Que Viva Lanus !!!
Quand on s'appelle Lanus, on ne peut qu'être mauvais. Indécrottables cancres historiques du football argentin pendant des lustres, les Grenats de Lanus viennent pourtant de remporter le premier Torneo Apertura de leur histoire. Une prouesse pour le moins inquiétante pour le football argentin...
S’il y a un club qui ressemble à sa ville, celui-ci pourrait bien être Lanus (prononcez Lanousse). Située dans la banlieue crade de Buenos Aires, où les bidonvilles font office de barres HLM, la ville natale du meilleur joueur de tous les temps, Diego Maradona, est le symbole d’une Argentine victime de malaises endémiques depuis une trentaine d’années et qui n’avance plus.
Avec un taux de chomage de plus de 55% et un seuil de pauvreté contaminant 82% de la population, Lanus porte plutôt son nom. Ici, les gens ne vivent pas, ils survivent. Outre la drogue, qui fait des ravages parmi les plus jeunes, la seule échappatoire se résume comme trop souvent au football.
Patrie des ‘Potreros’ (terme désignant aussi bien des terrains vagues pourris que les joueurs habiles qui les arpentent), la banlieue ouest de Buenos Aires peut compter sur un inépuisable vivier de joueurs extraordinaires, à l’instar de Maradona Himself ou de Fernando Redondo, qui ont préféré tenter leur chance à Argentinos Juniors, plutot qu’à Lanus, allez savoir pourquoi…
Il faut dire que le club n’a jamais vraiment fait rêver les gamins de la miséricorde. En 93 ans d’histoire, les Grenats n’ont ainsi jamais remporté le moindre titre national (seule l’équipe de 1956, surnommée les Globe Trotters – pour les facilités techniques – a décroché une honorable deuxième place au classement derrière River Plate), mis à part ceux de deuxième et troisième divisions.
La seule ligne garnissant leur palmarès est une coupe Conmebol (aujourd’hui Copa Sudamericana) en 96, décrochée avec Hector Cuper (l’un des chats noirs du football européen, loser devant l’éternel, c’est dire !) sur le banc et Ibagaza aux manettes de l’équipe.
Jusqu’à présent, Lanus rimait donc avec ‘Peanuts’. Pourtant, pour la première fois de son histoire, Lanus est devenu champion d’Argentine, dimanche dernier, en remportant le Torneo Apertura grâce à un match nul (1-1) arraché à la Bombonera contre Boca Juniors.
Statistique intéressante, seules quatres équipes avaient jusqu’alors célébré la conquête du titre dans l’antre des Xeneize : River Plate (1942 et 1955), Racing de Avellaneda (1949) et Newell’s Old Boys (1991).
Les losers pouvaient enfin bomber le torse…Il aura donc fallu attendre 93 ans pour que les banlieusards de Buenos Aires pénètrent le gotha du football local. 93 ans d’anonymat, de sang, de sueur et de larmes,
à jouer les sparring-partners miséreux pour ‘les grands’, qui auront finalement servi la cause de Lanus, qui est désormais devenu le vainqueur le moins attendu de toute l’histoire du football argentin.
Une équipe ‘révélation’ qui situe le niveau réel d’une compétition en eaux troubles. El Campeonato souffre en effet des mêmes maux que celui la Ligue 1 : l’absence de stars, le départ précipité des jeunes, le pillage des centres de formation, et une hiérarchie mise à mal. En gros El Campeonato, c’est un peu la L1 sans Lyon…Bonjour tristesse !
Des problèmes auxquels s’ajoutent la violence toujours plus sauvage des barras bravas et la situation économique catastrophique de la majorité des clubs. Lanus champion, c’est donc avant tout une victoire qui s’est dessinée grâce à la médiocrité des adversaires, mais surtout dans l’indifférence générale. Celle des médias, des adversaires, des grands clubs européens (qui a permis au club de conserver ses meilleurs jeunes), mais également des supporters, forcément peu exigeants.
Sans aucune pression, le club a donc su mettre en place un projet stable dans un championnat et plus généralement un pays où tout peut rapidement partir en vrille.
A titre d’exemple, Ramon Cabrero, ancien pensionnaire de l’Atlético Madrid avec Irureta et Aragones et entraineur de Lanus, est ainsi le technicien qui est resté en place le plus longtemps parmi tous ses (ex) collègues, alors qu’il ne dirige les Grenats que depuis deux ans ! Ancien coach de l’équipe réserve, Cabrero a suivi l’évolution des jeunes du cru en même temps qu’il a oeuvré au remplacement des tribunes en bois du stade de la Fortaleza (la forteresse) par des matériaux plus en adéquation avec les temps modernes.
Il a fait d’une escouade tiers-mondiste une équipe championne, où 8 de ses titulaires étaient issus du centre de formation. Dans un 4-4-2 tourné vers l’attaque, Lanus a toujours eu le mérite de jouer et de laisser jouer. Résultat, elle possède la meilleure attaque de l’Apertura avec 34 buts dont 15 ont été marqués par le Goleador Sand (voir photo ci-contre), une sorte de Bobo Vieri des pauvres dont on dit en Argentine qu’il pourrait rejoindre le PSG.
Quatre autres noms méritent d’être retenus, les deux champions du monde – 20 ans, soit l’attaquant Lautaro Acosta et la petite perle Diego Valeri, joueur révélation du tournoi et véritable rampe de lancement des attaques des Grenats. En défense, si Walter Ribonetto a longtemps démontré que les relances en touche n’étaient pas exclusivement réservées aux Pumas, il a néanmoins, à 27 ans et pour une première année avec les pros, prouvé à lui tout seul que le football est parfois inexplicable.
En définitive, si Lanus est loin de renvoyer une image glamour, le club peut toutefois se satisfaire de son inestimable nouvelle cote de popularité.
Ainsi pendant que le quotidien Olé dressait l’éloge de l’humilité au lendemain du sacre des Grenats – « Lanus représente ceux qui n’ont rien. C’est un exemple qui montre que l’effort, le travail et la solidarité sont des valeurs fondamentales. Sur le terrain et surtout en dehors » -, Carlos Bianchi, lui, se félicitait « pour une fois…de la victoire des pauvres ! » En Argentine c’est donc officiel, tout le monde aime Lanus.
Par Javier Prieto Santos
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