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Il y a vingt ans, Franck Ribéry plantait son premier but en seniors

Par Simon Butel et Florent Caffery, à Boulogne-sur-Mer
Il y a vingt ans, Franck Ribéry plantait son premier but en seniors

Le 9 septembre 2000, Marie-José Pérec débarque à Sydney pour la XXVIIe olympiade de l'ère moderne qu'elle finira par fuir une dizaine de jours plus tard. À 16 916 kilomètres de là, Franck Ribéry prend rendez-vous avec son destin. Sur la pelouse de la Libé, face à Armentières, le gamin du Chemin vert s'installe sous les projecteurs. Il n'a que 17 piges, ne dispute que six minutes ce soir-là en CFA avec Boulogne, mais claque son premier but et flanque déjà des migraines aux défenseurs. Après avoir été viré du centre de formation du LOSC, Ribéry entame son odyssée. Retour, avec ceux qui le côtoyaient il y a deux décennies, sur l'éclosion de Ti'Franck. 

Casting :
Bruno Dupuis : Entraîneur de Boulogne-sur-Mer de 1997 à 1999, puis en 2000-2001, avant de partir à Sedan avec Alex Dupont et de faire une dernière pige en 2004. José Pereira : Ancien recruteur pour l’USBCO, aujourd’hui entraîneur de l’AS Outreau (Pas-de-Calais) en Régional 1 Hauts-de-France. Jacques Wattez : Président de l’US Boulogne-sur-Mer de 1993 à 2018.Pascal Langlois : Ancien joueur et entraîneur de jeunes de l’USBCO, désormais coach de l’Olympique Grande-Synthe (R1 Hauts-de-France). Christophe Duchaussoy : Milieu de terrain boulonnais entre 1995 et 2003, depuis devenu enseignant.Yannick Busin : Défenseur de l’USBCO de 1996 à 2009, fonctionnaire au sein du service événementiel de la ville du Touquet au civil.Tony Ternisien : Milieu boulonnais de 1986 à 2002, devenu éducateur auprès de jeunes délinquants.André Charlet : Entraîneur d’Armentières de 1998 à 2001, désormais responsable de la cellule d’observation du Racing Club de Lens.Carmelo Canetti : Ex-attaquant de la JA Armentières, aujourd’hui entraîneur de Bully-les-Mines (R2 Hauts-de-France).


Automne 1999. Franck Ribéry effectue son retour à Boulogne en signant à l’USBCO.

Il a été viré du centre de formation de Lille un peu à cause de son caractère. C’est l’image d’un gamin attachant qui a des réactions parfois sanguines et qui s’enferme dans sa réaction.

Bruno Dupuis : Franck était à Lille en contrat d’apprentissage. Il avait failli se faire virer deux-trois fois avant que ça n’arrive vraiment. José Pereira, son ancien entraîneur aux Aiglons de Boulogne, a été son déclencheur. Il était toujours là comme un père adoptif et n’arrêtait pas les allers-retours à Lille pour le conduire et le rechercher. C’est lui qui l’a fait revenir à Boulogne et j’ai fait embaucher Franck comme éducateur sportif au Chemin vert où il faisait une quinzaine d’heures par semaine.

José Pereira : C’est effectivement moi qui ai amené Franck à Lille, en 1995, quand j’entraînais l’équipe première des Aiglons, son premier club, aujourd’hui disparu. À notre arrivée, le jour de son essai, les pros étaient en train de s’entraîner. Ils faisaient un exercice où il fallait jongler et frapper. Le coach lillois de l’époque s’est tourné vers lui et lui a dit : « Si un jour, si tu sais faire ça… » Franck lui a répondu : « Bah, je sais le faire ! » Il a pris le ballon et a fait l’exercice des pros ! Il n’avait peur de rien, c’est d’ailleurs pour ça qu’il a réussi. Mais à Lille, il a fait pas mal de conneries, et il a fallu que je lui sauve la mise une paire de fois. Quand le responsable du centre de formation du LOSC m’a dit qu’il n’était pas gardé, je l’ai ramené à Boulogne. À l’époque, c’était soit je le mettais à l’USBCO où j’étais devenu recruteur, soit il repartait aux Aiglons et c’était fini.

Christophe Duchaussoy : Il a été viré du centre de formation de Lille un peu à cause de son caractère. C’est l’image d’un gamin attachant qui a des réactions parfois sanguines et qui s’enferme dans sa réaction. Ça passe, mais c’est très orageux et ils ont souvent l’impression d’être victimes d’injustice.

Pascal Langlois : Je l’ai récupéré à 16 ans, au printemps 1999. Le LOSC s’était d’ailleurs déplacé avec un éducateur pour expliquer comment ça s’était déroulé pour lui cette saison-là et nous expliquer les raisons de son éviction. Bon, je pense aussi que c’était une époque où il fallait mesurer 1 mètre 90 et avoir un bon jeu tête pour avoir des espoirs de passer pro… Lui, c’était un petit gabarit, très frêle.

JP : Quand je l’ai ramené de Lille, il y a eu un petit temps d’adaptation difficile. C’est normal : quand vous sortez d’un centre et que vous arrivez à Boulogne… Même si c’est un bon niveau et que Boulogne a de bonnes installations, il y a quand même une marge.

PL : La première séance d’entraînement a été compliquée pour lui. Il avait perdu ses repères, et n’était pas très investi. Je lui ai dit : « Si c’est ça, autant arrêter tout de suite. » C’était vraiment un amoureux du foot, et il avait certainement du mal à digérer son éviction. Mais derrière, il s’est vite fait apprécier de tout le monde, et c’est rapidement devenu un leader. En même pas trois semaines, il s’était imposé comme l’élément central du groupe, aussi bien sur le plan footballistique et technique qu’affectif. Il avait plusieurs vestes de leader. Y compris au niveau de la combativité : sur le terrain, il donnait tout, même dans les petits jeux, alors qu’il était très doué techniquement.

Jacques Wattez : Quand il sort de Lille, Franck n’est pas très bien dans sa tête, il concevait ça comme un échec. Revenir dans le cocon familial, avec ses potes, ça a été finalement une bonne chose pour se relancer et se ressourcer. Et l’USBCO a été un tremplin avec José Pereira qui a été d’une influence incroyable. Il me disait : « Vous verrez, ce sera un futur grand. »

PL : Je me rappelle un Calais-Boulogne. À l’époque, c’était l’un des derbys les plus chauds, il y avait une rivalité très forte entre les deux clubs. J’ai mis l’équipe sur le tableau, et je me suis tourné vers les garçons : « Maintenant, c’est vous qui allez me dire comment on va jouer, comment on va les surprendre. » Et il en a un qui s’est levé, Franck, alors qu’il n’était là que depuis un gros mois : « On va les bousculer, les presser, disputer un match de coupe… » Ce rôle de leader, Franck l’a assumé toute la saison. Sur le terrain, c’était un exemple à tous points de vue. Il emmenait les autres avec lui. À l’époque, j’étais responsable d’une équipe de médiateurs sportifs au Chemin vert, et il incarnait vraiment les valeurs de ce quartier : l’entraide, la combativité… Des garçons comme ça, c’est facile à entraîner.

JP : Le problème, à Lille, c’est qu’il n’aimait pas l’école. Il ne voulait pas y aller. Là-bas, il a fait trois-quatre bahuts, mais ça n’allait jamais. Quand il est revenu à Boulogne, il a commencé à travailler quelques semaines avec son père, dans les travaux publics, puis Boulogne lui a proposé un petit contrat, un contrat de mairie comme on disait. Il s’occupait des jeunes, et la discipline est venue d’elle-même.

PL : Parallèlement à ce contrat, Franck devait préparer un diplôme, et prendre le train deux fois par semaine pour se rendre à Lille, pour les cours. J’étais son tuteur. Au bout de deux, j’ai reçu un courrier comme quoi il ne venait pas en cours régulièrement. Il ne m’avait rien dit ! Franck, je pense qu’il avait des boutons dès qu’il entrait dans une salle de classe. Il misait tout sur le foot. Il n’y a que le terrain qui l’intéressait.

JP : Il ne vivait que pour le foot. À Lille, il faisait les entraînements la journée et le soir, après ses deux heures d’entraînement, il se mettait derrière le but des pros et il ramassait les ballons. Le directeur du centre de formation me disait toujours : « Il est increvable celui-là. » (Rires.)

PL : Quand j’ai appris qu’il n’allait pas en cours, j’ai dit à Franck que c’était une erreur, et qu’à son âge, il valait mieux avoir plusieurs options, qu’il pouvait réussir, mais aussi se blesser. Mais c’était hors de question pour lui d’aller en cours, je parlais dans le vent. Il n’était pas concerné par l’école : il avait une détermination incroyable pour réussir dans le foot alors qu’à l’époque, à 16-17 ans, il avait le gabarit d’un gamin de 12-13 ans. En fin de saison, j’ai repris la réserve, et j’ai fait en sorte qu’il intègre le groupe seniors.


Juillet 2000. Le gamin intègre le groupe seniors.

Au quartier, au city stade, il jouait contre des hommes, et était tout aussi à l’aise avec les grands. Dans le jeu, il ne lui manquait pas grand-chose.

BD : Il était avec les juniors de Pascal Langlois, qui me dit qu’il faut absolument le prendre dans le groupe. Franck, c’est quelqu’un qui ne doute pas, d’ailleurs c’est toujours le cas, que ce soit dans la vie ou sur un terrain. C’est sa plus grande qualité. Très tôt, il savait qu’il allait faire une carrière. C’était inscrit dans son projet de vie. Il avait une rage intérieure. Il ne faut pas oublier cet accident qu’il a eu et lui a laissé des traces sur le visage. Il a subi de nombreuses opérations et il a dû y puiser cette force.

JP : Devant autant d’embûches, beaucoup auraient arrêté. Franck, lui, avait une force mentale extraordinaire. Chaque échec devait lui servir. Il voulait toujours faire plus et mieux. Mais c’est simple : vous pouvez être tout bon, si vous n’avez pas cette rage de réussir, cette volonté, vous ne pouvez pas y arriver. À l’époque, c’était assez rare d’intégrer la CFA à 17 ans. Mais des Ribéry, il n’y en a pas eu cinquante, je peux vous le dire.

PL : Il fallait voir comment il évoluerait et s’adapterait, mais le monde senior, il le connaissait déjà au fond. Au quartier, au city stade, il jouait contre des hommes, et était tout aussi à l’aise avec les grands. Dans le jeu, il ne lui manquait pas grand-chose. Son jeu de tête n’était pas exceptionnel, certes, mais il avait surtout beaucoup d’atouts : son explosivité, son habilité technique et son côté imprévisible. Il avait une créativité dans le dribble… et surtout une grande efficacité : Franck, ce n’était pas le footballeur de quartier qui cherchait à dribbler pour dribbler.

Tony Ternisien : Petit, il était déjà comme ça. On se retrouvait dans des tournois de quartier. Moi, je venais du quartier de la salle Danrémont, lui du Chemin vert. Parfois, il avait cinq ans de moins que les autres et il mettait le feu. Et ensuite, on s’est recroisés quand il a débarqué en équipe première.

Yannick Busin : Je ne le connaissais pas du tout quand il est arrivé. Mais on a tout de suite vu qu’il avait les qualités pour aller au-dessus. Malgré son jeune âge, il était vraiment percutant, et surtout il faisait les efforts, offensifs comme défensifs. Il avait la vitesse, la percussion, et jouait au foot comme on joue avec ses copains dans la rue. Avec insouciance, sans se poser de question.

BD : Immédiatement, il se montre très fort en un contre un, pied gauche, pied droit. À sept-huit ans, il avait déjà cette manière de faire. En revanche, il était trop fin (1,60 m pour 60 kg), malgré des qualités athlétiques exceptionnelles qui lui permettent de jouer encore maintenant. Il devait s’étoffer. Physiquement, il avait du mal.

JP : Il se faisait un peu balancer, mais il arrivait toujours à se débrouiller parce qu’il allait très vite. Après, il ne faut pas non plus peser 90 kilos de muscles pour être un bon joueur. Au contraire : s’il avait été plus costaud, il n’aurait pas eu ses qualités d’explosivité. Il jouait toujours vers l’avant : dès qu’il avait le ballon, il n’avait que le but en tête.

CD : En un-contre-un à l’entraînement, personne ne voulait aller avec lui. (Rires.) Je me débrouillais toujours pour ne pas être avec, je savais qu’il allait me mettre le bouillon. Dans le groupe, il y avait des mecs qui avaient 30 ans, et tu avais l’impression qu’il était là depuis dix ans, alors que c’était un gamin de 17 ans.

YB : Dans le groupe, il y avait des garçons assez expérimentés, ayant été formés à un certain niveau. Franck était le plus jeune, mais il était très bien intégré. On veut parfois lui coller une étiquette de tête brûlée, mais avec nous, ça se passait très bien, il était à l’écoute des anciens. Et il aimait déjà bien chambrer et amuser la galerie.

PL : Franck est quelqu’un de joyeux, de généreux. Un garçon avec de telles qualités, c’est facile à intégrer dans un groupe, même s’il était jeune. C’est quelqu’un qui va toujours vers les autres. C’était d’ailleurs le seul gamin qui ouvrait la porte du bureau du président. Il va vers les gens, peu importe si c’est le président de la République.

CD : La période d’intégration avec lui, ça n’existait pas. Nous étions en CFA, ce n’était pas non plus l’image d’un vestiaire avec le dernier arrivé qui doit se mettre au bout du banc. Mais ce qui m’a marqué, c’est qu’on avait deux vestiaires. L’un avec des mecs du coin un peu plus anciens et un deuxième avec des grands blacks et d’autres joueurs qui n’étaient pas forcément de Boulogne. Franck allait toujours dans ce vestiaire, avec la musique et mettait l’ambiance.

JW : Il a rapidement marqué les esprits par sa façon d’être, de jouer. On sentait qu’il avait envie de faire quelque chose. Ce gamin avait ça dans le sang et avait des objectifs ambitieux. Sa raison de vivre, c’était le foot. On connaît la suite. Je ne me souviens pas qu’il ait loupé un seul entraînement durant ses années boulonnaises.

TT : Franck arrivait toujours habillé à l’entraînement, avant les autres. Il n’avait pas de voiture, il s’arrangeait toujours pour que quelqu’un l’amène. Avec ma vieille Opel Corsa toute pourrie avec les carreaux qui tombaient, j’allais parfois le chercher. Ce qui est dingue, c’est qu’à 17-18 ans, il fédérait déjà dans le vestiaire avec ce mélange de bienveillance, d’humour, de travail. Finalement, on est tous les mêmes, c’est ce qu’il devait se répéter. Quel caractère il avait. Ce mec était déterminé, le foot c’était sa vie. Même quand on jouait à la Playstation sur Pro Evolution Soccer, il avait horreur de perdre. Il ne s’arrêtait jamais, tout en étant un sacré chambreur.

JP : Bien sûr, tout n’a pas été facile, il a parfois fallu le tenir. Mais Franck est un petit malin : comme on dit par ici, il sait par où on caresse le poil. (Rires.) Il est très sociable, et a toujours su se faire aimer des gens. Pour réussir avec lui, il fallait justement qu’il se sente aimé. S’il se sentait aimé, en confiance, il aurait fait n’importe quoi sur le terrain pour son entraîneur.


12 août 2000. Ribéry effectue ses débuts en équipe première à Dunkerque, où il entre à la 81e minute de jeu.

Quand il voyait qu’il n’était pas titulaire, il faisait la gueule, et si je le faisais entrer, il voulait me prouver que j’avais eu tort. C’était un garçon des quartiers, il fallait le recadrer un peu. Humainement, il n’a jamais oublié d’où il venait, mais il était encore avec ses potes et parfois il fallait aller le chercher.

BD : À gauche ou à droite, je pouvais le faire jouer sur les deux côtés. Mais nous étions encore en post-formation, il ne fallait pas le griller. Il avait aussi des soucis à la récupération du ballon. Mais c’était un gamin avec de l’insouciance. Il voulait jouer tout le temps, toujours être titulaire. Heureusement, Pascal Langlois et José Pereira m’ont bien aidé à le cadrer. Il fallait être dur avec lui.

JP : Bruno, qui avait été un bon joueur pro, était très perfectionniste, et aimait bien la discipline. Donc Franck a dû s’y mettre aussi. Bruno était dur avec lui, mais juste. Le président Wattez était très présent aussi. Dans son travail, il avait beaucoup de gens qui venaient de milieux populaires, et il aimait bien ce genre de garçons. Franck était un peu le chouchou, mais ça lui a servi.

BD : Quand il voyait qu’il n’était pas titulaire, il faisait la gueule et si je le faisais entrer, il voulait me prouver que j’avais eu tort. C’était un garçon des quartiers, il fallait le recadrer un peu. Humainement, il n’a jamais oublié d’où il venait, mais il était encore avec ses potes et parfois il fallait aller le chercher, même si l’entraînement faisait partie de sa vie.

CD : Franck ne gueulait pas non plus dans le vestiaire. Il boudait, pouvait faire des réflexions, mais il ne s’en prenait pas à tout le monde. À 17 ans, il aurait vite été remis à sa place de toute façon. Et logiquement, la première saison, c’était irrégulier pour lui, il venait en équipe première, puis il repartait avec la réserve. Il ne faut pas non plus croire qu’il s’est imposé tout de suite comme titulaire.

PL : En réserve, c’était un leader. Il parlait beaucoup aux joueurs et était un peu mon suppléant. Pour un coach, c’est intéressant d’avoir des joueurs comme ça, et c’est surtout très rare. Encore plus à 17 ans. Au-delà de ses grandes qualités techniques, il fédérait énormément.

CD : Il grignotait des bouts de match par-ci par-là. À chaque fois, il apportait quelque chose avec sa percussion. C’était comme lorsque l’on rencontrait les centres de formation : on sentait ceux qui allaient percer, et Franck était de cette trempe-là.

YB : Dès qu’on avait des difficultés à marquer, le coach le faisait entrer, et il faisait très souvent la différence. Nous, on le laissait jouer, et Bruno était là pour le recadrer quand il fallait. Il a eu la chance d’intégrer un groupe relativement jeune, et d’avoir eu l’opportunité de se montrer.

TT : Il y avait pas mal de jeunes Boulonnais dans le groupe dont Francky, qui avait trois ans de moins que moi. C’était forcément quelque chose de jouer en équipe première. Le club avait recruté de bons joueurs avec Guillaume Ducatel ou encore Guy G’Badie. Il fallait une certaine force pour s’imposer dans le groupe quand on n’avait encore rien fait. Comme Franck, on ne gagnait rien du tout.

JW : On n’avait pas beaucoup d’argent, comme toujours à Boulogne. Bon, il gagnait quand même un petit peu d’argent quand même, mais c’était dérisoire.

TT : Ce qui est sûr, c’est que face aux anciens, il fallait un sacré mental pour être aligné. Je pense que Franck tire aussi cette force du quartier où il a grandi. Si on devait comparer à maintenant, c’est un peu de la même trempe que l’athlète Jimmy Gressier qui vient aussi du Chemin vert. Forcément, il y a la part d’ombre de ce quartier où ils ont évolué, faut accepter les brimades, être en mesure de sortir du Chemin vert.


9 septembre 2000. Six minutes après son entrée en jeu, Ti’Franck inscrit son premier but en seniors contre Armentières (90e). Boulogne s’impose 3-0.

TT : C’était le quatrième match de la saison. Sur les trois premières journées, on fait à chaque fois 0-0. Là, à la mi-temps contre Armentières, on est encore à 0-0, et franchement, le public, qui était nombreux et dans l’attente de retrouver l’échelon supérieur, gronde. On n’avait toujours pas marqué un seul but depuis le début du championnat. Le coach aussi pique sa colère dans le vestiaire.

YB : Franchement, je ne m’en souviens pas. C’est très dur de se rappeler les matchs ! (Rires.) Avec Franck, il n’y a pas d’action ou de match particulier qui m’a vraiment marqué. Ce dont je me souviens surtout, c’est de sa percussion, sa facilité à éliminer l’adversaire. Dans les un-contre-un, il n’avait pas peur d’y aller et essayait toujours de faire la différence.

TT : Au retour des vestiaires, Sébastien Blanc me fait un centre de la gauche, ça passe sous la jambe d’un défenseur armentiérois, je la reprends extérieur du pied, poteau, lucarne. J’étais comme un dingue, c’était mon premier but aussi sous le maillot de mon club de toujours. J’avais des cheveux longs, j’ai l’impression que j’étais dans Dragon Ball Z. Derrière, ça déroule, on se libère, et Franck amène la cerise sur le gâteau avec le talent qu’il avait déjà. Il avait une gnaque, un culot, une audace incroyables.

Francky à Brest

André Charlet : Quand on rencontrait des réserves pros, il n’y avait pas besoin de motiver les gars : ils se disaient : « En face c’est des jeunes, on va les faire sauter à la corde ! » (Rires.) Mais face à Boulogne, une équipe première, on était souvent en galère. Eux jouaient le haut de tableau, et nous le bas.

Carmelo Canetti : On est d’ailleurs descendus en CFA 2 à la fin de la saison. Ce jour-là, Boulogne était au-dessus de nous, mais à 2-0, on pensait encore pouvoir revenir. Mais l’entrée de Franck nous a fait beaucoup de mal.

AC : Moi qui préparais beaucoup les matchs à chaque fois, Ribéry n’était pas un joueur à qui je faisais attention : la CFA de l’époque, c’était un championnat d’hommes. Même quand on est talentueux, à 17 ans en CFA, on est rarement considéré. C’était probablement une erreur de ma part. Mais pour être honnête, je ne me rappelle plus beaucoup ce match. Il était remplaçant, non ?

BD : Nous fonctionnions en 4-4-2 à la perte du ballon et 4-2-4 à la récupération. Franck était entré à la place de Benoît Roussel, milieu défensif. Sachant qu’on menait déjà 2-0, il était libre devant et il nous plante un but magnifique. Tel qu’il le fait toujours. Il était parti du milieu de terrain en dribbles, avait éliminé le gardien et conclu dans le but vide.

CC : Sur le coup, je ne savais pas c’était Ribéry. On ne me l’a dit que plus tard, quand il est parti à Brest. Je me souviens en tout cas de ce but extraordinaire, sans réfléchir, sans calculer. Ce but nous avait coupé les ailes. En dix minutes, il avait marqué les esprits, et en avait montré plus que d’autres sur une saison complète.

BD : Dans mon compte-rendu d’après-match, sur mon cahier, je notais justement l’éclosion de quelques jeunes, Ternisien, Devilliers et Ribéry. Évidemment, je ne me dis pas à l’époque que vingt ans plus tard, j’allais reparler de ce but.

CC : Outre son but, c’est son insouciance, son côté virevoltant qui nous avait bluffés. Ces dix minutes résument bien la suite de sa carrière. Après, s’il avait été repéré et formé par Lille, c’est qu’il avait les qualités à la base.

BD : Par la suite, il a surtout fait quelques passes décisives lors de ses entrées. Et sur l’ensemble de la saison, il fait une quinzaine de matchs dont quatre comme titulaire. La plupart de ses bonnes entrées était notamment contre des réserves pros. Il voulait montrer aux pros qu’il était doué.

PL : On sentait cette envie, cet espoir de vite retourner dans le monde pro.

BD : Quelques semaines plus tard, contre Nancy à Boulogne-sur-Mer, je lui avais mis un 7/10, ça veut dire que c’était un très bon match. Cette saison-là, on monte en National et c’est aussi grâce à lui, alors qu’il n’avait que 17 ans. J’en ai vu des talents à Boulogne, Grégory Thil aussi par exemple, mais jamais comme Franck.


Mai 2002, après une saison en National, il quitte Boulogne et rejoint Alès.

PL : Après la montée en National, en 2001, Bruno a été remplacé par Jacky Colinet. En fin de saison, on est redescendus en CFA. Jacky était parti en vacances en Corse, et on s’est appelés pour faire le point sur l’effectif. Arrive le nom de Franck. Jacky me dit : « C’est bon, il reste. » Je lui demande : « Il a signé sa licence ? – Non, mais il m’a dit qu’il restait. » Je lui ai dit que Franck était libre, et que tant qu’il n’avait rien signé, il ne fallait pas compter dessus, qu’il saisirait la moindre opportunité d’aller plus haut. Quelques jours plus tard, j’ai appris qu’il avait signé à Alès.

JW : C’est vraiment là qu’il a éclaté. Il part du club pour 200 francs… Il voulait aller plus haut et être avec certains de ses copains. Il avait déjà un bon salaire dans le groupe. Je lui propose alors 1200 francs par mois, mais il me dit : « Je veux 1300 ou 1400… » Je lui réponds : « Franck, chez nous, la progression c’est comme ça, je ne peux pas faire plus. » Il n’avait pas d’agent, ça se traitait directement dans mon bureau. Et Alès à l’époque a mis 200 francs de plus sur la table… mais six mois après, le club dépose le bilan et il se retrouve à Brest. Et ensuite, il a écrit son histoire. C’est un regret de l’avoir vu partir comme ça. J’ai finalement tenté de mettre un peu plus sur la table, mais il était trop tard. Ses parents voulaient aussi qu’il reste à Boulogne, mais Franck était déterminé, il a fait fi de tout ça. De toute manière, ses parents ne sont jamais intervenus dans la gestion de ces discussions.

Moi, je savais en le mettant à Boulogne qu’il rebondirait. Dire qu’il devait retourner dans son club d’origine… C’est comme ça que les choses étaient prévues, et que le président du LOSC, le docteur Buisson, voulait procéder. Et puis Jean-Michel Vandamme a dit : « Non, j’appelle Monsieur Pereira, c’est lui qui décidera où il le mettra. » Ça tient à pas grand-chose, le destin, parfois…

AC : C’est quand il est parti à Brest que Franck a vraiment commencé à faire parler de lui. Mais avant cela, personne ne misait sur lui : à 17 ans, il était tout fin, tout frêle. Ceux qui vous disent le contraire…

JP : Moi, je savais en le mettant à Boulogne qu’il rebondirait. Dire qu’il devait retourner dans son club d’origine… C’est comme ça que les choses étaient prévues, et que le président du LOSC, le docteur Buisson, voulait procéder. Et puis Jean-Michel Vandamme a dit : « Non, j’appelle Monsieur Pereira, c’est lui qui décidera où il le mettra. » Ça tient à pas grand-chose, le destin, parfois…

AC : J’insiste en tout cas sur la qualité humaine de ce garçon. À 16-17 ans, c’était une arsouille, comme on dit dans le jargon (rires), mais ce n’était pas du tout un mauvais garçon. Il faisait des bêtises, et c’est d’ailleurs pour ça qu’il avait été exclu du LOSC, mais il ne les faisait pas par méchanceté. Et puis, dans un centre, ça part vite en sucette…

CC : Quelque part, ce renvoi du LOSC l’a aidé : il avait un côté revanchard, il voulait donner tort à Lille et s’est battu pour avoir une deuxième chance, se montrer et aider sa famille. Il avait un but. Son enfance dans ce quartier du Chemin vert, où il a fallu se faire une place parmi les grands, l’y a sans doute aidé.

JP : Ce gamin a eu la chance de grandir dans un quartier non pas difficile, mais populaire. Il n’y avait pas de jeu, tout ça, les jeunes étaient un peu livrés à eux-mêmes. Il tapait dans un ballon toute la journée. Il ne vivait que pour le foot.

AC : Il a su garder sa simplicité et son insouciance. Moi, c’est un garçon qui m’a toujours plu dans son attitude, son comportement sur et en dehors du terrain, ce côté jeu sans prise de tête. C’est sans doute ce qui a permis sa réussite au-delà de ses énormes qualités. Il n’a pas joué un personnage, Franck Ribéry : certains joueurs de haut niveau le font, mais lui a été Franck toute sa vie, il continue à l’être, et c’est très bien comme ça.

JW : Franck est celui qui a le mieux réussi chez nous avec N’Golo Kanté, même si N’Golo était bien plus discret. On peut le comparer à un parcours à la M’Bappé où le seul but, c’est d’évoluer au plus haut niveau. Mais de là à dire qu’il allait finir en équipe de France et au Bayern, c’était impensable.

BD : Je n’ai jamais pensé qu’il ferait une telle carrière. On sentait qu’il avait peut-être le niveau pour la Ligue 1, mais de là à accomplir tout ça, c’était inimaginable.

JW : Évidemment que j’aurais aimé qu’il termine sa carrière chez nous. Ça n’arrivera malheureusement pas en tant que joueur. C’est une question de moyens aussi, on n’est plus sur les 1200 francs, là. (Rires.) Mais on peut être flattés à Boulogne d’avoir participé à ce parcours.

Dans cet article :
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Par Simon Butel et Florent Caffery, à Boulogne-sur-Mer

Tous propos recueillis par SB et FC.

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