l’Argentine 5-0 en éliminatoires de la Coupe du monde 94, c’était l’apogée de notre génération dorée, un moment très fort. Tous les Colombiens se souviennent de ce jour. Mais pour moi, le moment le plus émouvant, c’est quand la Colombie se qualifie pour le deuxième tour de la Coupe du monde en Italie. J’étais enfant et on a fait un match nul contre la sélection allemande, qui a remporté le tournoi cette année-là. On a égalisé à la dernière minute et j’étais enfant, j’avais 9 ans. C’était un moment très spécial, un moment d’union en plus, car le pays traversait un moment vraiment difficile.

En Colombie, quelle est la relation des gens au foot ? Je pense que les gens aiment le foot et leur sélection, mais je pense que c’est moins important que dans le Cono Sur (Argentine, Uruguay, Chili) ou au Brésil. Nous sommes bien moins fanatiques que dans ces pays-là. En Colombie, au Venezuela, au Mexique, c’est moins énorme. Il n’y a pas 100% des gens qui aiment le foot. Surtout dans le milieu intellectuel, le football est toujours un peu méprisé, certaines personnes ne le considèrent pas digne d’intérêt. Mais cela est en train de changer, le football est revalorisé, il y a un mouvement de gens, d’écrivains, qui perçoivent le football comme un objet culturel à part entière, qui lui apporte une analyse intellectuelle. Il y a des auteurs qui ont écrit des choses très intéressantes sur le football. Des Sud-Américains comme l’Argentin Fontanarosa ou Villoro le Mexicain. Leurs textes sont publiés dans des revues, il y aussi Ricardo Silva qui a écrit sur ce que signifie le football, il a signé Autogol, un roman autour du but contre son camp d’Andres Escobar qui est excellent.

Pour ton film, tu as passé énormément de temps en Amazonie, pendant le tournage, mais aussi en amont, comment les gens y vivent le football ? Le football y occupe une grande place. Plus que voir le football, ils y jouent, il y a plein d’endroits reculés où ils n’ont pas de télé ou le cable. Mais pendant le tournage, nous avons visité une communauté très isolée où le chaman local, qui ne parlait quasiment pas espagnol, portait un maillot du Real Madrid. Les communautés amazoniennes jouent beaucoup au foot, ils sont très sportifs. Dans chaque communauté, il y a un terrain de football. Quand le gouvernement leur demande quel genre d’infrastructures pourraient les aider, ils répondent systématiquement un terrain de football. Les gens qui connaissent bien le foot m’ont dit qu’il y avait de vrais pépites dans certains villages. Mais les communautés amazoniennes vivent dans des endroits trop isolés pour que les recruteurs s’y rendent.

Le football n’a pas tué les sports amazoniens, comme l’influence occidentale a tué la culture locale ?C’est vrai que la culture des peuples amazoniens est en pleine déliquescence.

Le chaman local, qui ne parlait quasiment pas espagnol, portait un maillot du Real Madrid.

Elle ne s’est pas préservée de l’influence occidentale. Mais concernant les sports, c’est différent, les sports sont toujours pratiqués, car plus que des sports culturels, ce sont des sports qui ont à voir avec leur survie. C’est du tir à l’arc, à la sarbacane. Ce sont des sports liés à leurs techniques de chasse, donc ils sont restés importants. Ce sont des entraînements à la vie réelle.

En tant que cinéaste, comment tu imaginerais filmer le foot ?Je pense que le foot n’a pas été justement représenté par le cinéma. Je crois que cela est dû au fait qu’à la différence du baseball ou du football américain, qui sont des sports très stratégiques et tactiques, finalement assez lents, le football a la qualité d’être très rapide. Tout va très vite, dans le foot, les choses changent en deux minutes, et tout un match peut complètement changer de sens. Il n’y a pas de supériorité ultra marquée comme dans d’autres sports. La plus petite équipe peut battre la meilleure. C’est imprévisible, et le ciné n’a pas très bien su le raconter. Je pense que pour faire un bon film sur le football, il faudrait le faire en slow motion. Je crois la meilleure manière de représenter le football qui a existé dans l’audiovisuel, ce sont les dessins animés japonais comme Capitaine Tsubasa (Olive et Tom en France), où les matchs durent des heures entières, le terrain mesure des kilomètres et un corner peut durer 15 minutes. Comme dans le football, chaque action, chaque micro-instant comptent, je pense qu’il faudrait que cela soit une réalité étirée au maximum pour faire un film.

Et le filmer en blanc et noir, comme tu le fais dans ton dernier film ?Ça pourrait apporter quelque chose de différent, tout dépend de quel genre de films tu comptes faire. Le noir et blanc élimine les couleurs auxquels les supporters s’identifient, donc il apporte un prisme différent et unifie un peu l’expérience. Il ne s’agit plus tant de qui gagne, mais de filmer de manière uniforme l’effort des joueurs.

Argentine-Brésil se jouera sans Lionel Messi et Neymar

Propos recueillis par Arthur Jeanne

À lire aussi
Articles en tendances

Votre avis sur cet article

Les avis de nos lecteurs:

Nos partenaires

  • Vietnam: le label d'H-BURNS, Phararon de Winter, 51 Black Super, Kakkmaddafakka...
  • #Trashtalk: les vrais coulisses de la NBA.
  • Maillots, équipement, lifestyle - Degaine.
  • Magazine trimestriel de Mode, Culture et Société pour les vrais parents sur les vrais enfants.
  • La revue de presse foot des différents médias, radio et presse française/européenne, du lundi au vendredi en 3 à 4h!
  • Pronostic Foot 100% Gratuits ! + de 100 Matchs analysés / semaine