Tevez : Un Apache en Albion

« Il n’y a plus de questions à se poser quant à son futur ici sur le long terme. David Gill a parlé à son agent et lui a dit à quel point nous étions contents de lui. Le montant est fixé. Je ne vous dirai pas quel est-il, mais c’est encore bon marché. Je veux conclure la transaction au plus vite. Il a impressionné tout le monde ici, avec l’appétit qu’il montre pour le jeu » . Alex Ferguson a tranché, et un juteux contrat se profile pour Carlos Tevez.

Arrivé à West Ham durant l’été 2006 au terme d’un douteux micmac financier, l’Argentin a posé son balluchon à Old Trafford cet été sous forme d’un prêt de deux ans que les Mancuniens ont monnayé aux alentours de 15 millions d’euros. David Gill, en charge de l’éxécutif, aurait trouvé un accord avec son impresario, “l’agent” Kia Joorabchian, pour quatre années supplémentaires et environ 30 millions d’euros s’ajoutant aux dix-huit mois qu’il lui reste à consommer.
Tevez, un peu comme Mascherano d’ailleurs, c’est ce mec, avant la Coupe du Monde en Allemagne, dont presque tout le monde connaissait le nom sans quasiment jamais l’avoir vu jouer. Ce type dont on entendait dire qu’il claquait exagérément dans la zone AmSud, qu’on ne voyait que sur YouTube. Qui avait ses défenseurs à base de “J’te jure, il est monstrueux !” et ses détracteurs sur le thème “Oui, sur Football Manager…”.

Aujourd’hui, il fait l’unanimité sur deux points. Primo, il apporte une vraie plus-value au jeu des Red Devils. Deuxio, il est moche. Car la vie n’a pas été tendre avec le petit char : un sourire préhistorique, des cheveux graisseux, un cou de bovin, et une très vilaine peau. En plein débat sur les quotas d’étrangers dans les clubs anglais, un tabloïd tout en finesse avait même classé les étrangers en trois catégories – les meilleurs, les pires… et le laid.
Peu importe, il a fini par tourner au ridicule ceux qui pensaient que son association avec Wayne Rooney donnerait naissance au flop de l’année. Sur le pré, un quatuor Tevez-Giggs-Ronaldo-Rooney, et son addiction aux scores fleuves, n’a rien à envier aux Galactiques, Fantastiques et consorts. « C’est magnifique. Ronaldo et Rooney sont deux joueurs fabuleux qui me facilitent la tâche. Rooney est toujours en train d’essayer quelque chose de différent et je pense qu’on se comprend parfaitement en dehors du terrain. De même pour Ronaldo, il est explosif partout, dans et autour de la surface » s’extasie “Tev”. En fait, ce serait plutôt même l’inverse. Son jeu aurait plutôt tendance à simplifier la vie de l’ailier portugais et du rouquin, leur ouvrant de nouvelles avenues. Sa puissance et son (hyper ?) activité vous essoufflent une paire de défenseurs pour le week-end.
De temps à autre en ferait-il même un peu trop, comme avant le déplacement à Bolton pour le compte de la quatorzième journée. « Nous avions entendu dire qu’il était fatigué après être rentré tard d’un match pour l’Argentine mais il m’a certifié que tout allait bien. Je lui ai quand même demandé s’il voulait être ménagé contre Bolton et il m’a lancé un de ces regards sud-américains, à la Che Guevara » relate Ferguson.

Résultat, en l’absence de Shrek et du Lusitanien, les Rouges ont paumé trois points en route, et Tevez a joué sur un pied. Sa réputation de sérial-buteur ? La saison dernière, d’aucuns lui ont administré le mérite du maintien de West Ham parce qu’il avait affolé les compteurs dans le dernier tiers du championnat. Mais c’est oublier qu’il fut souvent à des heures de vol des attentes placées en lui à son atterrissage à Londres. Pour le moment, l’Apache a fait trembler les filets six fois en dix-huit apparitions, mais a fréquemment déblayé le terrain pour ses partenaires. « Il me marquera quinze buts cette saison, mais ce seront tous des buts importants » se satisfait d’avance son mâchouilleur d’entraîneur.
La rallonge formulée par United convient parfaitement au joueur de 23 piges, lui qui a déjà son plan de carrière en tête. « A 28 ans, je veux être à Boca. J’ai encore un an à Manchester, et je veux prolonger pour quatre ans de plus, puis revenir. Mais je veux retourner à Boca Juniors au sommet de ma carrière, pas quand je serai sur le déclin. Imagine si tu ne peux plus bouger, ils t’insultent là-bas. Si j’y retourne, ce sera pour mouiller le maillot et jouer » assène-t-il.

Cinq années supplémentaires, donc, en Angleterre, ou en Europe tout du moins, et retour au pays. Gagner la Premier League et/ou la Ligue des Champions, 2008 sera chargée. D’autant plus que Carlos Tevez a une autre marmite sur le feu : un film va être consacré à sa carrière, des taudis de Buenos Aires au Théâtre des Rêves. « Le film avance pas mal. Le scénario est écrit, et en février, une équipe vient pour commencer à travailler. Mon histoire a toujours été faite de batailles, un combat pour chaque petite chose et je veux montrer aux jeunes d’aujourd’hui ce que tu peux réussir dans la vie. C’est le propos du film » résume-t-il.

Un battant parfois trop fougueux, comme la semaine dernière où il s’est fait expulser, coup de coude oblige, lors de la défaite de l’Argentine, 2-1, face à la Colombie. Parce que Tevez reste un taureau, et qu’il n’est pas toujours évident de le prendre par les cornes.
Pierre Maturana