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Portrait : sur les traces d’Erling Braut Haaland

Par Andrea Chazy et Clement Gavard, avec Steven Oliveira
9 minutes
Portrait : sur les traces d’Erling Braut Haaland

En l’espace de quelques mois, le phénomène Erling Braut Haaland s’est imposé comme un buteur de premier plan, à qui tout le monde prédit un avenir qui scintille et une grande rivalité à vivre avec Kylian Mbappé quand Messi et Cristiano Ronaldo auront décidé de passer la main. Après avoir vendu du rêve à Salzbourg, en championnat comme en Ligue des champions, le géant norvégien poursuit son évolution avec encore plus d’efficacité à Dortmund depuis plus d’un an. Mais d’où vient ce cyborg et jusqu’où ira-t-il ?

On joue la 56e minute à la SGL Arena, au cœur de la Bavière en Allemagne. En ce samedi 18 janvier, date de reprise pour la Bundesliga en 2020, Dortmund est mené 3-1 sur le terrain d’Augsbourg. Le moment est venu, et Lucien Favre, l’entraîneur des visiteurs, n’a pas vraiment le choix. Erling Haaland, maillot jaune et noir orné du numéro 17 dans le dos, sort du banc et frappe dans les mains de Łukasz Piszczek avant d’aller se positionner à la pointe de l’attaque des Borussen. Le jeune attaquant norvégien de 19 ans ne le sait pas encore, mais il s’apprête à vivre 22 minutes de folie. Et à ouvrir, surtout, les portes de l’enfer à Tomáš Koubek, l’ancien gardien du Stade rennais, et ses coéquipiers. Durant ce court laps de temps, Haaland va tirer à trois reprises. Du gauche et dans la surface, à chaque fois. Pour la même finalité, avec le même constat de fatalité pour Koubek. Vous l’aurez compris : pour sa première avec Dortmund, couronnée d’un succès 5-3, Erling Haaland a inscrit un triplé. En 22 minutes. Un peu plus d’un an après son arrivée en Bundesliga, Haaland tourne pour ainsi dire à une moyenne d’un but par match toutes compétitions confondues. À savoir, très exactement, 49 pions en 52 apparitions (statistique mi-avril 2021, ndlr). Malgré une petite période de disette en mars-avril 2021, ces chiffres restent fous et… ne surprennent personne.

C’est de loin le meilleur attaquant que j’ai affronté jusque-là. C’est un très bon joueur, qui se sent comme chez lui lorsqu’il est dans la surface de réparation.

Chasseur de buts

Depuis son éclosion, le Viking est sur une autre planète. Dans une autre galaxie. Il faut remonter au 30 mai 2019 pour assister au point de départ de cette folle ascension : dans un match pour du beurre à la Coupe du monde U20, la Norvège colle une raclée au Honduras (12-0), et un attaquant de 18 ans se permet de planter neuf buts, tous marqués depuis l’intérieur de la surface. Le pauvre José Omar Garcia Martin, le portier hondurien, a eu le malheur de croiser ce jour-là la route d’Erling Braut Haaland, l’auteur de ce nonuplé bluffant. « Je ne le connaissais pas du tout avant ce Mondial, précise alors le gardien des U19 du Real España au Honduras. C’est de loin le meilleur attaquant que j’ai affronté jusque-là. C’est un très bon joueur, qui se sent comme chez lui lorsqu’il est dans la surface de réparation. Ce qui m’a le plus impressionné, c’est son humilité et sa manière de se déplacer dans les espaces. Je n’avais qu’une idée en tête : que le match se termine le plus vite possible. » Pas de panique : il ne sera pas la seule victime du grand dadais norvégien, loin de là.

Haaland ne pouvait pas se satisfaire d’un coup d’éclat à l’Arena Lublin, dans une compétition peu médiatisée. Il veut désormais se faire un nom en Europe. La mission démarre bien : lors de la première partie de la saison 2019-2020, il inscrit 24 buts en 20 apparitions avec le RB Salzbourg, dont 8 en 6 matchs de poule de Ligue des champions. Il devient même le troisième plus jeune joueur de l’histoire de la compétition à signer un triplé (contre Genk), après Raúl en 1995 et Rooney en 2004. Voilà qui pose un homme.« C’est Ibrahimović ! On le compare à lui, mais c’est ça. Ce n’est pas un joueur arrogant, il est cool, c’est un super gars. Mais dans la confiance, dans la manière de faire, c’est ça, développait son désormais ex-coéquipier Jérôme Onguéné en décembre 2019. Il veut marquer, il ne pense qu’à ça. S’il met un but à l’entraînement, il va célébrer. Il travaille beaucoup en dehors. »L’histoire de sa vie.

Bryne de Torth

C’est en Angleterre, à Leeds, qu’Erling Haaland voit le jour le 21 juillet 2000. Son père, Alf-Inge Haaland, évolue en tant que défenseur central chez les Peacockset s’apprête à rejoindre Manchester City. À la suite d’un terrible tacle au niveau du genou gauche de Roy Keane en 2001, considéré comme l’un des plus dangereux de l’histoire, Haaland père met sa carrière de footballeur entre parenthèses deux ans plus tard et rentre en Norvège. À Bryne, dans le Rogaland, la terre qui l’a vu grandir et qui verra aussi son fils Erling y couler son enfance. Dès l’âge de 5 ans et demi, le fiston toque à la porte du Bryne FK, le club de la ville, pour y prendre sa première licence. Alf-Ingve Berntsen, qui sera son coach jusqu’à ses 14 ans, se souvient de son arrivée : « La première fois que j’ai vu Erling, il avait 5 ans et demi. Il s’est inscrit au club cette année-là, mais il s’entraînait avec des enfants plus vieux que lui, ceux nés en 1999, dont j’étais le coach. Il avait déjà une mentalité de vainqueur. Le fait d’avoir eu un père professionnel avec une belle carrière a aidé à cela, mais aussi de grandir dans une ville où le sport prend une part importante. »

Le fait d’avoir eu un père professionnel avec une belle carrière a aidé à cela, mais aussi de grandir dans une ville où le sport prend une part importante.

À côté des entraînements en semaine, Erling et ses amis jouent régulièrement les week-ends dans le complexe indoor Jaerhallen, situé juste à côté du stade. Physiquement, le petit Haaland n’a alors rien du géant qu’il est aujourd’hui. « Petit, Erling n’était ni grand ni petit, poursuit Berntsen. Il était de taille normale, mais très mince. Quand il avait 9 ans, et que les autres garçons en avaient 10, sa situation physique l’a obligé à s’adapter. À devenir plus intelligent dans ses déplacements, notamment dans la surface, car il ne faisait pas le poids à ce moment-là dans le duel. Ce n’est qu’à l’âge de 14 ans qu’il a énormément grandi. Puis à 16 ans, il a commencé à se muscler pour devenir ensuite l’athlète qu’il est aujourd’hui. »

En Norvège, les enfants font beaucoup de sport, et Erling n’échappe pas à la norme. En plus du foot, il fait de la course et du handball.« En Norvège, lorsqu’ils sont jeunes, les enfants font plusieurs sports, et à 11-12 ans, ils en choisissent un. Le football était déjà son sport de prédilection, mais la pratique et la compétition dans ces autres disciplines ont aussi permis à son corps de se développer. Notamment pendant l’hiver, où l’on fait moins de sports extérieurs et davantage de sport indoor. » L’anecdote commence à être connue de tous, mais Haaland possède encore aujourd’hui le record du monde du saut en longueur sans élan dans la catégorie moins de six ans, avec un bond d’1,63 mètre réalisé le 22 janvier 2006. Reste qu’Haaland est comme son père : il aime le foot et commence à montrer des signes, des aptitudes, qui le font sortir du lot. « Il était très bon dès le premier jour. Et il devenait de plus en plus fort à mesure que les années s’écoulaient. Quand il a été plus âgé, nous voulions le pousser à toujours se dépasser. Nous étions conscients de son potentiel, mais il était dans un groupe talentueux où ce n’était pas non plus gagné d’avance. Ça l’a obligé à toujours donner davantage », conclut Berntsen. Et ça paye : à l’âge de 15 ans et 9 mois, Erling Haaland dispute ses premières minutes avec l’équipe première du Bryne FK, alors en D2 norvégienne. À cette période, Haaland joue sur l’aile et n’est pas encore le buteur qui affole toutes les défenses d’Europe. Ce n’est qu’une question de temps, comme toujours avec lui. Un an plus tard seulement, Molde, en première division et entraîné par Ole Gunnar Solskjær, flaire le bon coup et le convainc de quitter son nid.

Ils disaient qu’il n’était pas exceptionnel techniquement, et ils ne comprenaient pas ce que Solskjær avait pu voir en lui pour aller le chercher en D2 norvégienne.

La croissance d’un géant

Chez le quadruple champion de Norvège, Haaland bascule dans une autre dimension et met du temps à digérer ce changement. Résultat, il peine à convaincre son monde les premiers mois. « J’ai joué avec un ami qui était à Molde à ce moment-là, il me racontait qu’au début, il se moquait d’Haaland avec d’autres joueurs,raconte le défenseur français Christophe Psyché, qui a croisé la route du phénomène avec son club norvégien de Kristiansund. Ils disaient qu’il n’était pas exceptionnel techniquement, et ils ne comprenaient pas ce que Solskjær avait pu voir en lui pour aller le chercher en D2 norvégienne. » Il faut dire que l’adolescent est miné par les pépins physiques, la faute à des problèmes liés à sa croissance soudaine. Dans le comté de Møre og Romsdal, Haaland devient un adulte, et sa transformation est impressionnante : en quelques mois, il prend 11 centimètres et près de 13 kilos. Les soucis sont derrière lui, l’heure est venue pour le nouveau géant d’épater la galerie.

La semaine qui précédait ce fameux match, il avait absolument tout raté à l’entraînement : des reprises à un mètre, deux mètres, trois mètres.

À Molde, le jeune homme parfait son intégration, vit dans un immeuble occupé par plusieurs autres membres de l’équipe et se construit une réputation de blagueur dans le vestiaire. Il finit même par gagner le surnom de « Manchild » (l’homme-enfant).« Il n’aimait pas trop quand je l’appelais comme ça », sourit Ruben Gabrielsen, capitaine de Molde entre 2016 et 2018. Puis, il y a le déclic, le 1er juillet 2018, lors d’un déplacement à Bergen. « La semaine qui précédait ce fameux match, il avait absolument tout raté à l’entraînement : des reprises à un mètre, deux mètres, trois mètres,hallucine encore Gabrielsen, désormais défenseur à Toulouse. Je rigolais, je lui disais qu’il allait peut-être falloir qu’il marque un jour. Pour être honnête, je ne pensais même pas qu’il allait jouer ce match face à Brann(le club de Bergen, NDLR). »

Non seulement Haaland est titulaire, mais il se permet surtout de claquer un quadruplé en 21 minutes chrono sur la pelouse du deuxième au classement. De quoi estomaquer son partenaire Gabrielsen : « Dans le vestiaire à la pause, j’en riais en le regardant. Je me disais : c’est quoi cette magie chez ce gamin ? C’était fantastique. » Le fruit du talent, mais aussi du travail de Solskjær. Depuis son arrivée à Molde, le technicien norvégien couve son petit protégé : il lui parle beaucoup, passe du temps avec lui et une « bonne alchimie » naît entre les deux hommes. Haaland est lancé, il enquille les pions et ne cesse, depuis, d’éblouir ses coéquipiers. Suffisant pour taper dans l’œil des recruteurs du RB Salzbourg, où il doit filer pour continuer sa progression fulgurante. Surtout qu’il commence à faire le beau sur la scène européenne, comme lors d’un barrage de C3 contre le Zénith Saint-Pétersbourg en août 2018. Gabrielsen se souvient : « Il allait quand même se retrouver face à Branislav Ivanović, et cela ne s’annonçait pas simple. Finalement, il l’a tué. Là, je me suis dit que c’était vraiment incroyable. Je ne sais pas où il va s’arrêter. » À vrai dire, personne ne le sait vraiment.

Article paru dans le numéro 59 de SO FOOT CLUB en mars 2020

Dans cet article :
Le Borussia Dortmund patine encore à l’extérieur
Dans cet article :

Par Andrea Chazy et Clement Gavard, avec Steven Oliveira

Tous propos recueillis par AC et CG, sauf José Omar Garcia Martin par SO, et Jérôme Onguéné par L'Équipe.

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