- Rétro
- Mondial Mexico 86
Maroc the Casbah
Loin de tous les clichés collant aux équipes africaines, le Maroc, avec un style froid et calculateur, mais porté par d'immenses individualités, va régaler à son continent sa première qualification pour les huitièmes de finale.
Après son merveilleux concert donné en 1982 en Espagne, un bis de l’Algérie était attendu sur les planches mexicaines. Mais si les virtuoses Madjer, Assad, et Belloumi, savaient toujours aussi bien s’écarter de la partition pour sublimer les vertus du collectif, l’ensemble vert et blanc venait de perdre son unité à l’approche des champs d’agave bordés de cactus. La grave fausse note est commise par Rabah Saadane. En appelant dans le prélude du Mondial des joueurs immigrés au mépris du statut des héros de 82, le sélectionneur fait voler en éclat l’harmonie de l’orchestre national d’Alger. Au Mexique, les Fennecs n’accrocheront qu’un misérable point face à l’Irlande du Nord (1-1), et ne trouveront, cette fois, personne pour pleurer sur leur sort, comme lorsqu’ils furent victimes du sens de l’arithmétique germanophone.
Loin des dissonances vertes et blanches, à l’ouest d’Alger, des Lions rugissent. Ils prennent le relais des Fennecs, dans un style moins exotique, mais plus efficace. Avec Mohamed Timoumi, Mustapha El Haddaoui, ou l’immense Abdelmajid Dolmy, le Maroc exhibe sans doute la meilleure génération de son histoire. Mais loin de la générosité un brin naïve de Madjer et consorts, les représentants du royaume chérifien cultivent l’hermétisme, experts pour casser le rythme d’une rencontre, voire même rugueux quand les circonstances l’exigent. Avant d’aborder le dernier match de poule, le 11 juin face au Portugal, les Marocains n’ont ainsi pas marqué un seul but, mais n’en ont pas encaissé non plus face à l’Angleterre et à la Pologne.
« On avait baladé techniquement les Anglais, se souvient Mustapha El Haddaoui, ils avaient les boules : Hatley avait d’ailleurs mis le pied sur le visage de Dolmy, volontairement » . Avant-centre de la sélection alors sous contrat avec Le Havre, Merry Krimau dresse le portrait robot des Lions millésimés 86 : « On était aussi techniques que physiques. On avait peur de personne, et puis il faut dire aussi qu’on avait fait une super préparation à Monterrey, on était la première équipe sur place, on s’était bien acclimaté aux températures mexicaines » . Face au Portugal, les Marocains vont cette fois passé à l’offensive et disposer facilement de la bande à Futre (3-1). Premiers du groupe F, les Lions de l’Atlas deviennent la première équipe africaine à se qualifier pour un deuxième tour d’une Coupe du Monde. Du travail de pro.
Les buts de Maroc-Portugal
« Nous étions opposés à trois grandes nations au premier tour, se remémore le milieu offensif, El Haddaoui, mais outre notre osmose collective, nous pouvions nous appuyer sur trois immenses joueurs comme Timoumi, Ballon d’Or africain en 1985, notre gardien Badou Zaki, Ballon d’or africain en 1986, et Dolmy, le maestro de la récupération, qui en aurait mérité au moins un » . L’ossature de la sélection est formée par les meilleurs soldats des FAR Rabat, commandés par l’entraîneur brésilien et sélectionneur, José Faria. Les représentants du royaume chérifien disposent aussi d’un préparateur mental de choix, en la personne de sa majesté Hassan II. « Ils nous appelait pour nous motiver, se rappelle El Haddaoui,il parlait à chacun de nous, nous faisait sentir que tout le peuple marocain était derrière nous. Ce sont des choses minimes mais qui ont leur importance sur le rendement de chacun et du groupe » .
En huitièmes de finale, le Maroc va jouer une nouvelle grande partition tactique. Face à la RFA, les Lions refusent de se livrer, font tourner le ballon, et malgré leur option prudente manquent même d’ouvrir le score : « Au quart d’heure de jeu j’ai enrhumé trois, quatre allemands, conte El Haddaoui, et Schumacher a sorti ma frappe d’un arrêt exceptionnel » . Face à une Mannschaft qui cuit sous le soleil mexicain, le Maroc compte renverser l’ogre allemand lors de la prolongation. Un plan qui se déroule sans anicroche jusqu’à la 87e minute et un cruel coup-franc de Matthäus dévié par le mur marocain. « Quand j’ai joué au Matra Racing, j’ai côtoyé l’Allemand Littbarski, indique Krimau, et il m’a dit que si le match s’était prolongé ils n’auraient dans doute pas été capables de nous battre. » . « Perdre sur un but comme ça fait toujours mal, enchaîne El Haddaoui.En quarts, on aurait rencontré le Mexique … sur le papier c’était jouable » . Derrière les regrets légitimes des Lions de l’Atlas, cette sélection peut s’enorgueillir de n’avoir toujours pas trouvé d’équivalentes : depuis 1986, jamais le Maroc n’est parvenu à se hisser en huitièmes de finale d’une Coupe du Monde.
Un bout de Maroc-Allemagne
Thomas Goubin, au Mexique
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