Bonjour Maître, six mois se sont écoulés depuis le drame de Tizi Ouzou et la mort d’Albert Ebossé. On ne sait toujours pas où en est l’enquête ?
Vous n’êtes pas le seul déçu ! Au niveau de l’enquête menée en Algérie, la famille et moi-même n’avons absolument aucune information. Je me suis déplacé à Douala au Cameroun en décembre dernier, où le corps a été rapatrié. À la suite de la conférence de presse sur le second rapport d’autopsie, on a cru que le procureur de Tizi Ouzou se manifesterait. Or, force est de constater qu’on dort toujours en Algérie. C’est un gros problème. Nous cherchons actuellement à lever les barrières qui semblent entraver le chemin de la vérité. Forcément, moins on a accès aux informations, plus on crée de la suspicion.
Quelles sont actuellement les initiatives en cours de votre côté ?
En premier, il s’agit d’avoir accès au dossier pénal ouvert au tribunal de Tizi Ouzou. Malgré mes nombreuses relances, je n’ai toujours pas reçu la moindre réponse du procureur. C’est quand même incroyable (dépité). On ne sait toujours pas quels sont les témoignages et expertises présents dans le dossier, on ne sait pas ce qu’il contient. Lorsque le joueur a regagné le vestiaire, il était entouré de plein de gens, des joueurs, des dirigeants, des policiers. Ces derniers ont forcément vu ce qui s’est passé. Il y a des témoignages clés qui existent et doivent être récoltés. Ensuite, il faut que l’on dépose une plainte officielle pour homicide contre X avec constitution de partie civile. Pour cela, il nous faut trouver un intermédiaire du barreau de Tizi Ouzou, un avocat qui soit suffisamment indépendant malgré l’environnement local et les pressions.
Le rapport d’autopsie ne laisse guère de doute quant à ce qui s’est passé…
Absolument… Contrairement à ce qui a été expliqué dans un premier temps, le traumatisme crânien ne semble pas pouvoir provenir d’une ardoise lancée par les supporters, comme le maintient la JS Kabyllie (le club de foot, ndlr). Il a été provoqué par un objet tranchant, et non un objet contondant… De plus, les fractures constatées au niveau des vertèbres ne correspondent pas à la thèse du projectile.
Le plus troublant reste encore la luxation de l’épaule dont a été victime le joueur…
Cette blessure ne peut pas être causée par un projectile. Dans son rapport, le médecin légiste a émis l’hypothèse qu’elle ait été provoquée par une recherche d’immobilisation violente. On peut imaginer qu’il a eu l’épaule luxée après s’être débattu. Je ne sais pas si vous avez vu les photos, mais la densité et le volume de l’épaule sont impressionnantes.
Oui, mais ce n’est pas tout…
Il manque, au niveau du plexus, une partie du corps qui a été enlevée lors de sa première autopsie en Algérie. Or c’est la règle quels que soient les examens, il faut toujours laisser le corps entier en cas de contre-expertise… Ce morceau qui manque semble caractéristique d’un coup de couteau… Mais ce n’est qu’une hypothèse, puisque on ne peut pas le vérifier…
Avec le rapport du légiste la piste de l’homicide involontaire est écartée. Reste l’hypothèse minimum de l’homicide volontaire, soutenue par le club
Tout semble indiquer qu’on a affaire à un assassinat…
On ne peut pas encore affirmer la thèse de l’assassinat, mais on ne peut pas non plus l’exclure. Il faut gravir les échelons (prudent). Déjà, ce qui est sûr, c’est qu’avec le rapport du légiste, la piste de l’homicide involontaire est écartée. Reste l’hypothèse minimum de l’homicide volontaire, soutenue par le club qui accuse ses supporters d’avoir lancé un projectile. Mais ce n’est pas suffisant. Selon moi, le rapport permet de franchir le palier de la notion de meurtre, mais pas celui de l’assassinat. En l’état actuel des choses, on ne peut pas encore prouver un guet-apens ou du moins une préméditation.
Reste aussi la question du mobile. Tout le monde s’accorde à dire qu’Albert était quelqu’un d’adorable. Pourquoi aurait-on voulu le tuer ?
La question du mobile est en effet une grande interrogation. Plusieurs hypothèses sont permises. On a peut-être affaire à une raison cachée dans la vie privée du joueur. D’autres imaginent que la mort d’Albert Ebossé a été orchestrée par les autorités pour prouver que les stades du pays ne répondent pas aux normes de sécurité… L’Algérie était candidate à l’organisation de la CAN en 2017, mais n’avait pas les moyens financiers de répondre aux attentes. Pour éviter le camouflet, ils auraient préféré mettre en avant les problèmes de sécurité. Cela fait partie des hypothèses, mais il faut avant tout que les témoins parlent !
Comment expliquer la culture du silence dans laquelle sont plongés ses coéquipiers et ses amis, à l’image de Kamel Yesli qui a donné la version officielle du club à la radio ?
Ils pensaient peut-être ça au départ… Mais ce qui est sûr, c’est que le joueur qui le suit derrière dans le tunnel le voit s’écrouler. C’est impossible qu’il n’ait pas pu voir ce qui lui est arrivé… Il faut aussi que les supporters s’impliquent. Ils sont accusés dans cette affaire, le club leur a tout mis sur le dos pour se dédouaner. Je trouve ça trop facile, les supporters ont intérêt à faire pression pour connaître la vérité.
Que pensez-vous de la levée des sanctions contre la JSK et de la réouverture du stade ?
Visiblement, il y a des dossiers qui avancent plus vite que d’autres (ironique) On s’est soucié de la survie du club plus de ce qui s’est passé et de la vérité. Je ne comprends pas l’allègement des sanctions, d’autant plus que la responsabilité de la JSK est clairement engagée. Tout club se doit d’assurer la sécurité dans le stade, c’est une obligation essentielle. Or il y a eu une défaillance. Personnellement, je trouve tout cela assez choquant…
Sous pression, le très controversé président de la JSK Mohand Cherif Hannachi a démissionné dans « l’intérêt du club » avant de revenir sur sa décision en février, comme par miracle…
Oui, mais il ne faut pas que les dirigeants se croient tirés d’affaire. Le joueur était salarié, donc son contrat a pris fin, mais la JSK ne doit pas penser qu’elle est dégagée de toute responsabilité à son égard. Je suis en train de saisir à ce sujet la commission des litiges de la FIFA. J’ai reçu les actes de notoriété de la justice camerounaise pour permettre au père d’Albert de représenter son petit-fils en justice. Dans mon action, je suis guidé par les intérêts de l’enfant d’Albert Ebossé. Il aurait dû avoir un père bientôt international camerounais, recevoir une éducation correcte et aisée, mais il se retrouve orphelin…
Il faut se battre pour connaître la vérité. On est devant un mur, mais on persistera
Dans quel état d’esprit se trouve sa famille du joueur ?
C’est terrible. J’ai affaire à une famille profondément touchée. Je les ai vus sur place, ils sont effondrés… Le père surmonte la douleur, c’est une personne formidable. Il faut bien aller de l’avant et se battre pour connaître la vérité. On est devant un mur, mais on persistera.
Craignez-vous que cette affaire ne soit jamais élucidée ?
Ce ne serait pas la première ni la dernière affaire à ne pas être élucidée, mais il faut toujours y croire et mettre toutes ses forces dans la bataille.
Faites-vous confiance à la justice algérienne ?
Je suis obligé de faire confiance, malgré mes doutes et mes inquiétudes. Il faut faire en sorte d’y croire, sachant que le temps de la justice est un temps long… Si des éléments objectifs entravent l’enquête, on les dénoncera. Disons que pour l’instant, on part dans l’idée de faire confiance, mais si elle s’avère mal-appropriée, on n’hésitera pas à protester.
En attendant, que fait la FIFA ?
On ne les entend pas beaucoup pour un meurtre sur un joueur en activité. Ils sont pour l’instant dans la compassion, mais pas assez dans l’action. La CAF et la FIFA doivent s’impliquer davantage sur le plan juridique et politique. Ce sont des organismes qui ont du pouvoir et des responsabilités. Il faut faire pression et concourir politiquement à la vérité pour faire en sorte qu’un tel drame ne se reproduise jamais.
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