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Leeds, le miracle Bielsa

Par Valentin Lutz
Leeds, le miracle Bielsa

De retour en Premier League après seize années de galères, Leeds United et Marcelo Bielsa ont déjà réussi leur pari en permettant au club du Yorkshire de finir à une neuvième place inattendue. Mieux : les Whites, fidèles aux préceptes de leur Loco, ont conquis l'Angleterre. Au point de transformer l'image d'un club enfermé dans la lose, et détesté par le reste du pays.

Un miracle est-il toujours un miracle, s’il dure depuis trois ans ? Si les fans du Yorkshire le voulaient, voilà à quoi pourrait ressembler un sujet de philo type. Pas forcément facile, au demeurant. À Leeds United, la réponse tiendrait en tout cas en un mot et sans avoir besoin de justifier autrement qu’en citant le nom de Marcelo Bielsa : oui. Car depuis 2018 et son arrivée dans la ville de The Wedding Present, l’Argentin a complètement transformé le destin d’un club dont Anthony Clavane, écrivain anglais, disait qu’il avait tout pour triompher, mais ne triomphait jamais. Cette saison, El Loco a une nouvelle fois fait mentir l’adage en permettant à son équipe d’atteindre une historique neuvième place en Premier League malgré des moyens financiers dérisoires à l’échelle du Royaume. Fidèles à son jeu et à ses principes, les Peacocks ont enchanté l’Angleterre. Au point de remettre en cause leur statut d’équipe détestée et marquée par la lose. Comme quoi, à Leeds, les miracles durent bel et bien trois ans.

Nous jouons contre n’importe quelle équipe de la même façon. Nous jouons avec notre philosophie du football. Et nous nous tenons à cela.

Incertitudes et scores de fou

Pour comprendre le succès de Leeds cette saison, il faut revenir un an en arrière. À l’intersaison 2019, lorsque les Whites tout juste promus en Premier League après seize années d’abstinence découvrent la manne financière réservée aux clubs de l’élite, pour être précis. Le club du Yorkshire décide alors de faire chauffer la carte bleue, et dépense pas moins de 120 millions de livres sur le marché des transferts. Dans ce domaine aussi, c’est Marcelo Bielsa qui fixe les cibles : arrivent par exemple Rodrigo (ancien attaquant de Valence) pour 33 millions, l’ailier Raphinha en provenance de Rennes en échange de 20 patates ou encore le défenseur central Robin Roch pour 15 briques. Ceci étant, Leeds ne bénéficie pas d’une préparation optimale, entravée par les suites du coronavirus, et l’objectif initial déclaré (40 points, seulement) laisse entrevoir quelques doutes sur les capacités de Leeds à survivre aux joutes de l’élite.

Au début de la saison, une seule certitude parcourt l’Angleterre : celle que Leeds jouera son jeu, quoi qu’il en coûte, car il n’est pas dans la réputation du mentor argentin de changer d’avis. « Nous jouons contre n’importe quelle équipe de la même façon, déclarait Andrea Radrizzani, président du club, à Forbes en février dernier. Nous jouons avec notre philosophie du football. Et nous nous tenons à cela. » Les premiers matchs confirment rapidement cette intuition. Le résultat ? Un pressing d’enfer, une intensité énorme, une possession de balle parfois outrageuse, des transversales incessantes… En gros, une équipe qui, à force de ne penser qu’à l’attaque, finit par se découvrir. Bien décidé à marquer les esprits d’entrée, Leeds commence par des résultats fleuves : une défaite 4-3 contre Liverpool, puis une victoire 4-3 face à Fulham. Le décor est posé. Les semaines suivantes, la chanson se répète : des lourdes défaites contre Leicester (1-4) ou Manchester United (2-6), et des victoires impressionnantes contre West Brom (5-0) ou Newcastle (5-2). Bref, le show Marcelo Bielsa est déjà lancé.

Leeds détesté, vraiment ?

Très vite, donc, Leeds fait une sacrée impression. La première explication répond à l’histoire sulfureuse des Peacocks, longtemps affublés du sobriquet de Dirty Leeds. « C’est une expression qui est née en 1964, quand Leeds évoluait en deuxième division sous Don Revie, raconte Gary Edwards, fan de United qui n’a pas manqué un match des Whites depuis 1968. C’était une ligue très physique, mais c’est à Leeds qu’est restée collée cette image. » Cette année, au contraire, les locataires d’Elland Road ont été exemplaires. Ce qui n’est pas qu’anecdotique, pour une écurie à la réputation de tricheuse. « Les joueurs ont une attitude positive, ce ne sont pas des divas, prolonge Anthony Clavane, auteur de l’ouvrage de référence Promised Land : The Reinvention of Leeds United. Une action a marqué : contre Norwich, Bamford aurait pu plonger pour obtenir un penalty : il ne l’a pas fait. »

C’est un sentiment très étrange pour les supporters, car nous avions l’habitude d’être haïs par tout le monde. Aujourd’hui, nous sommes adorés et même la deuxième équipe favorite de tout le monde.

La seconde tient tout simplement au jeu de l’écurie du Yorkshire, admirée pour son originalité, son panache et sa propension à ne jamais se départir de ses principes de beau jeu, bien servis par des éléments comme Raphinha ou Harrison : « Leeds a été plébiscité pour sa manière de jouer. De la même manière qu’Arsène Wenger a transformé Arsenal en équipe attractive, Bielsa a changé la réputation de Leeds. D’une équipe qui avait la pire des réputations, il a fait l’une des plus belles équipes d’Angleterre », poursuit Anthony Clavane. Au point de nuancer l’avis du Royaume sur le club le plus détesté du pays : « C’est un sentiment très étrange pour les supporters, car nous avions l’habitude d’être haïs par tout le monde. Aujourd’hui, nous sommes adorés et même la deuxième équipe favorite de tout le monde. »

Plutôt que de ne penser qu’à attaquer tout le temps, Bielsa a réussi à solidifier sa défense.

Deep Learning

S’ils font grincer quelques dents, les résultats en dents de scie de Leeds tiennent en tout cas plus de l’apprentissage que de problèmes durables. « Il y a eu de lourdes défaites, en début de saison, explique Anthony Clavane. Elles ont montré l’écart qu’il y avait entre Leeds, dont l’équipe est en grande partie composée de joueurs qui ont commencé en Championship[onze en tout, NDLR], et les meilleures équipes de Premier League qui dépensent des milliards en transferts. Mais Leeds a appris, au fur et à mesure. » À la trêve, les signes de la progression sont visibles : Leeds est douzième, un résultat satisfaisant, et dispose de la sixième attaque. Les axes de progression le sont tout autant : à ce stade, Leeds a encaissé 34 buts en 19 matchs. Seul West Brom, complètement largué dans ce domaine, a fait pire.

À cet égard, quoi qu’on dise de son inflexibilité, Marcelo Bielsa sait aussi régler les problèmes quand il y en a. La saison dernière déjà, à la même époque, son équipe souffrait d’une carence similaire. L’Argentin avait alors trouvé la solution, en resserrant les rangs derrière, avec le succès que l’on connaît. Cette saison, le même phénomène s’est produit. « Plutôt que de ne penser qu’à attaquer tout le temps, Bielsa a réussi à solidifier sa défense, précise Anthony Clavane. Et si Leeds a continué à toujours attaquer, l’équipe a aussi appris à plus se concentrer sur la défense. » Pour ce faire, Bielsa a normalisé le passage du 3-3-1-3 en phase offensive au 4-1-4-1 en phase défensive. Dernière cause de cette imperméabilité retrouvée, les retours de blessure. « Nous avons eu beaucoup de blessés, notamment en défense[Robin Kock, Liam Cooper et Diego Llorente ont par exemple été longtemps indisponibles, NDLR], raconte Gary Edwards. À mesure que les blessés sont revenus, la défense est devenue invincible, la meilleure de Premier League en 2021. »

Run Leeds Run

Les résultats de cette évolution se font remarquer en deuxième partie de saison. Avec, là encore, des masterclassdémentes. Notamment contre Leicester (3-1), ou Manchester City (1-2). À l’inverse, à l’exception d’une volée infligée par Arsenal (4-2), Leeds concède beaucoup moins. La dynamique est de haute volée, et ce, malgré les doutes soulevés par une frange d’observateurs. En cause, l’exigence physique que demande Bielsa à ses hommes, dont on aurait pu penser qu’elle finirait par se payer sur le terrain. « Courir est une vertu qui a du sens, confiait Marcelo Bielsa à Sky Sports, en janvier. Il y a des fois où les mètres parcourus vont vous aider à remplir vos objectifs, d’autres fois non. Ils prouvent, en tout cas, les efforts consentis pour faire les choses d’une certaine façon. » De fait, une statistique ahurissante publiée par l’Athletic montre que Leeds est de très loin l’équipe qui a réalisé le plus de sprints à haute intensité cette saison.

Beaucoup de gens ont dit que Leeds allait exploser en fin de saison. Mais ça a été tout le contraire.

« Beaucoup de gens ont dit que Leeds allait exploser en fin de saison, confirme Gary Edwards. Mais ça a été tout le contraire. » En effet, comme l’année dernière d’ailleurs, aucun signe d’essoufflement n’a été remarqué. Peut-être de quoi ranger au placard la théorie du crash bielsiste. De fait, sur la deuxième moitié d’exercice, Leeds est sixième et s’est hissé à une exceptionnelle neuvième place finale. « Leeds est devenu la première équipe promue dans l’histoire de la Premier League à remporter ses quatre derniers matchs, s’enflamme Gary Edwards. La première, aussi, à remporter dix matchs à l’extérieur. » Les 59 points récoltés cette saison sont également le plus haut total amassé par un promu depuis 2000-2001 et les 66 points d’Ipswich Town, et la neuvième position est le meilleur classement de Leeds en terre promise en une double décennie (depuis l’exercice 2001-2002).

« Dieu a créé les hommes à son image, Bielsa a créé Leeds à la sienne »

En symboles, il y a bien sûr certains joueurs présents dès le début de l’aventure et dont on disait à l’époque déjà qu’ils étaient limités. Parmi eux, Luke Ayling, infatigable arrière droit au catogan zlatanesque, Patrick Bamford, ex-wonderkid du football anglais à la dégaine de gendre parfait, et bien sûr Stuart Dallas, emblématique visage de ce Leeds renversant. « Stuart Dallas est au club depuis 2015, mais sous la tutelle de Bielsa, il est devenu un joueur de très grande qualité, détaille Gary Edwards. Il a été élu joueur de la saison par les supporters. » Si Stuart Dallas a été plébiscité, c’est aussi parce qu’il illustre parfaitement l’engagement absolu des joueurs. À l’image d’Ezgjan Alioski, repositionné latéral gauche, Stuart Dallas a joué à quatre postes différents en 2020-2021 (milieu central et droit, arrière gauche et droit).

Il y a des joueurs très talentueux dans cet effectif, comme Raphinha et Rodrigo. Mais aucune individualité ne ressort, c’est une équipe qui n’est belle que collectivement.

La cause première de cette révélation ? Marcelo Bielsa, évidemment, dont on sait qu’il a un don pour faire exploser ses joueurs. « Selon les textes religieux, Dieu a créé les hommes à son image. Bielsa a créé le nouveau Leeds à la sienne ! illustre Anthony Clavane. Et son image, c’est le travail et le beau football. » La métaphore religieuse ne s’arrête pas là, car si les Whites sont les disciples du dieu Loco, alors ils en appliquent aussi les préceptes. En premier lieu, la nécessité absolue de s’intégrer au collectif sans rechigner. « Il y a des joueurs très talentueux dans cet effectif, comme Raphinha et Rodrigo, lâche Anthony Clavane. Mais aucune individualité ne ressort, c’est une équipe qui n’est belle que collectivement. Même Raphinha doit travailler beaucoup : s’il était Messi et s’il ne travaillait pas, Bielsa le remplacerait immédiatement. »

Revie avait ses superstitions, ses rituels étranges, mais c’était un génie. C’est le même chose pour Bielsa : il s’assoit sur sa glacière, mais c’est un génie.

« Il est le Sauveur, le Messie, certains l’appellent même Dieu »

Il y a là aussi l’une des raisons de l’attachement démesuré de la ville à son équipe, qui a par exemple poussé un jeune supporter des Peacocks gravement malade à attendre trois heures sous la pluie battante pour recevoir la signature de Gaetano Berardi en mars dernier. Signe que le club est attentif à cet engouement, le fan en question a été reçu dans la foulée dans le vestiaire des joueurs. Anthony Clavane s’émeut : « Les joueurs sont proches des supporters, ils s’intéressent à Leeds. Et il y a un lien émotionnel qui se crée entre les joueurs et les supporters, entre Bielsa et les gens, ce qu’on n’a pas vu à Leeds depuis très longtemps. » Marcelo Bielsa lui-même montre l’exemple : « Il vit dans un petit appartement à Wetherby dans la banlieue de Leeds et on le voit souvent marcher dans les rues, s’arrêter à son café préféré et parler aux gens. »

À en croire Anthony Clavane, la Bielsa mania n’est donc pas près de s’essouffler à Leeds. Où il est, de plus en plus, comparé au légendaire Don Revie : « Ici, il est toujours un Dieu. Il l’est même encore plus, pour ce qu’il a réussi à faire et pour le jeu de l’équipe. Il est le nouveau Don Revie : ils ont en commun une attitude obsessionnelle, l’attention pour le détail et une certaine excentricité. Revie avait ses superstitions, ses rituels étranges, mais c’était un génie. C’est la même chose pour Bielsa : il s’assoit sur sa glacière, mais c’est un génie. Ce genre d’entraîneurs, il y a en a un tous les trente ans. » Gary Edwards est du même avis : « Pour les supporters de Leeds, il est le Sauveur, le Messie, certains l’appellent même Dieu. Il y a des fresques en son honneur partout, en ville. »

Marre de la lose

Il reste désormais à Leeds à ne pas se montrer trop fidèle à sa réputation. « Historiquement, quand nous montons en première division, nous réussissons la première année, tempère Anthony Clavane. Mais à chaque fois, Leeds a toujours voulu faire les choses trop vite et ça s’est mal fini. D’où l’expression « faire une Leeds », entrée dans le langage usuel. On doit faire les choses calmement : nous ne voulons plus faire une Leeds, mais une Leicester… et surtout pas une Sheffield. » En coulisses, le président Andrea Radrizzani semble faire les choses dans l’ordre avec une priorité donnée à la formation. « Les U23 ont écrasé leur championnat, s’enthousiasme Gary Edwards. Beaucoup de joueurs pourraient rejoindre les pros. » Par ailleurs, Leeds, seizième budget de Premier League, s’est structuré avec de nouveaux investisseurs venus de la franchise de foot américain des 49ers. Gary Edwards les accueille avec prudence : « Tant que les 49ers restent des investisseurs et ne deviennent jamais propriétaires, ça ne peut qu’être bien pour le club. »

Dans le monde, une logique prévaut. Celle que les riches s’enrichissent, aux dépens des pauvres qui s’appauvrissent.

Andrea Radizzani, qui rêve plus grand, a déjà précisé que l’objectif de la saison prochaine serait de faire mieux que celle-ci. Puis, d’ici trois ans, de se battre pour le top 6. Et les manœuvres sont déjà lancées, d’autant que des recrues semblent nécessaires : « Un arrière gauche, un milieu offensif et un deuxième buteur », pour Anthony Clavane. Pour l’instant, la priorité est néanmoins aux départs, puisque Berardi et Hernández ont déjà annoncé le leur. De son côté, Bielsa devrait rester au moins un an de plus et continuer à exalter une frange du foot. Car oui, dans un pays où les plus grands clubs se sont livrés à la Superligue, Bielsa fait figure de résistant. « Dans le monde, une logique prévaut, a-t-il un jour déclaré, en conférence de presse. Celle que les riches s’enrichissent, aux dépens des pauvres qui s’appauvrissent. » Sur le terrain, le Loco a du moins représenté une alternative au jeu des gros, une certaine idée du football des « faibles » , romantique, capable de mourir avec ses idées. Et qu’on se le dise : ce n’est pas près de s’arrêter.

Par Valentin Lutz

Tous propos recueillis par VL, sauf mentions.

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