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Jorginho, Londres et lumières

Par Adrien Candau
Jorginho, Londres et lumières

Ce cru 2021 aura vu Chelsea et l'Italie conjointement comprendre le génie furtif de Jorginho. Virtuose, mais faillible - y compris sur penalty, son exercice favori - le regista londonien a brillamment incarné une certaine idée de la délicatesse ballon au pied. Ce 31 décembre, il convient donc de saluer une dernière fois le vrai maître de cérémonie de l'année.

Jorge Luiz Frello Filho, dit Jorginho, est d’abord un paradoxe sur pattes. Un milieu créateur qui ne fait pas de passes décisives. Un spécialiste des penaltys qui ne marque presque jamais dans le jeu. Une individualité qui n’existe qu’à travers le collectif. Le troisième larron du dernier Ballon d’or le dit lui-même : son exercice 2021 échappe à la raison. « C’est absolument surréel. J’utilise souvent cet adjectif, « surréel », parce que ce qui m’arrive est tellement grand que j’ai du mal à y croire. Je n’avais même pas osé en rêver. Que tous ces succès me tombent dessus après tout ce que j’ai vécu, je n’ai pas les mots pour le décrire, le justifier. » Depuis quelques mois, le regista de la Nazionale fait l’unanimité. Le bonhomme y verra peut-être une petite revanche personnelle : l’année qui s’achève a sacré la victoire de son football, dont la rythmique, si différente, a longtemps été autant célébrée que décriée.

On se rappelle tous ce que disaient les gens, lors de mes débuts à Chelsea, non ? Que j’étais trop lent. Faible. Que j’étais le fils de Sarri. Ça m’a foutu en rogne !

Rythme and Blues

Pour comprendre d’où revient précisément l’Italien, il faut se pencher sur ces propos de Rio Ferdinand à la TV anglaise, fin janvier 2019. Alors que Chelsea vient de se faire planter 2-0 par Arsenal en Premier League, la légende de Manchester United mitraille à tout-va celui qu’il considère comme le premier responsable du revers des Blues : Jorginho. « Il est censé donner le tempo des matchs… Quand vous lui donnez le ballon dans les 30 derniers mètres, il est très bon, ok. Cette saison, il a réalisé environ 2000 passes. Mais combien de passes décisives a-t-il faites ? Aucune. En plus, il ne court pas beaucoup. Donc, il n’apporte rien défensivement, comme de l’autre côté du terrain. » L’Anglais ne prêche alors franchement pas dans le désert : recruté à l’été 2018 par Maurizio Sarri, l’ex-Napolitain se voit régulièrement taxé de joueur le plus surcoté de Premier League.

Son inlassable jeu de passes et son style épuré ne sont alors pas du goût des fans des Blues, qui voient en lui le chouchou de l’entraîneur en place. « On se rappelle tous ce que disaient les gens, lors de mes débuts à Chelsea, non ? écrivait le joueur début septembre dans lePlayers’ Tribune. Que j’étais trop lent. Faible. Que j’étais le fils de Sarri. Ça m’a foutu en rogne… Mais écoutez, ils m’ont sous-estimé. Vous voyez, j’ai eu des débuts mouvementés dans tous les clubs avec lesquels j’ai joué. À chaque fois. » Vrai. L’Italo-Brésilien a toujours demandé du temps. Le temps d’être compris. Sarri, qui avait quitté Chelsea à l’été 2019, tente d’expliciter le jeu de son ancien protégé : « C’est un joueur raffiné. Voilà pourquoi tout le monde ne peut pas tout de suite l’apprécier. » Comment comprendre Jorginho, alors ? D’abord en regardant l’origine des choses, plutôt que leur aboutissement. Derrière une ouverture lumineuse, c’est souvent l’ombre du milieu transalpin qu’on peut déceler. « Je cherche toujours la passe qui va ouvrir les lignes de l’adversaire, explique le principal intéressé. Mes passes peuvent sembler banales, mais c’est souvent la passe qui vient après la mienne qui amène une occasion de but. »

« Les Happy Meals, c’était pour les gosses de riches »

Ses passes, Jorginho les a d’abord affinées pied nu sur les plages d’Imbituba. C’est dans cette cité du Sud du Brésil, ex-spot favori des chasseurs de baleine auriverde, que sa mère lui fait répéter ses premières gammes sur le sable fin. « Quand j’avais cinq ans, ma maman jouait au ballon avec moi sur la plage, près de chez nous. Elle ne fait pas partie de ces mamans qui ne comprennent pas le football. Non, monsieur… Elle est issue d’une famille de footballeurs et elle joue encore aujourd’hui. On s’amusait juste, mais si je faisais une erreur, elle disait :« Non, ne mets pas le pied de cette façon. Fais comme ça. » » Adolescent, Jorginho multipliera ensuite les essais dans des clubs pros. Sans succès. « J’ai fait trois tests, au São Paulo FC, à Palmeiras et à l’Inter (Porto Alegre), mais à chaque fois, je me suis fait recaler. »

Il était presque un infiltré, il ne pouvait pas vivre en pensionnat avec ses compagnons. Donc, je l’ai confié à une communauté de prêtres, qui lui offraient le gîte et le couvert.

Il sera finalement repéré par un recruteur du Hellas Vérone, qui le rapatrie en Italie à 15 ans, pour lui faire intégrer le centre de formation du club de la ville de Roméo et Juliette. Celui qui bénéficie alors seulement d’un visa étudiant – ce qui l’empêche de disputer des matchs officiels – doit alors se faire rikiki. Pour lui donner sa chance, le directeur sportif du Hellas, Riccardo Prisciantelli, n’hésite pas à magouiller : « Il a fallu beaucoup de temps avant que nous puissions le signer au club. Il était presque un infiltré, il ne pouvait pas vivre en pensionnat avec ses compagnons. Donc, je l’ai confié à une communauté de prêtres, qui lui offraient le gîte et le couvert. » Abusé par son agent de l’époque, le ragazzo survit avec 20 euros par semaine. « Je les dépensais toujours de la même façon : cinq euros pour téléphoner à ma famille au Brésil, quelques euros de plus pour du shampooing, du déodorant et du dentifrice… Parfois, quand je voulais vraiment me faire plaisir, j’allais sur la place principale de Vérone et j’achetais un milk-shake au McDonald’s. Juste ça. Les Happy Meals, c’était pour les gosses de riches. Ensuite, je m’asseyais sur un escalier dans le coin de la place et je regardais. J’observais juste les oiseaux et les touristes et je laissais mes pensées vagabonder. » Rude, mais le talent du gamin filiforme est trop grand pour passer à la trappe : son ascendance transalpine lui permettra finalement d’être naturalisé italien et d’intégrer en 2011 l’équipe A du Hellas.

Des failles et du génie

La suite sera glorieuse, mais jamais rectiligne : transféré au Napoli en 2014, le joueur n’a pas les faveurs de Rafael Benítez, avant d’exploser en 2015 sous le commandement de Sarri. À Chelsea, il lui faudra plus d’une saison pour convaincre. En Nazionale, il sera régulièrement snobé par Antonio Conte et Giampiero Ventura, ce dernier prétendant carrément « utiliser une tactique incompatible avec les caractéristiques de Jorginho ». De fait, le génie de l’Italien n’est pas autonome. Encore moins infaillible. Lors de la finale du dernier Euro, ce spécialiste des penaltys a raté son tir au but décisif face à Pickford, même si les Azzurri l’auront finalement emporté. Sarri, premier amoureux transi du milieu de terrain, esquissait ainsi ses limites : « Il a besoin du mouvement sans le ballon de ses coéquipiers, car il a l’habitude de jouer en une seule touche. Il lui est très difficile de jouer sans le mouvement des autres joueurs. »

Roberto Mancini, qui a fait du bonhomme la clé de voûte de son milieu de terrain, voit en l’ancien Napolitain « un joueur avec une seule vocation : créer le jeu ». Loin des statistiques monstrueuses et des actions YouTube de Lewandowski, Haaland, Salah et Mbappé, l’Italien reste un joueur à échelle humaine, qui n’existe que par et pour le collectif. Problématique ? Non. Si la machine fonctionne, personne ne sait mieux la faire tourner que lui. « C’est vrai qu’on ne me voit pas trop… Je ne suis pas comme N’Golo(Kanté)qui court partout pendant 90 minutes. Moi, je suis plutôt celui qui va fluidifier l’ensemble, mettre de l’huile dans le moteur. Tout cela est subtil, et je conçois tout à fait que je sois moins visible que d’autres. » Et si c’était très bien comme ça ? C’est en marchant à l’ombre qu’il a toujours pu masquer ses passes élégantes. Ou encore revenir incognito à Vérone cet été, pour savourer intimement le chemin parcouru : « Ça faisait très longtemps que je n’y étais pas allé. D’abord, je me suis rendu sur la place principale. Je suis allé au McDonald’s et j’ai pris un milk-shake. Puis, je me suis assis dans les escaliers dans le coin, où j’avais passé tant d’après-midi à l’adolescence. Et j’ai juste… observé. »

Dans cet article :
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Par Adrien Candau

Tous propos issus du Players's Tribune, de France Football, de la Gazzetta dello Sport et du Corriere del Veneto.

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