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Humiliés et offensés

Par Julien Duez et Steven Oliveira
Humiliés et offensés

À désormais 77 jours du lancement de la Coupe du monde, les cris de singe proférés à Saint-Pétersbourg mardi par des supporters russes en direction d'Ousmane Démbélé et de Paul Pogba durant le dernier Russie-France posent question. Après la vuvuzela en Afrique du Sud, les manifestations et les grèves au Brésil, le racisme sera-t-il le démon qui hantera le Mondial en Russie ?

Tout semblait parfait. Malgré un jeu toujours aussi approximatif, l’équipe de France avait de quoi se réjouir après sa victoire en Russie (1-3). Et pourtant, ce succès allait vite être gâché par la révélation de cris de singe proférés en direction d’Ousmane Dembélé et de Paul Pogba. À l’approche de la Coupe du monde, l’affaire met la Fédération russe dans l’embarras, elle qui avait promis un tournoi garanti sans incidents. Et pourtant, à en croire Ronan Evain, directeur du réseau Football Supporters Europe (FSE), la réaction du responsable du département sécurité Alexeï Tolkatchiov laisse penser que le pays s’améliore en matière de lutte contre le racisme : « Après la rencontre, la Fédération a déclaré qu’elle n’avait pas entendu les cris sur le moment, mais qu’elle allait mener une enquête. Je le vois comme un progrès, car il y a encore trois ou quatre ans, elle aurait tout simplement nié les faits. La mentalité vis-à-vis du racisme a tendance à évoluer. Auparavant, la Fédération avait tendance à se défausser en disant que de tels actes existent aussi en Allemagne ou en Angleterre. Aujourd’hui, ils reconnaissent qu’ils ont également un problème et opèrent un rapprochement en direction des standards internationaux en matière de lutte contre le racisme. »

Sébastien Puygrenier : « À Saint-Pétersbourg, le racisme est un vrai problème »

Pas forcément audibles en premier lieu malgré le toit fermé du stade Krestovski, ces cris prouvent qu’il s’agit du fait d’individus isolés et non de la majorité du public. Pour Ronan Evain, « ce genre d’incident touche moins les matchs de l’équipe nationale, car le public y est plus hétérogène, au contraire des rencontres de championnat où l’on voit majoritairement des supporters blancs et slaves. Aujourd’hui, il est encore difficile pour certaines minorités ethniques, par exemple du Caucase ou d’Asie centrale, d’avoir accès aux tribunes » . Ancien défenseur du Zénith Saint-Pétersbourg (2008-2011), Sébastien Puygrenier avoue ne pas avoir été étonné par ces cris de singe : « À Saint-Pétersbourg, le racisme est un vrai problème. Déjà, il n’y a aucun Africain qui joue au Zénith. Je me souviens des présentations des équipes dans le stade, lorsqu’un joueur de l’équipe adverse apparaissait sur l’écran géant et que c’était un black, les supporters sifflaient et faisaient des cris de singe. »

Présent au stade lors du match de ce mardi, Ronan Evain analyse les incidents à travers le prisme sensible de la différence culturelle : « Certaines manifestations d’enthousiasme ou de curiosité, liées à la faible présence de personnes de couleur dans le pays, peuvent être perçues comme agressives par les personnes concernées. Par exemple, au stade, plusieurs spectateurs noirs se sont fait arrêter par des locaux un peu alcoolisés qui voulaient prendre des selfies avec eux. C’est un geste maladroit, mais qui s’explique par le fait qu’ils représentent une espèce de curiosité exotique. » Des explications qui ne convainquent pas l’ancien stoppeur de l’AS Nancy-Lorraine : « Je suis sceptique là-dessus. C’est vrai qu’à Saint-Pétersbourg, il n’y a vraiment pas beaucoup de personnes de couleur, mais c’est une fausse excuse pour moi. »

La France, pays non grata en Russie

Au-delà des attaques subies par Pogba et Dembélé, c’est l’image de la France tout entière et de sa diversité qui se retrouve attaquée. « En Russie, l’homme de la rue a le sentiment que la France est un pays où la population immigrée est largement supérieure au reste de l’Europe, en partie parce que l’équipe nationale est une des plus diverses qui soit. C’est également le cas du Brésil (que la Russie a affronté le 23 mars, ndlr), mais pour les Russes, cette diversité est plus normale là-bas qu’en Europe » , poursuit le directeur de la FSE. Et l’État lui-même a une part de responsabilité, en opposant l’image d’une Russie solide face à un Occident en pleine décadence : « Ce fantasme est véhiculé par des médias proches du pouvoir. Ils renvoient aux Russes l’image d’un pays majoritairement peuplé par des noirs et des arabes, ce qui va à l’encontre de l’image traditionnelle de la France en Russie, celle des romans d’Alexandre Dumas ou des films de Pierre Richard. » Heureusement, ce grand chauve avec des chaussures noires qu’est Sébastien Puygrenier assure que certains Russes restent fidèles à la tradition : « À chaque fois que je parlais avec eux, ils me disaient qu’ils adoraient la France, que c’est un pays magnifique, ils te parlent de Paris, du Sud de la France, de la gastronomie. »

Et la Coupe du monde dans tout ça ?

Dès lors, la situation est quelque peu embarrassante pour le pouvoir russe. S’il a fait de la lutte contre le hooliganisme son cheval de bataille – avec la quasi-certitude aujourd’hui que les incidents vécus en France lors de l’Euro 2016 seront absents lors du Mondial –, c’est face à une menace beaucoup plus diffuse qu’il doit désormais se tourner. Mais Ronan Evain en est convaincu, le prochain Mondial ne devrait pas être le théâtre d’incidents majeurs. « La Russie risque de faire face à deux types de menaces liées au racisme : les cris et chants racistes au stade, difficiles à repérer, et les attaques racistes contre des minorités ethniques, qui visent généralement les migrants économiques d’Asie centrale ou du Caucase. Mais je suis convaincu que la menace est très limitée pour les supporters étrangers. Le gouvernement va en effet tout mettre en place pour éviter un quelconque incident, car il en va de l’image du pays. »

Une image que surveille étroitement la FIFA, même si cette dernière est moins exposée que le pays organisateur. « Son rôle s’arrête à l’intérieur des stades. Elle a d’ailleurs mis en place un plan en trois étapes pour répondre aux actes racistes : d’abord interrompre la partie, puis faire rentrer les joueurs aux vestiaires en cas de récidive et en dernier recours, annuler la rencontre » , conclut Ronan Evain. Et pourtant, pour résoudre le chantier du changement des mentalités, il faudra sûrement bien plus qu’une série de règlements. Histoire que personne ne soit exclu de la grande fête des peuples.

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Par Julien Duez et Steven Oliveira

Propos recueillis par JD et SO

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