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Le monde idéal de Philippe Diallo
S’il existe un homme heureux dans le football français, il s’appelle Philippe Diallo. Le président de la FFF semble pour le moment épargné par la crise générale que traverse le ballon rond. Au point de se représenter à son poste sereinement en décembre prochain, une victoire dont personne ne doute pour le moment. Mais son positionnement consensuel est-il vraiment ce dont le foot a besoin ?
Commission d’enquête parlementaire, tragicomédie à la LFP, calvaire des droits télé, etc. : rarement le foot hexagonal aura à ce point défrayé la chronique et l’actualité. Tranquillement assis sur son siège, le consensuel et placide Philippe Diallo donne le sentiment de contempler le spectacle avec une quiétude « jusqu’au-bouddhiste », en vieux sage à l’abri de la tempête. Il est arrivé presque involontairement à la tête d’une fédération salie et déconsidérée par la fin de règne cataclysmique de Noël Le Graët. Homme de dossiers, il s’est attelé depuis à ramener le calme autour de la FFF, à réduire le bruit médiatique qui éclairait un peu trop l’envers du décor et surtout à régler un à un les sujets en souffrance comme les droits à l’image dans les sélections nationales.
De ce fait, il paraît hautement improbable que l’assemblée générale élective du 14 décembre prochain ne le reconduise pas pour quatre ans, surtout après le doublement du contrat avec Nike (les finances se portent bien). Les candidats se font rares pour ferrailler contre lui, surtout en prenant le risque d’un score risible de témoignage. Cette situation pourrait même poser question, au regard des indignations suscitées par le triste feuilleton proposé au public par la LFP, lorsqu’il avait fallu un coup de fil ministériel pour qu’une façade démocratique soit maintenue.
De fait, si « Phil » incarne une figure rassurante, le contexte supposerait peut-être davantage d’audace ou de vision de sa part, surtout quand on a entre les mains le destin d’un sport aussi marquant dans le pays, y compris politiquement. L’arrivée du très conservateur Gil Avérous au ministère des Sports lui garantit d’avoir les coudées franches du côté de la tutelle étatique. Toutefois, et il est bien placé pour le savoir, l’actualité et la société finissent toujours par enfoncer la porte des stades et envahir le terrain.
Le président normal
Dans l’interview qu’il a accordée à L’Équipe, il a tenté néanmoins de poser les bases d’un programme, très mesuré et rassurant. En premier lieu autour de l’« ADN » de la FFF, le monde amateur (qui va constituer le principal corps électoral en fin d’année), en évoquant au passage une nécessaire réforme de la sacro-sainte Coupe de France. Conscient des dangers qui pèsent sur l’hégémonie du ballon rond, qui peut perdre des « parts de marché » dans la jeunesse face à l’attrait d’autres disciplines portées par l’effet JO, il n’hésite plus à reparler de « croissance » des licencié·es (quand auparavant on évoquait plutôt la saturation des capacités d’accueil). « On est sur une trajectoire qui doit aussi nous amener dans les cinq à dix ans à 3 millions de licenciés. Pour y parvenir, il faut un partenariat avec les collectivités locales, car il faut des terrains, des vestiaires, des encadrants. » Seul problème, les villes et villages vont vivre dans de prochaines tensions ou restrictions budgétaires, du moins à bien comprendre les annonces du nouveau gouvernement… Les priorités seront-elles fléchées vers une nouvelle pelouse ?
Autre problématique, pourra-t-il représenter un contre-pouvoir face à Vincent Labrune, dont beaucoup s’inquiètent malgré tout de la gouvernance toute personnelle, même du côté de CVC ? Une fois encore, sa volonté d’apaisement va sûrement de nouveau prendre le dessus, comme il l’a démontré en s’avérant plus que discret durant l’élection proprement dite. « J’ai regretté l’image médiatique donnée de cette élection, esquisse-t-il avant de se ranger. J’ai félicité Vincent Labrune, car il a réussi à rassembler de manière large avec 85 % des voix. Et je l’ai assuré du soutien de la Fédération. » Quitte même à venir à sa rescousse face aux difficultés économiques de la « pauvre » LFP. « Je l’ai montré concrètement avec le challenge des Espoirs, abandonné par la Ligue pour des raisons économiques et que je souhaite prendre en mains temporairement, car la formation est la pierre angulaire du football français. Ce challenge aura lieu cette saison. » Derrière ces propos, la volonté que tout se règle toujours entre gens du même monde.
Soucieux de protéger avant tout l’institution, se révélera-t-il assez courageux pour secouer un sport qui a pourtant grand besoin de se repenser culturellement (essor des « autres foots », l’arbitrage au bord de l’implosion, sport féminin, etc.), en particulier pour affronter les enjeux sociétaux qui vont inévitablement revenir le hanter (laïcité, homophobie, racisme, etc.) ? Son regard sur Didier Deschamps renvoie presque un effet miroir de la perception de son propre bilan : « J’entends des commentaires, alors même qu’il devrait jouir plutôt d’une forme de gratitude par rapport à ce qu’il a amené à cette équipe de France depuis douze ans. Chapeau bas. Il a pleinement rempli sa mission et a une forte détermination pour la poursuivre. » Ils iront sûrement ensemble aux États-Unis en 2026…
Par Nicolas Kssis-Martov