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Les années bastiaises de Gourvennec

Par Arnaud Clément
7 minutes
Les années bastiaises de Gourvennec

On s'en souvient plus volontiers avec la liquette de Rennes, Nantes ou Marseille sur le dos. Pourtant, Jocelyn Gourvennec a quitté la L1 en 2004, après deux saisons sous les ordres de Gérard Gili et avec déjà un regard pointu sur sa discipline qui laissait à penser qu'il finirait par coacher.

Le 27 décembre 1999, Libération consacre un portrait à Jocelyn Gourvennec. L’homme est alors un footballeur reconnu dans le paysage hexagonal, lui qui reste sur une finale de Coupe UEFA ratée contre Parme (0-3) et un championnat perdu d’un rien avec l’OM. Pourtant, loin des superlatifs et d’un ton laudatif plus conforme à Onze mondial, la plume de Luc Le Vaillant annonce la couleur dès le titre, aussi long qu’un monologue d’énarque : « Jocelyn Gourvennec, 27 ans, ex-grand espoir du foot, porte, depuis le banc de touche, un regard aigu sur son monde. Foutu business. » Seulement six mois après le zénith sportif du Breton, celui qui a fait main basse sur la dernière page de Libé réservée aux portraits a déjà tout compris : le plus beau est passé pour « le Platini océanique » , comme il le surnomme, et il lui reste pourtant six à sept années à tirer. Mis au placard par Courbis à l’OM, tête de turc de Gasset à Montpellier, Gourvennec erre jusqu’en 2002, après une nouvelle pige à Rennes. Comme si l’image de l’esthète forte tête, pas passé par un centre de formation comme le sérail, et qui signait des chroniques dans les Inrocks durant sa carrière, dérangeait.

La trentaine atteinte, les rêves d’équipe de France et de titres quelque peu remisés dans un coin, celui qui a fait toutes ses gammes à Lorient quitte les siens en trouvant en face de lui un homme qui trouve les mots pour le remettre en selle, Gérard Gili : « Quand je reprends Bastia en 2002, j’ai un effectif jeune mais de qualité, avec Essien, Uras, Vignal, et donc beaucoup d’ambition, à condition d’encadrer et de renforcer tout ça… Et on se dit que pour aller chercher le top 10 en L1, il faut qu’on prenne des anciens internationaux, des bons joueurs expérimentés. Donc on signe Florian Maurice, Lilian Laslandes. Battles aussi… Et Jocelyn (Gourvennec). » Pourquoi faire venir un garçon qui reste sur presque quatre années au petit trot ? L’ancien portier de l’OM répond : « Je savais qu’il avait eu du mal, à Marseille notamment. Mais je connaissais sa qualité technique bien au-dessus de la moyenne, son exemplarité. Un vrai pro quoi, très curieux de son métier et toujours impliqué. Et puis vous savez, Bastia est vraiment un club à part, une vraie grande famille, donc ce côté sécurisant a pu jouer lors de cette première année. » Pas forcément chouchou du public, le transfuge va néanmoins faire le job avec sa touche technique, ses coups de pied arrêtés et son expérience.

Pas passé loin de l’Europe

Le pari de Gili met du temps à prendre forme, mais dans le sillage d’un Maurice qui se remet à planter après son échec au Celta Vigo, ou d’un Mickael Essien qui explose un peu plus à chaque journée, les Turchini montent en puissance sur la première partie de saison. Cédric Uras (ex-Lyon, Toulouse, Clermont, Ajaccio…), Gone d’origine qui use toujours ses crampons sur les pelouses de CFA avec Saint-Priest, se souvient de cette année-là. « Avec Gérard, on jouait assez souvent en 3-5-2, et Jocelyn était souvent en soutien de l’attaquant, quelques fois en numéro 6 aussi je crois. Ce n’était pas un rapide, ça c’est clair, mais alors balle au pied, c’était hyper propre. On sentait qu’il avait un gros vécu foot. » Et une grosse envie de repartir de l’avant, en témoigne sa célébration rageuse pour son premier but sous le maillot Nouvelles Frontières, contre Rennes lors de la 5e journée. Rennes… Comme pour solder le passé pour de bon et montrer à tous qu’il a encore du ballon. Six matchs plus tard, il regarde Juninho claquer un triplé avec l’OL contre Auxerre lors de l’affiche de 17 heures sur Canal+, avec un coup franc coquin de Juni. Le soir même, taquin, il cale le même contre Le Havre. À la trêve, Bastia est certes 15e, mais le classement est homogène.

Imprenable ou presque sur ses terres, Bastia aligne les perfs en début d’année 2003 et se retrouve en mesure de regoûter à ce qu’ont expérimenté les Garçons Bouchers de la fin des années 90 que sont Rool, Jurietti et compagnie : l’Europe. Gérard Gili se rappelle bien de cette fin de saison qui aurait pu être si belle si elle ne s’était pas achevée à une lointaine 12e place. « À dix journées de la fin, on se retrouve à trois points du 3e du classement, Auxerre (quatre points, en fait, ndlr).On vient de gagner à Bordeaux et j’y crois vraiment. Et là, c’est comme s’il y avait eu une coupure. On fait match nul contre Nice la journée d’après et derrière, plus rien ou presque(cinq nuls et cinq défaites dans la dernière ligne droite, ndlr) alors qu’on avait les moyens d’être au moins dans les cinq premiers. » L’exercice est en tout cas réussi et mérite d’être approfondi, que ce soit pour lui ou Gourvennec, qui vient de refaire une saison pleine de 36 matchs de championnat pour la première fois depuis sa période nantaise. Et qu’importe si l’homme est réservé et replié sur lui et sa famille en dehors. « Je savais qu’il était marié, qu’il avait deux enfants et était très famille, oui. C’est dommage que Florian Maurice n’ait pas voulu vous en dire plus à son sujet, ils étaient complices » , détaille Cédric Uras. Contacté, son complice de l’attaque avec qui il a aussi joué au Vélodrome n’a en effet pas souhaité parler de son pote. Comme si on ne touchait pas au naturel réservé du grand brun.

Déjà des discussions et analyses de coach

Réservé, il deviendra carrément discret lors de sa deuxième saison bastiaise, dans un contexte compliqué où ils sont nombreux à prendre un aller simple sur le ferry menant au continent afin de renflouer les caisses. Après une quinzaine de départs compensés par les quatre seules venues de Saveljić, Cauet, Hadji et Née, Bastia est déplumé et reculé par rapport aux autres sur la ligne de départ, comme l’explique Gérard Gili : « On avait été tellement diminué sur le plan quantitatif, et j’avais tellement peu de marge de manœuvre pour recruter qu’on a dû annuler des matchs amicaux. On était 13. Une vraie catastrophe. Je me demande encore comment on a pu faire pour s’en sortir… » Tellement apocalyptique comme univers que Laurent Battles se fend même d’un petit : « Si personne n’arrive, autant déclarer forfait » avant le début de la saison. Tout le monde est dans le dur, y compris Gourvennec qui joue moins – 26 matchs pour un but – mais malgré les déboires, les pensionnaires de Furiani se sauvent in extremis, arrachant la 17e place, pour ce qui reste comme sa « plus belle réussite sportive, compte tenu des moyens à disposition » pour Gérard Gili.

Un coach qui se souvient bien de ces galères, mais aussi de ses deux années à côtoyer Gourvennec. « Avec lui, c’était de l’échange permanent. Il était très agréable, avait des idées, une logique dans sa vie, sur son métier. Comme quand vous discutez avec quelqu’un qui ne se contente pas d’écouter, mais donne aussi son avis sur le football, la stratégie, le rôle de chacun, le travail à faire… On pouvait en parler de longs moments. Donc oui, avec le recul, je ne peux pas franchement dire que je suis surpris de voir la trajectoire qu’il a empruntée pour arriver sur le banc de touche de Guingamp. D’ailleurs, si vous regardez son équipe, c’est comment ? Sûrement pas 11 joueurs jetés sur un terrain et qui jouent. C’est posé, c’est réfléchi, c’est calme. Ils connaissent leur travail et on sent qu’ils entendent un certain discours. » Cédric Uras s’en doutait aussi : « J’ai joué deux ans avec lui à Bastia, puis une autre saison à Clermont. Pour l’avoir connu en tant que joueur, oui, c’est comme une évidence de le voir entraîneur aujourd’hui. Il pouvait avoir des analyses tellement pointues tout de suite après un match, c’était quelque chose… Christian Bassila, un ami qui l’a eu comme coach à Guingamp, m’a parlé de lui et m’a défini quelqu’un de très à l’écoute, réfléchi, qui sait aussi trancher et avancer. C’est le joueur que j’ai connu. » 16 ans après, Luc Le Vaillant pourrait recommencer un portrait pour Libé et retitrer : « Jocelyn Gourvennec, 41 ans, ex-grand espoir du foot, porte, depuis le banc de touche, un regard aigu sur son monde… » Et Foutue passion.

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