- Fiction
La belle vie de Steve Flémardo

Steve Flémardo est le chef des ultras du RienBranler FC. Portrait d'un gars qui vit plutôt bien le confinement. Et ça se passe principalement sur le canapé, évidemment.
La France ne sort plus de chez elle depuis bientôt deux semaines, et ce n’est pas près de s’arrêter. À l’heure d’annoncer le confinement, le président de la République avait invité les Français à surmonter cette période en réfléchissant à l’importance du sens des choses. « Retrouvez aussi ce sens de l’essentiel. Je pense que c’est important dans les moments que nous vivons » , disait-il. L’essentiel ? Pour Steve Flémardo, c’est une mentalité, une passion, un groupe ultra : le RienBranler FC.
Steve Flémardo a mis son réveil à 13h pour être certain d’être levé à temps pour ne pas nous recevoir chez lui. Son studio du quartier Berriat, à Grenoble, c’est aussi le local du groupe qui revendique un noyau dur d’une dizaine de potes à « Gre » et plusieurs milliers de sympathisants en France, de plus en plus nombreux depuis le début du confinement.
Les pizza hawaïennes et les stickers sur les frigidaires du Franprix
Le balcon de l’appartement offre une vue imprenable sur le Franprix. « C’est pratique pour faire les courses, mais comme je me pointe à chaque fois cinq minutes avant la fermeture, en ce moment, je ne trouve plus que des lasagnes au saumon et aux épinards et des pizza hawaïennes » , dit-il sans regret en écrasant sa première clope de la journée. Steve Flémardo souligne malgré tout son attachement au rayon surgelés du magasin. D’ailleurs, les frigidaires ont été décorés des stickers du RienBranler FC par ses soins. Mais résumer les valeurs de son groupe à une alimentation uniforme et déséquilibrée serait trop réducteur.
Le RienBranler FC, c’est un mode de vie qui consiste à passer le plus clair de son temps sur son canapé. « Faire le tour des réseaux sociaux sur son smartphone, puis recommencer sur son ordinateur. Entamer plein de trucs qui auraient dû être fait la veille, mais ne se consacrer à rien jusqu’au bout, c’est cela notre quotidien » , détaille le Grenoblois, habitué des travées du Stade des Alpes même s’il ne connaît pas les noms des joueurs actuels du GF38. D’ailleurs, son joueur de foot préféré est Moussa Sissoko. La raison ? « Je m’identifie à lui depuis que j’ai appris qu’il matait la sérieLes Feux de l’amour en rentrant à la maison après l’entraînement. »
Steve Flémardo est habillé aux couleurs de son groupe : à savoir du blanc délavé comme ce T-shirt que le Grenoblois porte même pour dormir. Le presque trentenaire aux cheveux gras a créé l’association RienBranler FC il y a six ans, peu après ses études en langues étrangères appliquées (LEA). Une licence obtenue malgré ses nombreuses absences sur les bancs de la fac (quand on a des origines espagnoles, pourquoi se fouler ?). Aujourd’hui, sa vie, c’est son groupe, et il est fier de revendiquer sa fidélité au RienBranler FC. « Je n’ai pas attendu qu’on soit astreint au confinement pour terminer la saison 2 de « Drive to Survive » sur le compte Netflix de mon beau-frère » , souligne le chômeur.
« Cela fait plaisir de voir que plein de gens ont envie de s’investir à ne rien à foutre »
Steve Flémardo l’avoue à demi-mot, mais il est quand même ravi de voir son groupe prendre de l’ampleur. Depuis la semaine dernière, sa boîte mail croule sous les demandes d’adhésion aux six coins de l’Hexagone. « Cela fait plaisir de voir que plein de gens ont envie de s’investir à ne rien à foutre. Ils prennent conscience que c’est pas très grave de ne pas laver les assiettes qui traînent dans la cuisine et de laisser les poubelles – pas triées – sur le palier. » En même temps, pas facile de tenir sa ligne de conduite – ne rien foutre – face à la pression sociale de ses proches qui ont profité de leur week-end à la maison pour relire Albert Camus ou rédiger l’intro d’un dossier pour leur N+1 « parce que c’est un avantage du télétravail de bosser quand on veut » . C’est dur, mais l’ultra tient bon.
« Évidemment que je culpabilise de rafraîchir mon fil Instagram pour la cinquième fois en dix minutes sans que personne ne m’ait défié au PQ challenge, reconnaît le président du RienBranler FC. Mais ça ne m’empêche pas, en scrollant un peu, de me faire attraper par une vidéo de chien qui obéit au doigt et à l’œil de son maître. » Dans la mentalité ultra du RienBranler FC, c’est primordial de ne pas compter ses heures devant toutes sortes de compil’ Youtube.
Interdits de Square
Le revers de la médaille de la période de confinement, ce sont les restrictions de déplacement. En effet, la préfecture de l’Isère, conformément au décret du gouvernement, a décidé de fermer les parcs ou les squares. Steve Flémardo et ses potes avaient l’habitude de passer leurs après-midi sur un banc en faisant tourner un joint et en descendant une bouteille de Mirinda à l’orange. Aujourd’hui, ils se retrouvent IDS (interdits de square) et n’ont même pas la force de se faire des apéros via Skype.
Reste quand même l’excitation du soir, sur les coups de 20h, quand tout le quartier met le nez à la fenêtre pour applaudir en signe de remerciement aux soignants et au corps médical. Pour fêter la première semaine de confinement, lundi dernier, Steve Flémardo a craqué un fumigène à sa fenêtre. D’ailleurs, aujourd’hui, il n’a pas vu le temps passer, la nuit est tombée et il entend la voisine en train de tambouriner ses casseroles. Le moment est venu de sortir le drap qu’il a peint la nuit précédente. Sourire aux lèvres, Steve Flémardo déploie la banderole sur son balcon : « fiers de ne rien branler » . Encore une journée bien remplie pour lui et les ultras du RienBranler FC.
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