La faille de Rolland
Il y a des jours où rien ne va plus. Alors que l’on envisage de mettre en œuvre ses bonnes résolutions de rentrée selon un calendrier de cent jours.
Alors que l’être neuf et moderne qui sommeille en nous ne demande qu’à fendre sa coquille. Alors que l’on craint chaque dimanche soir qu’Estelle Denis ne nous propose un terrible calembour dont elle a le secret en guise d’ouverture de l’émission 100% foot. Alors que l’on s’apprêtait à dire que nous sommes tous des lillois, une phrase couperet brisait le mur de la conscience : « Courbis, c’est bien simple, c’est le Barak de l’A.C.A » .
Il était 20 heures 43. Nous étions mardi 27 septembre 2005. Un banal soir de Champion’s League. Le fond sonore se réduisait à la petite musique de nuit de l’hymne UEFA. Lille contre Villareal. A l’extrémité du zinc, un supporter lillois ayant vraisemblablement perdu ses illusions aux tables du sponsor du LOSC plongeait dans la faille de Rolland.Quel rapport pouvait-il exister entre Ehoud Barak, ancien premier ministre de l’Etat d’Israël, et l’entraîneur de l’A.C Ajaccio ? A priori autant qu’entre une Sandrine Kiberlain se produisant sur scène parisienne et un artiste exerçant la profession de chanteur.
Fallait-il être grisé par la perspective d’un match commenté par Aimé Jacquet pour se permettre une telle audace ?
N’importe qui aurait été rongé par le désespoir, miné par le mystère de cette complainte.Une attitude rationnelle aurait conduit un individu normalement constitué à comprendre la symbolique de cette affirmation.
Guidé par une foi inébranlable dans la société de l’information, je décidais que seul le web pouvait offrir une solution à ce trouble. Rendu malgré moi dans un cyber café, j’interrogeais mon computer, comme dirait Jean-Claude Van Damne lorsqu’il évoque un ordinateur, et lançait une recherche globalisée sur l’iconographie de Rolland Courbis et Ehoud Barak réunis. Sans aucun bruit, mon computer me fournit une seule et unique photographie en guise de réponse pour cette double requête.Ce n’était pas possible. Le fournisseur d’accès de mon web bar, qui est aussi très introduit dans le monde de la téléphonie, me permit de rechercher le serveur vocal de Maître Raymond D…, astrologue de renom, roi de la boule de cristal, très connu dans le monde du football, matchs nuls garantis. En moins de temps qu’il n’en faut pour obtenir le service des renseignements j’étais mis en relation avec Maître Raymond.
Maître Raymond m’indiqua que Rolland Courbis avait cessé d’entraîner le RC Lens le 8 février 2001 et que Ehoud Barak avait perdu les législatives le 6 février de cette même année 2001. Ehoud Barak quittait son poste deux jours plus tard, soit le même jour que Rolland Courbis.
Maître Raymond m’expliquait ensuite que le karma cosmique des deux hommes était lié depuis. Leur ressemblance physique n’était que le fruit de forces qui nous dépassent. Unis dans le même fluide de la pensée universelle, ils devenaient une seule et même personne.
Maître Raymond, que je supposais encore sous le coup d’excès de bières irlandaises, m’invitait à réfléchir entre les similitudes du management de l’ACA et la conduite d’un Etat. N’importe quel individu censé aurait engagé un procès en hérésie. La théorie avancée par Maître Raymond était contraire aux usages et au bon sens. L’hérésiarque Raymond était même prêt, moyennant le paiement pour une séance de consultation personnalisée dans ses bureaux, à me révéler des informations encore plus troublantes. A trois euros et quarante centimes les quinze secondes de communication, le portefeuille prend souvent le pas sur la raison et triomphe alors l’irrationnel.
Je fermais immédiatement mon compte super privilégié ouvert quelques instants plus tôt dans l’espace VIP : « football et voyance » .
Il était évident qu’aucun journal ne voudrait bousculer sa ligne éditoriale pour révéler cette terrible information.Lille arrachait le match nul contre Villareal. Sur le trottoir humide d’un début d’automne, un supporter lillois maudissait le héros moderne de la région pacatesque.
Ehoud Barak et Rolland Courbis entraient bien malgré eux dans le panthéon moderne des sosies de notre temps. Pour l’instant, ce panthéon n’était que virtuel et numérique. Un jour le monde saura…
Jean-François BORNE
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