- Euro 2012
- Quarts de finale- Espagne/France (2-0)
Les leçons tactiques d’Espagne-France
Parler d’envie ? De motivation ? D’un manque de courage ? Il y a quelques jours, l’Irlande et la Croatie se faisaient aussi éliminer par l’Espagne. Ils n’étaient tout simplement pas assez bons. Hier, en quart de finale, l’exploit n’a pas eu lieu et c’était au tour de l’équipe de France de rentrer à la maison. Tactiquement, cela aurait-il vraiment pu être mieux ?
Une défense bien pensée, mais trop faible
Quand une équipe affronte un adversaire supérieur, l’impératif est de marquer en premier ou, du moins, de ne jamais être mené au score. Laurent Blanc l’a dit, arriver à 0-0 à la mi-temps aurait offert un tout autre match. Le défi était double : courir suffisamment devant la possession infernale espagnole et résister aux accélérations ponctuelles de la Roja. Pour cela, les Blancs formaient un 4-5-1 occupant toute la largeur, Ribéry se sacrifiant en second arrière gauche et M’Vila-Malouda-Cabaye formant le fameux trivote anti-tiki-taka. La principale préoccupation de Blanc était, à raison, le côté gauche. D’où le duo Debuchy-Réveillère. Et par moments, on a bien cru voir une individuelle de Réveillère sur le divin Iniesta, à tel point que le Français se fit aspirer loin de ses buts à plusieurs reprises. En haut du trivote, l’infatigable Cabaye venait chatouiller les chevilles des Espagnols. La Roja jouant sans numéro 9, la mission de la charnière Rami-Koscielny était inhabituelle : garder les lignes serrées lors de la construction de l’action et rester attentive sur les centres où deux ou trois Espagnols venaient s’insérer dans la surface (le plus souvent Xavi, Cesc et Silva).
Mais la France n’avait pas une défense suffisamment solide pour résister aux assauts des Rouges, et ce n’est finalement une surprise pour personne. Après tout, Réveillère n’est pas Maicon et Clichy n’est pas Ashley Cole. Derrière aussi, la qualité est cruciale, surtout face à l’Espagne. Sur le but, Réveillère semble hésiter à monter sur Iniesta, qui a tout son temps pour le prendre à défaut. Xabi Alonso est absolument tout seul, tandis que M’Vila est aux vingt mètres. Clichy se prend pour le gardien et cache la vue de Lloris. À partir de là, comment en vouloir à un entraîneur qui avait tout fait pour éviter ce genre de situations sur le côté gauche ?
Le jeu : la défaite de Blanc ?
Sur le papier, la formation est défensive, mais dans les faits, les Blancs ont souvent réussi à garder le ballon avec cette composition pouvant passer au 4-3-3 (Debuchy à droite, Ribéry à gauche) en un clin d’œil. Les incursions verticales de Cabaye et surtout de Malouda étaient bonnes, et les Bleus pouvaient rapidement élargir le jeu sur les côtés. Certes, les approximations de Lloris ou même Rami à la relance ont pénalisé une équipe qui n’avait pas besoin d’abandonner le ballon. Oui, Blanc a refusé d’aller prendre les Espagnols à la gorge dès les premières minutes et il aurait été beau de tester la vitesse de Ménez, la technique de Nasri ou la taille de Giroud. Mais avec ce système « défensif » , à 1-0, les hommes de Blanc ont réussi à avancer dans le terrain et à jouer suffisamment haut pour gêner la relance espagnole. Dès la demi-heure de jeu, un faux-rythme s’installe, des deux côtés. Les Bleus ne sont ni ultra-défensifs ni frileux, et l’Espagne ne termine qu’avec 55% de possession de balle. Les choses ont mal tourné avec ce but à la 19e minute, mais si les Bleus avaient réussi à ouvrir le score… Cette formation était certainement le meilleur compromis, la plus adaptable, la plus polyvalente tactiquement.
En revanche, quand les Bleus s’emparent du ballon à l’heure de jeu et prennent plusieurs minutes à se rapprocher du but adverse, l’incohérence est terrible. Surclassés, trop lents, trop approximatifs, les Français peinent. En construisant, la France faisait face à une défense placée composée de deux des tout meilleurs centraux au monde et d’une doublette Xabi Alonso-Busquets quasiment imprenable. L’Espagne, maître du monde tactique, ne s’en plaint pas. Les Ibériques sont bien placés pour savoir qu’après tout, la possession n’est qu’une autre façon de défendre. S’il n’est jamais bien vu d’attendre l’adversaire avec une formation défensive, il n’a jamais été prouvé qu’il existe une manière plus efficace que l’autre pour se rapprocher du but adverse dans les meilleures conditions. D’ailleurs, les changements offensifs n’apportent aucun danger supplémentaire.
Et si…?
Évidemment, on peut croire que les Bleus auraient pu tenter plus. Mais si les Espagnols avaient eu à accélérer plus tôt ? L’entrée de Pedro a montré un jeu autrement plus déséquilibrant, et la France en a terriblement souffert (n’est-ce pas, Rami ?). La Roja a été aussi loin d’être flamboyante que proche d’être invincible. Injouable plutôt, trop solide, trop sérieuse, à l’image du match de Xabi Alonso, proche de la perfection. Pour gagner ce match, la France aurait peut-être dû dépasser le cadre rationnel afin de ne pas avoir à jouer contre la meilleure équipe au monde « à la régulière » . Cela aurait pu être interprété par un système exagérément offensif, certes. Ou par un antijeu destructeur contraire à la philosophie voulue par la fédération.
Mais surtout, cela aurait pu être incarné par un homme qui n’a que faire de la raison depuis le début de sa carrière : David Trezeguet. L’homme aux buts en or. L’homme qui, symboliquement, a marqué hier soir un doublé décisif pour River. Un mec qui aurait pu la mettre au fond, seul et contre tous, même au duel contre Ramos et même sur un centre de Réveillère. Une absence éternellement regrettable : il était là, le manque de courage de Blanc. Néanmoins, l’Euro reste une réussite pour les Bleus. Sans Zlatan, une demi-finale aurait été envisageable. Il y a eu du jeu, il y a eu des espoirs, il y a eu un énorme Ribéry et des confirmations. Surtout, la France est à nouveau devenue une équipe comme les autres, dont on peut parler de la tactique et de la performance sur le terrain. 2012 restera un tremplin pour 2014 et 2016. Il fallait passer par là.
Par Markus Kaufmann et Ruggero Lambertini
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