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Lassana Diarra, ceci n’est pas encore une révolution
Ce vendredi, la Cour de justice de l’Union européenne a donné raison à Lassana Diarra dans l’affaire qui l’opposait depuis 2014 à son ancien club du Lokomotiv Moscou. Une décision qui ouvre grand la porte à une libéralisation du marché des transferts dans le monde du football. Pour autant, beaucoup de zones d’ombre subsistent.
« La Cour estime que l’ensemble de ces règles est contraire au droit de l’Union. Les règles en question sont de nature à entraver la libre circulation des footballeurs professionnels qui souhaitent développer leur activité en allant travailler pour un nouveau club. » Il est à peine plus de 11h ce vendredi matin quand la nouvelle tant attendue tombe : saisie dans le cadre de l’affaire Lassana Diarra, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) donne raison à l’ancien milieu de terrain de Chelsea. Mis de côté en 2014 par son club du Lokomotiv Moscou, ce dernier avait alors rompu son contrat avec l’objectif de rejoindre Charleroi, s’attirant les foudres de son employeur russe avant d’être condamné à lui verser des indemnités (et à rester plus d’un an sans jouer). Après dix ans de combat judiciaire, le joueur se voit donner raison dans un arrêt dont la jurisprudence pourrait bouleverser en profondeur l’organisation du marché des transferts.
Un arrêt Bosman 2.0 ?
Une révolution, voici ni plus ni moins ce qui est promis au ballon rond après ce verdict de la CJUE. Comme l’arrêt Bosman, qui mettait fin en 1995 à la limitation du nombre de joueurs étrangers dans chaque effectif, celui-ci serait voué à changer la face du football en remettant en cause le mercato tel qu’on le connaît. Les joueurs seraient en effet désormais en mesure – selon certaines conditions – de résilier unilatéralement leur contrat pour rejoindre un nouveau club.
Fini donc les transferts à 80 millions d’euros chaque été ? « Le mythe derrière le marché des transferts est tombé aujourd’hui. C’est une victoire écrasante pour les joueurs, plante Pieter Paepe, avocat chez Edson ayant plaidé pour la FIFPro dans cette affaire (le syndicat mondial des joueurs est venu au soutien de Diarra). Aujourd’hui, le système mis en place par la FIFA consiste à dire que si un joueur rompt son contrat, l’indemnité qu’il doit verser comprend le transfert qui a été payé pour lui. Par exemple, si le PSG recrute un joueur pour 100 millions d’euros avec un contrat de cinq ans et qu’après trois ans, le joueur rompt son contrat parce qu’il ne joue pas, il devra verser la somme du transfert qui n’a pas été encore amortie, donc ici 40 millions d’euros. Aujourd’hui, la cour dit que ce n’est plus acceptable. La FIFA doit revoir sa réglementation et prévoir des critères qui soient raisonnables, connus à l’avance et qui ne mènent pas à des indemnités excessives. »
👍@Lass_Officiel renvoie la @FIFAcom à ses chères études… avec @FIFPRO, FIFPRO Europe et @UNFP… Fin de l'actuel système des transferts, contraire aux droits de la concurrence et à la libre circulation : les juges de la Cour Européenne ont tranché !https://t.co/r0OIZviWUa pic.twitter.com/HQJ7LX8utV
— UNFP (@UNFP) October 4, 2024
Pour autant, il n’est pas question que les joueurs puissent s’en aller du jour au lendemain et sans contrepartie. « Rompre unilatéralement son contrat sans conséquences, ce n’est pas une chose que veulent les joueurs, assure même l’avocat. La cour a confirmé qu’ils ont le droit de le faire, moyennant une indemnité proportionnelle et pas trop élevée. » Plus de liberté pour les joueurs apparaît donc comme le premier credo. Mais en parallèle et conformément à son orientation historique dans le monde des affaires, la cour veut également s’assurer d’un droit à la concurrence exacerbé entre les clubs, comme pour des entreprises à but exclusivement lucratif. Avec un constat simple, posé par Pieter Paepe : « Dans d’autres secteurs, on peut toujours débaucher des employés d’un concurrent. Dans le foot ça n’existe pas, et ce n’est pas acceptable. »
Quitte à pénaliser les plus faibles, qui risqueraient par exemple de voir s’envoler les meilleurs éléments formés à la maison sans contrepartie suffisante ? « C’est le revers de la médaille, et la raison pour laquelle on doit avoir une réflexion approfondie sur le système et qui tient compte des différences entre les clubs, les championnats, etc., reconnaît-il encore. Mais il est évident que la concurrence entre les clubs sera plus forte. Mais cela peut aussi profiter aux petits clubs parce qu’il ne sera plus possible pour les plus gros de garder de grands noyaux avec tous les meilleurs joueurs. Si un joueur ne joue pas à Chelsea, il peut rompre son contrat pour aller jouer ailleurs, peut-être dans un club moins huppé. »
Tout à (ré)inventer
Pour autant, si le chamboulement promet d’être conséquent, beaucoup d’éléments restent encore en suspens. La FIFPro, suivie par l’UNFP, milite pour une convention collective négociée entre joueurs et clubs sur la base de l’arrêt rendu par la CJUE. Autrement dit : le système actuel est obsolète, et libéralisation doit être le maître mot du nouveau paradigme. Entre ces lignes directrices, de nombreux éléments restent encore à élaborer. « On peut lire entre les lignes que ce n’est pas à la FIFA de réglementer les relations d’emploi, interprète Paepe. Une convention collective du travail, voilà le futur. Les joueurs ne veulent plus d’un système imposé unilatéralement par une instance de droit privé telle que la FIFA. »
Parmi ces nombreuses zones de flou figurent les périodes de mercato. Quelle forme prendront-elles et seront-elles même encore à l’ordre du jour d’ici quelques années ? « Très difficile à dire aujourd’hui, répond Paepe. Quel est le système alternatif à mettre en place ? Ça demande une réflexion approfondie. La cour donne un début de réponse dans son arrêt en disant : “Pourquoi est-ce qu’on ne commence pas à appliquer le droit national ?” Il existe un droit des contrats dans chaque État-membre. Quand on rompt un contrat, on doit payer une indemnité prévue sur la base du droit national du travail. C’est déjà un début de réponse, même si peut-être que cela ne peut pas fonctionner dans le système particulier du foot. Cela va demander du temps pour trouver un système équilibré. »
Les expressions démission, rupture conventionnelle ou même licenciement à l’amiable entreront-elles bientôt dans le vocabulaire du ballon rond ? En attendant, l’une des rares certitudes reste que cet arrêt aura des répercussions sur la planète football dans sa globalité, même si elle émane d’une institution de justice européenne. « L’arrêt Bosman était également un arrêt européen, mais il a eu des conséquences pour la gouvernance du foot dans le monde entier. La FIFA ne peut pas avoir une réglementation qui ne s’applique que dans l’UE et une autre sur les autres continents », argue Paepe. Avant de reconnaître que quoi qu’il arrive, la libéralisation ne pourra être totale : « Il y a une jurisprudence qui dit qu’il doit y avoir une certaine stabilité des équipes pour avoir une comparabilité des résultats. On ne peut pas avoir un joueur qui joue pour trois ou quatre équipes pendant la même saison. Certaines restrictions à cette libre circulation des joueurs doivent être prévues. » Impossible donc d’imaginer un joueur intérimaire changer de maillot chaque 1er du mois. Ouf, nous voilà rassurés.
Par Tom Binet
Propos de Pieter Paepe recueillis par TB.