- Question existentielle
Pourquoi le confinement est-il meilleur que le football ?
« Vingt-deux mecs qui courent après un ballon » contre « une petite grippe qui arrive tous les ans ». Le match est au sommet, pourtant, c’est bien le confinement qui ressort grand vainqueur de cette rencontre.
Et si finalement, tout ça n’était qu’une histoire de bases. Un retour aux sources. Puisqu’entre football et confinement, il n’est question que de fondements. Ceux d’un « sport simple rendu compliqué par des gens qui n’y connaissent rien » , selon Bill Shankly, qu’on ne présente plus. Et ceux « d’une petite grippe comme il y en a tous les ans » , selon des génies de la lampe, qu’on ne présente pas. La quête du beau jeu autant que le combat contre la pandémie font la part belle au jeu dans les petits espaces. Que l’adversaire soit un bloc bas made in Ligue 1 Conforama ou une chambre de bonne à 700€ made in Paris, tout n’est plus qu’une histoire de position, de gestion des temps forts, des temps faibles et même, désormais, des temps morts. Football et confinement ne sont pas aussi opposés qu’il n’y paraît. Certes, il est difficile pour quelqu’un qui ne travaille pas à la préfecture d’imaginer un football sans supporters. Ça sonne creux, pour ne pas dire que ça sonne faux.
Mais en période de confinement, beaucoup découvrent la partie moins bling-bling de la vie de footballeur. Une existence entre deux eaux, faite de réussite, d’excitation et d’accomplissements, mais aussi de canapé, de siestes et de temps qu’on essaye de tuer avant qu’il ne nous tue. Tout ça en subissant un retour anticipé du Panzanisme, régime totalimentaire où les pâtes font figure de seule denrée et où les sucres sont tous plus lents les uns que les autres. Un régime que certains essayent de fuir, bon gré mal gré. Un exode de la capitale vers une terre plus divertissante juste après les huitièmes de finale de Ligue des champions, comme un joueur du PSG persuadé qu’il aurait plus de chances de gagner la C1 ailleurs. Sauf que lui ne risque pas de contaminer sa famille avec un brin de lose qui semblait d’ailleurs s’évaporer en 2020. D’où l’importance du confinement et son évidente supériorité sur le football.
Voyez-ça comme une mise au vert, un départ en stage à Tignes
Le confinement est une évaporation de l’habitude. Une disparition impalpable qui oblige à réapprendre le quotidien et qui octroie au confinement une visée didactique que le foot n’a plus depuis que tout votre entourage sait que vous pouvez placer Cluj, Oleksandria et Breda sur une carte de l’Europe. Enfermé(e) chez vous, vous allez découvrir que les jours de la semaine sont lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi et dimanche, et pas Premier League, C1, C1, C3, L1, Liga, Serie A. Courageux et courageuses, vous allez, télécommande en main, réaliser l’existence de chaînes et de créneaux horaires, d’amélioration technologique en matière de prothèse auditive – merci France 3 – ainsi qu’une actualité aussi froide et délicieuse que la sauce « Creamy Deluxe » dont la valeur a progressé de manière inversement proportionnelle à la plupart des actions du CAC 40. Oui, les belles histoires vont vous être livrées grâce au confinement.
Au fond, voyez ça comme une mise au vert, un départ en stage à Tignes. Sans neige, sans ski, sans vélo et sans Coupe du monde après. Une quête spirituelle où l’acceptation de l’ennui va devenir une force, alors même qu’elle est la faiblesse du fan de football moderne.
Vous êtes peut-être encore dans le déni au moment où vous lisez ces lignes, mais dans cinq jours, peut-être même plus tôt, vous troquerez un paquet de coquillettes contre quinze minutes de Toulouse-Dijon. Dans dix jours, vous serez peut-être prêt à payer un abonnement Media Pro. Oui, le confinement a un côté éloge de la modestie et ode au petit plaisir que le football délaisse depuis de trop nombreuses années. Se satisfaire de ce qu’on a. Que ce soit Max-Alain Gradel en capitaine, un acronyme à trois lettres en guise de président ou un commentateur à deux prénoms pour bercer ses soirées. Le confinement nous rappelle à tous qu’on oublie d’apprécier. Même le lundi, quand on joue avec ce coéquipier catastrophique qui est désormais autant techniquement au chômage qu’au chômage technique. C’est là, sur le terrain, que se crée l’immense supériorité du confinement sur le ballon rond : la rupture des ligaments croisés dont vous avez été victime à 14 ans ne vous empêchera pas de devenir confineur professionnel. Il y a du positif là-dedans aussi. Tout comme dans l’éloge du temps long. Après avoir vécu au moins quinze jours comme ça, aucun temps additionnel ne vous fera vous dire que l’arbitre est contre votre équipe.
Et si pour vous consoler d’avoir perdu une Ligue des champions, une personne vous dit que « ce n’est que du foot » , vous avez le droit de l’insulter. Mais pour les quinze prochains jours et peut-être plus, vous avez le devoir de vous rappeler que le confinement sauve des vies. Et ça, ça suffit à répondre à la question posée par le titre. Une histoire de bases, quoi.
Par Swann Borsellino