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Quand la France perdait « la Troisième Guerre mondiale » à Séville

Par Gabriel Cnudde
Quand la France perdait « la Troisième Guerre mondiale » à Séville

C'est une rencontre que n'oublieront jamais les témoins de Séville. Une demi-finale de Coupe du monde devenue mythique tant elle était chargée d'une intensité tragique et d'un scénario rocambolesque. Une rencontre sportive aux conséquences politiques démesurées. Ce jour-là, la France a perdu un peu plus qu'un match de football.

Si le 22 janvier a été choisi comme date symbolique de la journée franco-allemande, ce n’est certainement pas un hasard. À cette date, en 1963, le président Charles de Gaulle et le chancelier allemand Konrad Adenauer signaient le traité de l’Élysée avec l’objectif ambitieux d’ancrer la réconciliation franco-allemande dans les esprits de chaque habitant des deux pays. Difficile – mais nécessaire – pari que celui-ci : ennemis depuis 1870, Français et Allemands se sont fait face deux fois en moins d’un demi-siècle sur les champs de bataille des deux conflits les plus meurtriers de l’histoire de l’humanité. Dix-neuf ans après ce traité historique, pourtant, les vieux antagonismes n’ont toujours pas disparu et si, diplomatiquement, les différents couples franco-allemands (Willy Brandt et Georges Pompidou, Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing) œuvrent pour une stabilisation des relations, les Français ne portent toujours pas leurs voisins dans leurs cœurs, et vice versa. Alors, lorsque l’équipe de France s’apprête à défier la RFA à Séville en demi-finales de la Coupe du monde, il plane sur la rencontre une atmosphère pesante. Ce soir-là, comme ce fut souvent le cas avec le football, il n’est plus question que de sport.

Le mal en blanc

Au moment d’entrer sur la pelouse du stade Ramón-Sánchez-Pizjuán, les Bleus ne partent pas vraiment favoris. Écrasés par l’Allemagne dix-huit mois plus tôt à Hanovre (4-1), les coéquipiers de Platini s’apprêtent à défier une nouvelle fois les champions d’Europe en titre. En maillots blancs, les Allemands rendent hommage à leur statut de favoris en début de rencontre. Littbarski, après un coup franc sur la barre, ouvre logiquement le score peu après le quart d’heure de jeu. Moins de dix minutes plus tard, Michel Platini égalise sur penalty. La France prend alors le dessus. Techniquement, du moins. Physiquement, les Allemands imposent à leurs adversaires un jeu rugueux, même violent, parfois. Cette dualité des styles n’échappent à personne, pas même à Francis Huster, qui écrira après la rencontre, dans une lettre ouverte à Michel Platini : « Ce pourquoi Cyrano, Molière, Jean Moulin en France sont morts : le panache. Contre la brute aveugle, contre la bêtise de la force, contre la masse de muscles sans faille, vous avez jailli avec votre poésie, votre imagination, votre finesse, votre inspiration, et tu sais quoi Michel, votre humilité. »

Après une deuxième mi-temps riche en événements spectaculaires, dont le paroxysme d’intensité est atteint à la 57e minute avec ce choc terrible entre le gardien allemand Harald Schumacher et Battiston, les deux équipes se livrent à une prolongation absolument incroyable. Menés trois buts à un à la 102e minute, les Allemands parviennent tout de même à égaliser en six minutes. Les tirs au but désigneront la RFA vainqueur. Et donneront raison à Beckenbauer, qui avait déclaré avant la rencontre : « Jouez dur, les Français détestent ça. » En finale du Mondial, l’Allemagne s’inclinera face à l’Italie. Mais cette défaite ne consolera pas les Français. Qu’importe ce qui aurait bien pu se passer, le mal était fait. Des années durant, la défaite de Séville restera un traumatisme que rien ne pourra atténuer. Pour beaucoup, seule la victoire en finale du Mondial 1998, au Stade de France, a pu inverser la balance émotionnelle. Et bien évidemment, durant tout ce temps, la France a pointé du doigt un homme, le gardien allemand Schumacher.

Le boucher de Séville, le tueur de Français, le SS

Dès le lendemain de cette terrible défaite, Jean Cau, journaliste pour Paris Match, est un des premiers à oser une comparaison avec les guerres mondiales : « Tout est guerre. De 1914 et de 1940. De 1982, où pour la troisième fois en un siècle, la France rencontrait l’Allemagne dans un match capital et sur le champ de bataille de Séville. Je sais que nous dirons vite que, là, c’était du sport, mais… Mais le fascinant, l’étrange et le troublant spectacle ! D’un côté, l’Allemagne dans la force et la puissance de ses divisions blondes et rousses. De l’autre, la France et ses héroïques « petits ». » Si ce match est un champ de bataille de la Seconde Guerre mondiale, le pire soldat debout est bien évidemment Harald Schumacher. Outre sa sortie qui laissera Battiston sur une civière, la mâchoire en miettes, c’est son attitude qui laisse les Français pantois. À l’écart, en train de mâcher un chewing-gum, le portier n’a pas le moindre geste pour le soldat inconscient qui quitte le terrain. Une attitude et un visage qui réveillent immédiatement les relents germanophobes d’une bonne partie de la population française.

Les insultes se multiplient, la tension monte. À tel point que le chancelier allemand en personne envoie un télégramme à François Mitterrand : « Le jugement de Dieu qui, selon la mythologie classique, entre en jeu dans chaque combat entre deux peuples a voulu que cette chance échoie au camp allemand dans ce match. Nous sommes de tout cœur avec les Français qui méritaient d’aller de l’avant tout autant que nous. » Une semaine jour pour jour après le match, Le Républicain Lorrain organise même une rencontre entre Battiston et son bourreau. L’événement est abondamment médiatisé en France et en Allemagne. Mais personne ne croit vraiment à cette mise en scène, qui passe même tout proche de jeter de l’huile sur le feu : Schumacher semble plus que mal à l’aise, alors que Battiston se présente au public avec sa gueule cassée, et la poignée de main semble froide et insensible. La France en voudra longtemps à l’Allemagne pour sa brutalité, son arrogance. Il y a même une part de jalousie qui s’immisce dans les débats : à cette époque, la France, économiquement mal en point, ne peut qu’admirer la vigueur allemande.

L’humour en guise de remède

Alors qu’après une vague de films réalistes et brutaux, l’industrie du cinéma français se rabat sur la comédie pour évoquer la Seconde Guerre mondiale et ses atrocités (en 1982, le film Papy fait de la résistance est en cours de tournage), c’est aussi grâce à l’humour que les Français essaieront d’exorciser cette défaite sportive. Peu de temps après la fin du Mondial, l’équipe de France est invitée sur le plateau d’une émission de variétés présentée par Michel Drucker. Pendant celle-ci, Patrick Sébastien, qui n’était pas encore serré au fond d’une boîte de sardines, imite le gardien allemand Schumacher, gants de boxe vissés aux poings. Très caricaturale mais assez bienvenue dans ce difficile moment, l’image de Patrick Sébastien mâchant un chewing-gum comme un ruminant fait rire la France. Et c’était sans doute ce dont elle avait besoin. De ça, et d’une victoire en Mondial.

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Par Gabriel Cnudde

Avec l'aide précieuse de Chérif Ghemmour, qui tient à préciser qu'Harald Schumacher était un gardien exceptionnel

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