La nage de Jocelyn Gourvennec

Il fallait le voir se débattre depuis plusieurs jours à la manière d’un saumon remontant la rivière à contre-courant. Saumon, Jocelyn Gourvennec l’est depuis son premier jour dans le Nord, lui qui a vu une pétition demandant sa démission circuler bien avant qu’on ne lui tende le moindre stylo pour signer son contrat. Interrogé sur le sujet début février, il lâchait : « Je n’ai pas été condamné avant de démarrer, j’ai été enterré avant de démarrer. Les gens n’accepteraient pas le dixième dans leur propre métier ou dans leur propre vie. Que tu sois photographe, journaliste, médecin, boucher, manutentionnaire, peu importe. Je n’ai jamais trouvé ça juste. » Partant, dans la foulée de son installation dans le baquet de la Formule 1 la plus performante du dernier championnat de France, Gourvennec s’était enfermé à double tour, ne comptant pas ses heures au domaine de Luchin et concentrant 100% de son attention sur sa mission, son équipe, l’essence de son job de coach : le match à venir, l’entraînement, l’odeur du gazon fraîchement coupé… Sixième de Ligue 1 avant de retrouver Chelsea pour le deuxième huitième de finale retour de Ligue des champions de son histoire mercredi soir, son LOSC n’a jusqu’ici brillé que sur de rares séquences cette saison et a notamment souvent manqué d’épices, mais aussi de réalisme dans les deux surfaces, ce qui était sa grande force lors de la saison 2020-2021. L’Europe était une respiration, la bulle où les Lillois retrouvaient une forme d’insouciance et une large partie de leurs vertus. À Stamford Bridge, il y a trois semaines, on avait vu les Dogues miser sur ce cycle européen positif et aventureux, mais aussi oublier un élément clé en C1 : la folie. Mardi, Gourvennec ne disait pas autre chose : « Au retour, il faudra être plus précis pour finir, entrer plus dans leur surface. À l’aller, on a fait un match cohérent, mais avoir une organisation cohérente doit nous permettre de mieux attaquer. Il faudra les faire plus défendre. » Face à ces propos, certains observateurs s’interrogeaient : Jocelyn Gourvennec était-il tombé sur la tête ? Croyait-il vraiment son groupe capable de renverser le champion d’Europe en titre ? Mieux : le technicien, armé de l’histoire d’une « compétition hors normes », a réussi à implanter cette graine d’espoir dans le crâne de chacun de ses joueurs. Avant la rencontre, Benjamin André a ainsi parlé d’un retour à jouer « sans le moindre calcul » et d’un stade à faire exploser. Pierre-Mauroy était prêt, Jocelyn Gourvennec aussi.

« On a su gagner des mètres, jouer chez eux… »

Puis le rideau s’est levé, et le LOSC a, comme à l’aller, tenté d’imposer un pressing haut à un Chelsea roi des sorties de balle, venu dans le Nord avec le 3-5-2 qui avait bouclé la première manche à Londres. Le système choisi par Tuchel a d’abord été un atout pour les Lillois, qui ont dans un premier temps pu parfaitement poser leurs filets lors de 45 premières minutes où les Blues ont contrôlé le ballon sans forcément contrôler les espaces. « Ce soir, on a réussi à hausser le niveau, a alors salué Gourvennec. On a fait vaciller Chelsea. On a notamment fait une grande première période, presque parfaite, avec beaucoup d’intensité, beaucoup de pressing, beaucoup de justesse. Je pense que le public a pu ressentir le cœur, le courage et la volonté des joueurs, qui ont bien respecté le plan de jeu. On a su gagner des mètres, jouer chez eux… » La présence de Jorginho a parfois été un casse-tête, comme sur l’égalisation des Blues, mais le coach lillois a pu, entre autres, compter sur l’investissement tout terrain de Jonathan David (qui a aidé à former un 4-3-3 avec ballon en première période en venant souvent prendre un rôle de relayeur gauche lors des phases de possession), celui d’un André volontaire et du duo Gudmundsson-Bamba pour densifier l’axe lors des phases sans ballon.

Reste que la Ligue des champions est une compétition de moments, et mercredi soir, le LOSC a pris trois tournants dans le buffet : une fenêtre ouverte laissant Jorginho déclencher vers Pulisic dans les arrêts de jeu de la première période, une tête de Xeka qui a fini sa course sur le poteau gauche de Mendy à l’heure de jeu, et deux blessures (Botman et Çelik) qui ont forcé Jocelyn Gourvennec à retaper 50% de sa défense au pire des moments. Ressorti sur scène après l’entracte avec un 3-4-3 qui s’est fait bousculer pendant 25 minutes avant de profiter de ses avantages structurels sur le 4-4-2, Chelsea a alors su sans trop forcer s’éviter le scénario irrationnel, et Thomas Tuchel, qui a reconnu une erreur dans son choix de schéma de départ, a pu faire tourner avant de voir Azpilicueta couper la queue des Dogues. Une chose ne doit cependant pas être oubliée : mercredi soir, Lille a su se hisser à la hauteur demandée par l’événement et a concédé bien moins d’espaces qu’à l’aller. « On méritait mieux, a alors conclu Gourvennec. Chelsea marque deux fois, mais ils ont 0.5xG. Le résultat est dur. Ils ont des grands joueurs, qui traversent une situation dramatique, mais se battent, et leur expérience fait basculer le match de leur côté malgré toutes les excellentes choses que l’on a faites. » Le LOSC, qui a de nouveau fait face à un différentiel de niveau, aux limites de son animation offensive et a certainement payé le fait de ne pas avoir retrouvé un deuxième Ikoné, capable de parfois allumer les bougies comme peu d’éléments, doit désormais digérer l’issue de cette double confrontation bonus. Revivre une telle nuit passera par la capacité de ce groupe à reposer sur la table certains ingrédients vus ce mercredi soir. Par exemple, dès samedi, à Nantes. Le saumon Gourvennec, lui, continue de nager.