Le fan de Chelsea, coincé de la raie ?
Qu'est-ce que vous pensiez ? Que José Mourinho, largué sans parachute comme un malpropre du jet privé de Roman Abramovitch, allait s'écraser ? Non, le Portugais était The Special One, et le sera toujours. En témoigne sa dernière sortie sur les supporters londoniens. Lui qui pense avoir particulièrement bien cerné le fan de Chelsea.
José Mourinho a peut-être perdu sa place, mais certainement pas sa grande gueule. Chelsea est un club à part, sans véritable public au sens anglais du terme. En fait, selon lui, les supporters des Blues sont juste plus « soft » que les autres. Pour des raisons principalement sociétales. Il s’explique dans un livre, José Mourinho – né pour gagner, écrit par un auteur portugais : « La plupart de la communauté black supporte Arsenal, les Juifs Tottenham, et les zones les plus défavorisées de Londres sont pour West Ham. Et Fulham est un tout petit club mais avec un fort noyau de supporters » . Pan ! Londres est une commode, chaque tiroir est un club, on n’y mélange pas les slips et les maillots de corps.
Puis il y a Chelsea. « Un club cosmopolitain, avec des fans célèbres tout autour du monde comme Bryan Adams, Claudia Schiffer et Chelsea, la fille du président Clinton » . En effet, ça bouche plus d’un coin. Dans le cas de Bryan Adams, “le Groover de Vancouver” a même dédicacé une chanson en 1995 aux Blues, titrée “We’re gonna win”. Il aurait également pu citer Snoop Dog, un black.
Et Mourinho de sortir sa panoplie de sociologue averti – Bourdieu pardonne-le, il ne sait pas ce qu’il fait – : « Il y a un dénominateur commun entre eux. Ils sont étrangers, ce qui correspond au profil général des fans de Chelsea. Quiconque est étranger et mène une vie au dessus de la moyenne des autres citoyens de Londres est fan de Chelsea. Car Chelsea a les tickets les plus chers, les menus les plus chers, la vie sociale autour du terrain y est plus importante que dans n’importe quel club » . Pour preuve, l’ouverture d’un nouveau restaurant haut de gamme Marco Pierre White, à la place d’une antique boutique de fish hand chips, aux abords de l’enceinte.
Chelsea ne serait donc pas un club de working-class, mais plutôt de la classe moyenne section huppée. Huppée, donc cultivée, et par conséquent pas vraiment excitée dans les gradins. « C’est une sorte de fan soft qui n’est pas beaucoup derrière l’équipe, qui ne s’organise pas en groupes avec les acclamations et les hourras habituels des fans anglais. Ils créent une atmosphère différente car beaucoup d’entre eux vont au théâtre, à l’opéra, et d’autres types de spectacles qui ne vous demandent pas de crier. C’est comme ça à Chelsea. C’est pourquoi ils ont du mal à se faire reconnaître comme un grand club du foot britannique » . Une certaine idée de la mixité sociale en définitive, le reflet d’un certain Londres.
De nombreuses voix, comme celles d’anciennes illustres figures du club ou d’associations de supporters, se sont outrées de ses déclarations. Goûtant peu d’être étiquetées « classe privilégiée de Londres » à haut revenus vivant dans de chics lofts et conduisant d’imposantes Bentley’s. Arguant notamment que si les Blues ont si rarement été défaits à Stamford Bridge ces dernières saisons, c’est qu’il doit quelque part y avoir des tribunes qui poussent et jouent leur rôle. Des travées composées, comme partout ailleurs, des différentes strates de la société, qu’elles portent un survêt’ Umbro dégueu ou un imper sans plis Burberry, qu’elles lèvent le petit doigt pour prendre le thé ou qu’elles hurlent après sa pinte.
Mais (le cosmopolite) Mourinho n’en démord pas. Le supporter de Chelsea, « c’est un costar-cravate, un cadre, avec un pouvoir économique, presque l’antithèse du fan en Angleterre, si vous préférez, celui qui a un bas statut social, le fan qui a du mal à faire avec le prix des tickets, le fan qui a une longue expérience dans le soutien de son club. (…) A partir de là, beaucoup de nos fans sont étrangers, avec un pouvoir d’achat et des habitudes totalement différentes, et ça se remarque dans le stade. C’est presque un choc culturel entre les supporters dans le pur style anglais, et les autres, une partie importante et significative, qui viennent de l’extérieur, avec une relation différente au club, dans la manière dont ils le vivent et s’expriment dans le stade » .
Voilà, il est libre José. Il a décidé de ne pas la fermer, de continuer à voler. Rien ne l’empêchera de dire que « Chelsea n’est toujours pas un grand club traditionnel. Pas comme Arsenal qui a la Reine comme fan. Ni comme Manchester United ou Liverpool, qui ont posé leurs empreintes sur l’Angleterre et l’Europe, et même Tottenham qui attire toujours les gens grâce à ses équipes fantastiques des années 80 » . Au risque d’apparaître aigri. Et pas que des tempes.
Pierre Maturana
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