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L’armée du salut

Par Maxime Brigand et Gabriel Cnudde
L’armée du salut

Le 14 mai 1938, l’Angleterre affronte l’Allemagne dans le stade olympique de Berlin. Si les Three Lions disposent facilement de leurs homologues aryens (3-6), médias et spectateurs se souviendront surtout du salut nazi des Anglais avant la rencontre. Ce 14 mai, Stanley Matthews devint pour la première fois une honte pour son peuple.

C’est plus efficace qu’un tract. Plus fort qu’une affiche. Les images marquent, elles restent. Le football a du sang politique. C’est comme ça, tout ce qui brille peut s’utiliser, se manipuler alors, si on peut, pourquoi se priver ? Pour beaucoup, il s’agit du « match de la honte » . L’époque aussi l’est à sa manière. C’est une page noire, le chapitre griffonné d’un jeu. Ce n’était qu’un match amical. Au lieu de ça, le monde entier retiendra un terrain d’expression. Un symbole fort. Les premières notes de l’hymne national allemand se font alors entendre au cœur du stade olympique de Berlin. C’est le printemps 1938, celui des braises où chaque détail peut changer la face du monde. Deux ans plus tôt, la capitale allemande a reçu les Jeux olympiques d’été. Une façon comme une autre de faire passer l’Allemagne et Hitler pour des pacifistes. Le sport est un vecteur social, alors autant jouer avec pour faire passer son message. Ce jour-là, Hitler n’est pas sur son siège. Mais, plus bas, l’Allemagne reçoit la sélection anglaise, son capitaine Eddie Hapgood et son jeune prodige, Stanley Matthews, qui sort d’une saison compliquée avec Stoke. On reproche notamment au « magicien du dribble » sa réputation grandissante et le salaire qui l’accompagne. Pourtant, sur la pelouse de Berlin, Matthews est comme ses partenaires. Le 14 mai 1938 sera une onde de choc, un jour différent. Oui, l’Angleterre s’imposera facilement (6-3), mais la journée deviendra celle où la bande à Matthews a effectué le salut nazi. Le beau Stanley ne s’en remettra jamais.

Il suffisait d’une étincelle

Nombreux sont les hommes qui ont tenté d’expliquer ce qui avait pu pousser les Three Lions à tendre le bras ce 14 mai 1938, à Berlin. Si les Anglais n’ont jamais vraiment pardonné cette erreur à Matthews et à ses coéquipiers, il est pourtant nécessaire de la replacer dans son contexte. Quand l’Angleterre se déplace à Berlin, les relations diplomatiques entre le Royaume-Uni et l’Allemagne nazie sont déplorables. Deux mois et deux jours plus tôt, le 12 mars, l’Autriche a été envahie par Hitler et ses troupes, faisant craindre à l’Europe entière le départ précoce d’un incendie difficile à maîtriser. « Il suffit d’une étincelle pour allumer l’Europe » , a-t-on alors coutume d’affirmer de Londres à Paris. Le Premier ministre du Royaume-Uni, Neville Chamberlain, ne veut être celui qui tient l’allumette, aussi accepte-t-il la rencontre face à l’Allemagne. Il est alors de notoriété publique qu’il veut pacifier les relations avec Adolf Hitler, qui entrevoit d’envahir la région des Sudètes malgré les protestations françaises et anglaises. Une fois le match fixé, la question des saluts se pose. Les Anglais refuseront-ils ce geste aux Allemands, alors même qu’en 1933 à Rome, ils avaient effectué le salut fasciste ?

La décision, qui n’appartient pas aux joueurs, découle directement de la FA, qui reçoit elle-même l’ordre des conseillers de Chamberlain. Pour Eddie Hapgood, capitaine de l’époque, la décision a été prise longtemps avant la rencontre. Il en a été informé lors d’un gala et aurait répondu, comme il l’explique dans son autobiographie, Football Ambassador : « Nous sommes de l’Empire britannique, il n’y aucune raison que nous fassions le salut nazi. » Pour Stanley Matthews, en revanche, la décision a été imposée aux joueurs d’une tout autre manière. « Nous en avons été informés cinq minutes avant le coup d’envoi, dans les vestiaires. Tous les joueurs étaient livides et opposés à cette décision, moi y compris. Tout le monde hurlait. Même Eddie Hapgood, un homme respectueux et un capitaine dévoué, a disjoncté. Il a fait un doigt au membre de la FA et lui a dit qu’il pouvait se mettre son salut nazi là où il pensait » , écrit-il dans l’une de ses autobiographies, The Way it Was. Mais il n’est plus l’heure de négocier. Les Three Lions entrent sous les acclamations de la foule et se plient aux exigences géopolitiques de l’époque. Certes, Matthews et les autres auraient pu décider de ne pas lever le bras, de ne pas laisser les rouages politiques de l’époque dicter leur comportement. Mais à quel prix ?

Remords éternels d’un patriote combattant

Reste qu’en Angleterre, la réponse est immédiate et assassine. La presse descend le comportement de son équipe nationale, n’hésite pas à évoquer « une trahison à la patrie » . Le Times, lui, parle de « la bonne impression laissée » par l’Angleterre. Dans son autobiographie, Eddie Hapgood ajuste sa version : « La situation n’était pas entre nos mains, c’était surtout un problème de politiciens. » Les sélectionnés présents sur la pelouse, eux, exécutent. Dans leur loge, Joachim von Ribbentrop – futur ministre des Affaires étrangères -, Hermann Göring et le leader en charge du sport, Hans von Tschammer und Osten, se frottent les mains. L’image a frappé les esprits. Hapgood, lui, parle « du pire moment de sa vie » . D’autant que le sommet va être atteint quelques heures après la rencontre lors d’un dîner organisé par l’association nazie de la pratique sportive. La fête est totale, l’ambiance aussi. Alors Sir Nevile Henderson, l’ambassadeur britannique en Allemagne, se penche vers le secrétaire général de la FA, Stanley Rous – futur président de la FIFA -, et lâche ceci : « Après ça, vos joueurs et vous serez de parfaits ambassadeurs ! » Preuve définitive que tout est, à cet instant, hors de contrôle.

Ni oubli ni pardon. Les Anglais n’ont pas eu le moindre signe de pitié pour leurs joueurs fautifs. Pourtant, Matthews, Hapgood et les autres s’étaient déjà infligé la pire des punitions : devoir vivre quotidiennement avec ce souvenir douloureux. « Aujourd’hui encore, je ressens de la honte quand je m’assois près du feu, que je tourne les pages de mes albums photos et que je tombe sur cette terrible image de l’équipe d’Angleterre de football alignée comme une bande de robots nazis, les bras levés pour le salut de la honte » , écrit Stanley Matthews dans The Way It Was. Une pilule difficile à avaler, surtout pour des joueurs patriotes et amoureux de leur bonne vieille île. Tous ou presque prendront part à la Deuxième Guerre mondiale, Hapgood et Matthews officiant notamment pour la Royal Air Force pendant le conflit. L’histoire suit son cours, et s’il n’est en aucun cas possible d’oublier, il est nécessaire de comprendre ce qui a pu pousser le magicien et ses coéquipiers à accepter les caprices d’un régime totalitaire. Reste qu’un an plus tard, lors d’un match amical organisé à Milan contre l’Italie (0-2), Matthews et sa bande soulèveront une nouvelle fois leur main. Avant, et après, la rencontre, en l’honneur du fascisme, sous les yeux de Mussolini. Un match arbitré par un certain Peco Bauwens, ancien joueur, affilié au troisième Reich et qui deviendra, en 1950, président de la Fédération allemande de football. Un homme qui arbitrait aussi la finale des JO en 1936, à Berlin.

Par Maxime Brigand et Gabriel Cnudde

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