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  • Il faut que cela cesse
  • Épisode 1

Le corner joué à deux

Par Éric Maggiori, avec Maxime Brigand
Le corner joué à deux

Ce sont des gestes ou des attitudes qui énervent. Qui sont insupportables. Qui rendent dingues tout supporter au stade ou devant sa télé. Et franchement, comme dirait Edouard Balladur, « Je vous demande de vous arrêter ». Pour le premier épisode de cette série, honneur à l'horrible corner joué à deux.

D’où cela vient ?

On peut remercier Raymond Kopa pour beaucoup de choses, mais pas pour ça. Dans les années 50-60, l’attaquant français remporte quatre titres de champion de France avec le Stade de Reims, trois fois la Coupe des clubs champions avec le Real Madrid, et soulève le Ballon d’or en 1958. Son œuvre aurait été parfaite si le natif de Noeux-les-Mines n’avait pas, un jour, sorti de son cerveau une idée terrible : celle du corner joué à deux. « C’est moi qui ai inventé le corner à la rémoise, rembobinait Kopa en 2012 dans une interview à But! Reims. Tout le monde le dit et c’est vrai. Je préférais donner des balles courtes et me rapprocher des buts adverses, plutôt que de frapper directement n’importe où, comme on le faisait jusqu’ici. C’est une question de stature, c’est vrai(…)C’est une improvisation à un moment donné, qui a marché et on a continué après parce qu’il y avait une réussite au bout.(…)On l’a fait parce que c’était utile. » Altruiste, Kopa ne transmet pas son nom à sa création mais préfère qu’on la baptise corner à la rémoise. Plutôt que Kopa-corner qui aurait été un super nom pour une paire de crampons vintage en revanche.


Pourquoi c’est insupportable

Parce qu’on a vraiment l’impression que cela ne marche jamais, même si cela doit certainement fonctionner. Mais on préfère ne pas se souvenir lorsque ça marche. En revanche, ce qui est sûr c’est que quand tu es supporter, que ton équipe obtient un corner, qu’elle le joue à deux et que ça foire, tu as juste envie soit d’appeler le coach pour lui demander de virer les joueurs, soit d’éteindre la télé. Et c’est encore pire quand tu vois tes défenseurs centraux qui se sont tapés 70 mètres de course pour venir placer un coup de casque, et qu’ils repartent bredouilles parce que la combinaison a foiré et que le ballon a terminé en six mètres. Si Abedi Pelé avait joué son corner à deux en finale de C1 1993, Boli aurait-il marqué ? Non. Si Beckham avait joué ses corners à deux en finale de C1 1999, Manchester United aurait-il renversé le Bayern Munich ? Non. Si Pirlo avait joué son corner à deux en finale de Coupe du monde 2006, Materazzi aurait-il égalisé ? Non. Si Mata avait joué son corner à deux en finale de C1 2012, Drogba aurait-il égalisé ? Non. Se souvient-on d’un but aussi célèbre joué sur un corner à deux ? Non.


Qui l’incarne le mieux aujourd’hui ?

Probablement le Barça et Manchester City. Un point commun entre ces deux clubs ? Pep Guardiola. Le coach catalan adore jouer les corners à deux, et ce depuis l’époque catalane. Un peu pour les mêmes raisons que celles évoquées par Kopa lorsqu’il parle de stature. Balancer un long ballon dans la surface ne faisait pas franchement partie de l’ADN du Barça à l’époque où Pep voulait presque que ses joueurs rentrent dans le but avec le ballon. Il préférait se servir du corner pour relancer une nouvelle action ou une nouvelle phase de possession. Quitte parfois à mourir avec ses idées. Comme en demi-finale retour de C1 2010 contre l’Inter, quand son équipe, à quelques secondes du terme, préfère jouer un corner à deux plutôt que de balancer dans la boîte et que l’arbitre siffle la fin. Aujourd’hui, Pep demande aux joueurs de City de reproduire ce schéma, ce qui aurait tendance à légèrement agacer des fans qui ne sont pas habitués à ça en Angleterre et qui n’ont pas oublié qu’en 2012, City gagne une partie de son titre sur deux corners : celui qui amène le but de Kompany contre United, et celui qui amène le but de Džeko lors de la dernière journée contre QPR.


Comment faire pour que ça s’arrête ?

C’est très simple. Sur un penalty, personne n’a le droit de rentrer dans la surface, laissant ainsi un périmètre d’au moins 5,5 mètres entre le tireur et les autres joueurs. Il s’agirait d’appliquer la même règle au corner. On élargit l’arc de cercle du corner, en passant de 1 mètre de rayon à 9,5 mètres, et on interdit l’accès à tout joueur qui ne tire pas le corner. Cela obligerait ainsi les joueurs à tirer normalement le corner, et fini les corners à deux qui ne donnent rien !

Autre option, plus radicale : chaque joueur qui joue un corner à deux reçoit un blâme. Au bout de cinq blâmes, le joueur doit jouer à deux sur son salaire en le partageant avec un intendant.


Pourquoi ça peut précipiter la fin du monde

Parce que si le corner à deux se démocratise, il pourrait faire jurisprudence dans le monde réel. Et ce serait une catastrophe. Sans que personne ne le voit venir, un jour, le directeur marketing de votre boîte va débarquer avec un pote à lui en réunion sous prétexte qu’il a besoin de « jouer à deux sa présentation PowerPoint. » Le PDG, incrédule, va laisser faire. Et le lendemain, six nouveaux employés se pointent au bureau pour, respectivement, jouer à deux à la machine à café, jouer à deux les photocopies, jouer à deux la conf-call avec Los Angeles, jouer à deux la répartition des assiettes sur les plateaux de la cantine et jouer à deux la pause clope. Un mois plus tard, l’entreprise est passée de 67 à 134 salariés et fait faillite. Trop tard, le mal est fait et tout le monde prend l’habitude de jouer à deux : des constructeurs automobiles qui mettent deux volants dans les voitures aux chirurgiens qui se mettent à jouer à deux les opérations à cœur ouvert en se décalant légèrement le bistouri en retrait. Point final : le dimanche 8 mai 2022, deux présidents de la République sont élus. Merci Raymond.


La parole est à la défense

Frédéric Antonetti « Je suis clairement favorable au corner à deux car ça permet la diversion. Après, tout dépend ensuite de la réponse de l’adversaire : soit ils sortent à deux et faut alors le frapper directement, soit à un joueur seulement et il faut organiser un dédoublement. Sur la première phase, tu as réussi à sortir deux joueurs de la surface adverse donc ça dégage de l’espace, ça aère la surface. L’objectif est là : faire sortir l’adversaire sur une phase arrêtée, ce que tu ne peux pas faire sur un corner direct. »

Jean-Marc Furlan « Quand tu as été défenseur central, tu sais que lorsque tu as une phase arrêtée, la situation est prévisible. Si tu es un bon défenseur, tu as 90% de chances de la prendre. Une situation de jeu, par essence, quand on parle d’une belle action, d’une belle combinaison, c’est parce que l’imprévisible est entré en compte. C’est l’avantage du corner à deux : tu passes d’une phase arrêtée à une phase de jeu. Après, il faut le faire avec un objectif précis : enlever un adversaire de la surface, ou deux, puis piéger certaines zones en créant l’inattendu. Souvent, j’entends les supporters demander pourquoi on joue les corners à deux. Je réponds que c’est un moyen radical de mettre la défense adverse en difficulté. Deux exemples simples : la distance entre le frappeur et le receveur est réduite et le deuxième poteau y est souvent fragilisé. »

Jacques Crevoisier « C’est une option comme le corner direct peut en être une autre. Tout dépend de ton équipe, de ton adversaire et du match en question. Si tu n’as pas de bons joueurs de tête, si tu n’as pas de bons tireurs, bien sûr, le corner à deux devient une option. En Angleterre, on n’en voit pas car le jeu de tête est supérieur, les gabarits aussi, et les coups de pied arrêtés restent des situations très intéressantes. Le corner à deux permet la variation là où un corner direct peut parfois devenir prévisible. Je cite souvent l’exemple de Mathieu Valbuena. Aujourd’hui, les gardiens savent où ses corners vont atterrir. »

Stéphane Moulin « Le corner à deux est intéressant pour trois raisons : pour faire sortir des défenseurs adverses qui défendent en zone et qu’ils perdent leurs repères ; pour désencombrer la zone axiale de la surface sachant que l’adversaire va sortir à deux joueurs ; et aussi pour l’effet de surprise et donc la mauvaise réponse éventuelle de l’adversaire. Après, je ne suis pas trop adepte car on voit au niveau des statistiques que les résultats sont nettement moins bons que pour les corners joués directement. »

Alain Giresse « On ne peut pas avoir d’avis tranché sur la question. Pour moi, c’est comme sur un coup franc excentré : le frappeur doit-il tirer directement au but ou non ? Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise situation, comme sur un système de jeu, tout dépend de tes joueurs et de ton adversaire. Après, le corner à deux a ses avantages. Si on se rappelle bien, à l’Euro, on a vu pas mal de corners par dédoublement où on décalait le ballon vers l’intérieur pour avoir un meilleur angle de trajectoire. Là, ça peut être positif. »


Coefficient d’irritabilité

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Par Éric Maggiori, avec Maxime Brigand

Propos de Furlan, Antonetti, Crevoisier, Giresse et Moulin recueillis par MB.

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