La petite morale littéraire des arrangements du PSG
Sortie de route littéraire. A propos de : « Les secrets du PSG, la danseuse de Canal Plus – Mai 1991-Avril 2006 » (Privé Editions, juin 2006).
Les courts récits intitulés « nouvelles de l’été » sont la manifestation qu’un genre littéraire, la carte postale de micro-littérature estivale pas toujours assumée, tient une place à part entière dans le monde de l’édition, même si la date de péremption est souvent proche de la publication. Passés les mois de juillet et août, le genre disparaît alors pour entrer en hibernation. Le lecteur attentif se demande s’il n’a pas rêvé et si ce genre littéraire n’avait d’autre ambition que d’assurer la promotion de son auteur, le financement de coûteuses vacances au soleil.
Tout aussi vendeur, le testimonial, est un genre à feuilles persistantes. Plutôt que de revenir sur PSG/OM du 10 septembre 2006, et la transformation du Parc des Princes en éprouvette géante chargée de recueillir les tests et précipités de la direction nationale de l’arbitrage, évoquons la confession de Rodolphe Albert, ancien responsable financier du club de la capitale, sur ce qu’il a vu, entendu, et manipulé, au cours de longues années passées dans l’arrière boutique de l’ancien fleuron footballistique de la chaîne de télévision cryptée. En plus de trois cents pages, Rodolphe Albert décrit par le menu un enfant mort-né de l’optimisation fiscale et de l’aberration sportive : le PSG sauce Canal Plus.
Comme toujours dans ce type d’ouvrage, c’est la prise de conscience tardive que la roche tarpéienne n’est jamais loin du capitole qui constitue la ligne de fuite de l’exercice de repentance. Rodolphe dénonce.
L’ouvrage constitue un exposé économique sur le mode de fonctionnement d’un club professionnel et les manœuvres utilisées pour contourner la législation. L’auteur révèle que le fruit de ses confidences prend appui sur son sens de l’observation mais aussi sur environ sept mille documents qu’il conserve pour son profit personnel. Ainsi, Rodolphe Albert nous permet de comprendre qu’il a pendant plusieurs années préparé sa défense, monté un dossier, en prévision de jours qu’il imaginait, on s’en doute, plus sombres que ceux de l’éclatante débauche de moyens pour les petites princesses du Parc des Princes. Dès lors, les arguments – j’ai été contraint de voir des choses que je ne voulais pas voir ; j’ai été forcé de faire des choses contraires à la morale – ne tiennent plus. Lorsqu’on rassemble un tel volume de documents pour le condenser dans un ouvrage, c’est qu’on savait. Un homme qui est passé au cours de sa carrière du poste de contrôleur de gestion à celui de directeur financier puis conseiller auprès du Président savait. Dès lors l’affection revendiquée pour le club, l’atavisme familial (un père ancien footballeur professionnel à l’OGC Nice) ayant poussé ce brillant élève d’HEC à intégrer le PSG, peut à la rigueur excuser l’attrait d’un premier emploi en 1997, mais non d’être resté si longtemps et de parler enfin.
Hormis l’amour de voir toujours plus de têtes nouvelles grâce au recrutement, on ne voit pas en effet ce qui aurait motivé ce bras armé de la direction financière à rester dans cette ambiance tournée vers des opérations qui nous sont décrites comme abusives au sens du droit. Mais Rodolphe Albert a été licencié, et ce livre n’est après tout la version littéraire de sa défense prud’homale.
Quoiqu’il en soit, les informations contenues dans l’ouvrage auraient de quoi miner le moral d’un Nelson Monfort, un jour de canicule dans les allées de Rolland Garros, alors qu’il doit s’entretenir avec deux joueuses russes de moins de vingt et un ans. Ces mêmes informations apportent même de l’eau au moulin des supporters du club de la capitale. Il est vrai que pour ces derniers il faudrait justifier un jour devant leurs troupes des « Canal Plus démission » entendus des années durant par télévision interposée. Ceux-là espèrent déjà de nouveaux Rodolphe Albert qui encourageront leurs appels au départ des nouveaux propriétaires du club. Car il en faudra de l’esprit de synthèse pour réunir, en une phrase qui claque, le chant de départ d’un actionnaire multiple.
Mais revenons à la morale. Un jour, l’actionnaire doit savoir s’arrêter au risque de rejoindre la longue liste de ces danseurs qui tapent du talon, ces comiques qui ne font plus rire, ces entraîneurs qui se répètent mais ne disent rien, ces chroniqueurs qui actualisent leur anthologie annuelle du football en se contentant d’ajouter deux ou trois résultats et un souvenir de buvette, ces présentatrices du dimanche soir qui ne savent plus à quel décolleté se vouer.
Tout ce qui est décrit par Rodolphe Albert prend alors un sens particulier. Pour peu que le lecteur adhère à la méthode, il n’est plus possible de voir le PSG avec l’œil bienveillant et respectueux qui caractérise les consommateurs de chlorhydrate de fluoxétine, produit plus connu sous sa forme commerciale de prozac®.
Il se révèle alors une interprétation fulgurante en matière d’optimisation des coûts. Mille et une manières de calculer le salaire net d’un joueur en payant le moins de charges ou d’impôts. Privilégier le rendement immédiat à n’importe quel prix pour exposer un pur produit d’appel : le club parisien en l’occurrence. Sans parler de l’attitude de Canal Plus, actionnaire comme devenu fou aux idées ahurissantes, selon les mémoires de Rodolphe Albert. En témoigne par exemple la stratégie de Canal Plus, en France ou à l’étranger, particulièrement en Espagne et en Italie, lorsqu’il s’est agi de faire exploser les droits audiovisuels au détriment même du club dont la société était actionnaire. La politique des droits audiovisuels, selon M. Albert, qui renforçait les concurrents européens et nationaux du PSG sans que cela ne profite réellement au club. Mais sans atelier, pas de vitrine, objectera-t-on.
Rodolphe Albert, qui aime citer Alain Etchegoyen, penseur qui applique la philosophie au monde de l’entreprise, illustre à merveille la théorie de son mentor : « L’économie de marché propre au football […] a intégré l’infidélité comme une donnée économique. » C’est cette même infidélité qui justifie l’ouvrage. Mais après tout. Nous savions depuis longtemps que quelque chose parasitait la mécanique du PSG sans en imaginer réellement l’origine et sans penser que le club était la cause de son malheur.
Nous ne savons pas si, comme en matière de dopage, chaque histoire a son échantillon B capable de renverser la vérité d’un jour. A défaut d’être conquis, le tragique et le pathétique demeureront. Comme si les rencontres du PSG n’y suffisaient pas…
Jean-François BORNE
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