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  • Récit issu du livre "Les Héros oubliés de la Coupe du monde"

Mágico González, l’autre vrai meilleur joueur du monde

Par Alexandre Gonzalez
Mágico González, l’autre vrai meilleur joueur du monde

Comment peut-on finir dans l’équipe type de la Coupe du monde 1982 lorsque l’on joue pour un Salvador éliminé après trois défaites et treize buts encaissés ? Réponse : il faut s’appeler Jorge « Mágico » González et avoir été qualifié de « meilleur joueur du monde » par Diego Maradona. Un capital que ce technicien de génie s’est attaché à ne pas faire fructifier...

Cette histoire commence par un record. Le 15 juin 1982, pour son entrée dans le mondial espagnol, la Hongrie affronte le Salvador. Dans la nuit chaude d’Elche, les Magyars atomisent les joueurs d’Amérique centrale 10 buts à 1, plus grosse branlée en date de la Coupe du monde. À la surprise générale, c’est pourtant un Salvadorien qui est élu homme du match. L’état civil dit Jorge González, mais lui ne se retourne que si on l’appelle « Mágico ». Malgré un petit buste mal emboîté sur des jambes trop courtes, l’attaquant salvadorien a tout du phénomène : vif, technique, dribbleur hors pair. Six mois plus tôt, Mágico González s’était déjà amusé face au Mexique, en traversant tout seul la défense aztèque pour offrir à son pays la deuxième qualification de son histoire. Des tribunes, Mágico est facile à repérer : c’est le type qui joue les chaussettes baissées et le sourire aux lèvres. Si cela ne suffit pas, on peut aussi le reconnaître à son appendice nasal démesuré. Le tout est amplement suffisant pour marquer une compétition : le 11 juillet, à la fin du tournoi, Mágico González figure dans le onze type du mondial, en attaque, aux côtés de Paolo Rossi. Le tout en n’ayant joué que trois matchs – tous perdus –, et marqué zéro but. Une autre performance inédite.

Logiquement, le Salvadorien est placé en tête de gondole de la traditionnelle foire aux bestiaux qui suit le Mundial. L’Atlético de Madrid veut l’acheter pour répliquer au Barça, qui vient de signer un jeune Argentin prometteur du nom de Diego Armando Maradona. Mais l’attaquant préfère débarquer dans une Andalousie post-franquiste pas encore contaminée par la Movida : il signe pour 130 000 dollars au FC Cadix, tout juste relégué en deuxième division. D’emblée, l’impression est immense. La foule se presse au vétuste stade Ramon de Carranza pour le voir exécuter la culebra machetiada, un genre de passement de jambes arrêté puis brusquement enchaîné d’un coup de reins dévastateur. « Je n’avais jamais vu un joueur avec une telle qualité technique. Un jour, il s’est mis à jongler avec un paquet de cigarettes. Une orange, c’est rond, mais un paquet de cigarettes, c’est rectangulaire ! La sensibilité que Dieu nous a donnée dans les mains, Dieu l’a mise dans les pieds de Jorge. Il mettait le ballon où il voulait », se souvient David Vidal, son premier entraîneur en Espagne. La communauté des exilés sud-américains, au premier rang desquels Maradona, lui voue un culte :« Quand on voyait les crochets qu’il mettait aux Espagnols, on se disait vraiment qu’il était unique, dira le Pibe. On voulait l’imiter, on essayait, on se disait :« Putain, t’as vu le but de Mágico ? » Alors on tentait les mêmes dribbles et on se cassait tous la gueule… Un seul homme peut faire de la magie avec ses pieds, son nom est Mágico González. » Plutôt flanqué à droite, mais souvent déporté à gauche, le Salvadorien amuse autant qu’il agace : crochets, petits ponts, talonnades…« Je n’avais jamais vu un joueur aussi fort des deux pieds. Je veux bien qu’on parle de Ronaldinho, de Ronaldo, mais le « magicien » faisait la même chose trente ans avant… » brosse Pepe Mejías, son ancien compère d’attaque. Fin technicien, González est surtout buteur. Une frappe lourde et placée. Des tirs de loin indéchiffrables et des coups francs redoutables. « Je me souviens d’un entraînement, il était à quarante mètres des buts. Il me dit : « Mister, tu veux que je touche la barre d’ici ? » Je lui dis :« Vas-y. » Et il l’a fait. Quatre fois de suite, ballon arrêté, se remémore Victor Espárrago, l’un de ses coachs à Cadix. J’ai joué contre Pelé, Charlton, Beckenbauer, j’ai vu Maradona de mes propres yeux, mais González, c’était meilleur, c’était plus fort. »

Je reconnais que je ne suis pas un saint et que j’aime la nuit. Je sais que je suis un irresponsable et un mauvais professionnel. Je le sais, mais il y a un truc qui ne tourne pas rond chez moi : je n’aime pas considérer le football comme un boulot.

Architalentueux, Jorge González est aussi un homme qui vit sur ses prédispositions. Cadix, qui fait l’ascenseur entre première et seconde divisions, n’a pas d’ambition ; ça tombe bien, lui non plus. Cadix est un club à peine professionnel ; ça tombe bien, lui aussi. Les soirs de match, Mágico retarde au maximum l’heure de rentrer chez lui. Il aime sortir, s’amuser, boire de l’alcool, puis dessoûler tranquillement. Au bout de quelques semaines en Espagne, González ne s’entraîne déjà plus : il préfère dormir. « Sur cent matchs où je l’ai dirigé, j’ai dû le mettre quarante fois sur le terrain, parce qu’il ne venait pas à la moitié des entraînements. Je lui disais : « Jorge, je ne peux pas te faire jouer, tu n’es pas venu à l’entraînement depuis six jours. » Et lui me répondait :« Ouais, ouais, je sais… »Au fond, il s’en foutait », raconte David Vidal. Arrivé complètement soûl avant un match contre l’Atlético, Mágico exige un massage pour se remettre d’aplomb. On le lui accorde, il s’endort sous les mains du masseur. Lors d’une rencontre face au Barça, Mágico rate la première mi-temps, car il ne s’est pas réveillé. Cadix est mené 0-1 à la pause. González fait son entrée en deuxième période, marque deux buts, en donne deux autres et remporte le match 4-1. Si ses coups d’éclat annulent ses coupes de champagne, sa tendance à ne se glisser sous les draps qu’au petit matin commence pourtant à lasser. Mejías se souvient : « J’étais chargé de venir le réveiller chez lui pour l’emmener à l’entraînement. Mais c’était impossible. Je lui balançais des chaussures dans la tronche, je le tirais par les pieds, rien à faire… »

Maradona, fan inconditionnel de Mágico, insiste tout de même pour que Menotti le signe au Barça. Le coach des Catalans lui accorde un test, lors d’une tournée organisée aux États-Unis. Mágico González s’envole donc avec le FC Barcelone. Enfin, pas tout de suite. Le Diario de Cadiz rapporte en effet dans son édition du 25 mai 1984 que « l’attaquant salvadorien devait partir pour Barcelone dans l’après-midi. González s’était d’abord rendu chez lui pour faire une sieste. Il s’est endormi si profondément qu’il a manqué l’avion. Il se rendra donc aux USA sans les autres joueurs de l’équipe. » Sur le sol américain, Mágico copine avec Maradona, au point que l’Argentin insiste pour que le Salvadorien soit titulaire lors du match amical face au Fluminense. Menotti ne dit pas non. Maradona en claque un, Mágico deux. Battus et vexés, les Cariocas enclenchent l’alarme incendie de l’hôtel au petit matin suivant, et réveillent toute la délégation catalane. Enfin, pas toute. González manquant à l’appel, Menotti demande où se trouve le Salvadorien. Les adjoints se dirigent alors vers sa chambre, ouvrent la porte. Affalé sur son lit, Mágico dort paisiblement, dans les bras d’une prostituée locale. Le « magicien » est renvoyé sur le champ en Andalousie. Il vient de laisser passer la chance de sa vie.

 J’ai joué contre Pelé, Charlton, Beckenbauer, j’ai vu Maradona de mes propres yeux, mais González, c’était meilleur, c’était plus fort.

Mais à quoi bon le Barça ? À Cadix, Mágico est une légende de la nuit andalouse. « Il était racé, beau comme un pur-sang arabe », se souvient Victor Espárrago. Là-bas dans le Sud, son look jean court-mocassins-chaussettes blanches est connu de tous. Son meilleur ami n’est autre que Camaron, le célèbre chanteur gitan de flamenco. Très vite, le n’importe quoi devient son quotidien. « Il adorait se déguiser en clown pour le carnaval de Cadix. Il se baladait comme ça », raconte Mejías. Son entraîneur, David Vidal, renonce à vouloir le changer : « C’était un bohémien. En ville, il se baladait toujours avec son blouson de cuir. Les gens lui demandaient de l’argent, et lui, il donnait. Que ce soit l’équivalent de dix ou cent euros, ça ne changeait rien pour lui. » Un matin, ses dirigeants, ulcérés par ses conneries, intiment à Mágico l’ordre de se casser. Mais Mágico ne veut pas. Alors il reste à Cadix. Pendant une saison entière, en 1984-1985, il ne joue pas. À la place, il ne fait rien. Il sort le soir, picole à n’en plus finir, s’enfonce dans la déprime. La saison suivante le voit faire ses bagages pour Valladolid, où, malheureux, il ne joue que neuf matchs. Cadix tout entière implore son retour. La direction fléchit, mais à une seule condition : désormais, Mágico ne sera payé qu’en fonction des matchs joués – sept cents dollars par apparition. Pour le cadrer, le club fait aussi venir ses parents du Salvador. « Quinze jours après leur arrivée, il n’était même pas allé les voir une seule fois. Il disait qu’il n’avait pas le temps. Et pourtant, il ne les avait pas vus depuis plus de deux ans », raconte Vidal. Cette saison du renouveau, Mágico la passe à semer les employés du club chargés de le surveiller et à se cacher dans les cabines de DJ des boîtes de nuit andalouses. González le sait, ses qualités naturelles de footballeur hors normes lui garantissent une vingtaine de matchs en tant que titulaire dans la saison. Alors il les choisit : Santiago Bernabéu, Camp Nou, Vicente-Calderón. Séduit par le profil fantasque du joueur, le PSG trouve un accord avec le Salvadorien à l’été 1987. Le jour de la signature, Mágico n’est pas là. Il ne viendra jamais.

De l’Andalousie, en plus de l’alcool, Mágico aime aussi les filles qui se déboutonnent. Pour dire vrai, il les aime un peu trop, et mal. Le 18 août 1989, l’attaquant est accusé d’abus sexuels par une jeune femme. Un dérapage qu’il ne nie pas complètement : « Oui, nous avons eu des caresses amoureuses, des bisous, mais il n’y a jamais eu d’acte sexuel. En plus, elle comme moi étions d’accord. »Puis viennent les détails : « Ce qui s’est passé est normal entre deux amis qui viennent de partager un moment dans une discothèque, de boire quelques verres et de rentrer à la maison. Elle est devenue un peu nerveuse, comme ça arrive souvent aux femmes. Elle a montré un peu de résistance, mais pas de violence. » Dans une Espagne qui a encore vingt ans de retard sur le reste de l’Europe, Mágico n’est pas puni. Mais il est au plus mal. David Vidal abat alors sa dernière carte, celle de la fierté. Raté. « Je lui ai dit : « Mais merde, Jorge, t’as déjà 28 ans, t’as mis aucun argent de côté, la vie de footballeur est très courte, qu’est-ce que tu penses faire une fois que ce sera terminé ? » Il m’a répondu : « Je rentrerai au Salvador pour être chauffeur de bus. » »

Finalement, c’est en avion que le joueur fera le chemin du retour. En 1991, González reprend une licence au club de ses débuts, le Deportivo FAS. Le magicien y épuisera ses tours jusqu’à l’an 2000, lorsque, à l’âge de 42 ans, la chance frappe une dernière fois à sa porte : un coup de fil des États-Unis lui propose de devenir adjoint de l’entraîneur du Dynamo Houston. Mágico dit banco. Mais se fait très vite chier au Texas. Pour tromper l’ennui, il décide d’y faire le taxi. Puis revient définitivement au pays, où la gloire l’attend enfin : on renomme le stade national Estadio Nacional Jorge « Mágico » González, et Diego Maradona lui offre un jubilé de tous les honneurs. Mais c’est trop tard. À force de tout saboter, Jorge González a déjà disparu des livres d’histoire. Qu’a-t-il à dire pour sa défense ? Peu de choses, mais des choses essentielles. « Je reconnais que je ne suis pas un saint et que j’aime la nuit. Que je suis un irresponsable et un mauvais professionnel. Je le sais, mais il y a un truc qui ne tourne pas rond chez moi : je n’aime pas considérer le football comme un boulot. Je joue juste pour m’amuser. » En mars 2018, l’association salvadorienne « Amigos del Mágico » organisait, quoi d’autre, une grande fête dans un hôtel de la capitale. Entre-temps, Mágico avait réalisé l’un de ses derniers rêves : ouvrir un bar.

Récit publié initialement dans le livre « Les Héros oubliés de la Coupe du monde » – disponible ici.

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