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Haïti, les indésirables

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Haïti, les indésirables

Victimes de toutes les calamités du monde sur leur moitié d'île, les Haïtiens sont aussi considérés comme des pestiférés à l'étranger. C'est, tout du moins, ce qu'indique la mésaventure vécue par sa sélection de football des moins de 17 ans en Jamaïque. 


« Le football est tout dans la vie d’Haïti » . Yves Jean Bart, le président de la Fédération haïtienne de football, n’est pas un adepte de la litote. Reste que le ballon rond constitue indéniablement l’une des rares sources de réjouissance dans le pays d’Amérique le plus pauvre, dévasté en janvier 2010 par un tremblement de terre qui fit basculer l’île dans l’horreur. L’importance du football est telle qu’il envoie plusieurs milliers d’Haïtiens protester dans les rues de Port-au-Prince après l’exclusion en février 2011, de l’équipe des moins de 17 ans d’un tournoi organisé en Jamaïque et donnant accès au Mondial de sa catégorie d’âge.

Pour se mettre dans des disposition idéales, la sélection avait débarqué dans l’île voisine dix jours avant le début du tournoi CONCACAF. A peine le pied posé sur le sol jamaïcain, la délégation haïtienne doit répondre à un long questionnaire médical et se faire prendre la température. Simple mesure de précaution pensent alors les encadrants. Début d’un véritable harcèlement, selon le récit des responsables haïtiens. Tous les trois jours, une équipe du Ministère de la Santé viendra se préoccuper de l’état physique des joueurs.

L’ambiance se tend quand deux joueurs puis l’entraîneur commencent à se sentir mal après le premier match du tournoi : une défaite face au Costa-Rica (1-3). Alerté par les symptômes, le propre président de la Fédération, médecin à la ville, suspecte la malaria. On est le 14 février, et ce n’est pas vraiment la Saint-Valentin pour les patients haïtiens. Négligés par le personnel d’un hôpital où ils sont placés au milieu d’indigents, les descendants de Toussaint Louverture regagnent leur hôtel. Face à l’indignation des responsables haïtiens, la Ministre des sports de la Jamaïque leur garantit des conditions d’hospitalisation dignes. Des paroles non suivies d’effet selon Yves Jean Bart.

Toujours selon le récit haïtien, le lendemain, dans l’hôtel de Montego Bay où est hébergée la sélection, le maire de la ville débarque peu avant l’horaire d’entraînement, accompagné d’hommes armés. Il veut contraindre la totalité de l’effectif à un nouveau check-up médical. On est à la veille du deuxième match de qualification. Neuf joueurs présentent alors une température considérée comme “borderline”, et sont isolés. Parmi eux, des résidents français et américains, des pays où la malaria ne court pas les rues. Ils sont envoyés à l’hôpital. Le reste de la délégation est confiné dans un sous-sol de l’hôtel, gardé par des agents de sécurité. La sélection devient aussi fréquentable qu’un lépreux dans la Judée antique.

Se replacer alors dans le contexte : depuis l’automne 2011, Haïti fait face à une subite épidémie de choléra. Plus de 4500 victimes sont à déplorer. Faisant partager son savoir médical, Yves Jean Bart assure qu’avant qu’il ne resurgisse, « le choléra était absent d’Haïti depuis deux siècles, à l’inverse de la Jamaïque » . Reste que les proportions prises par l’épidémie dans le premier pays noir affranchi de l’esclavagisme font basculer le maire de Montego Bay dans la psychose. « Selon lui, c’est le tourisme, l’économie du pays, de sa ville, qui était en jeu » assure le président de la Fédé. Devant les protestations haïtiennes, les Jamaïcains ont toujours assuré avoir strictement suivi le protocole médical en cas de suspicion de malaria. Au final, seuls les deux joueurs qui présentaient une température réellement inquiétante seront donnés positifs à la maladie officiellement redoutée.

Le 16 février, les Haïtiens sains sont contraints de prendre un vol charter vers Port-au-Prince. Ils ne disputeront pas leur second match de poule face au Salvador, et la CONCACAF les considère comme forfaits. Le lendemain, les malades placés en quarantaine (quatre au total : les deux porteurs de la malaria, et deux diminués par une légère fièvre) regagnent leur pays. Aujourd’hui, la Fédération attend toujours des excuses de la Jamaïque, mais les autorités de Port-au-Prince ont décidé de classer l’affaire. Selon M.Bart, des démarches ont été entamées auprès de la FIFA pour que ces « jeunes footballeurs traumatisés » soient invités à assister au Mondial des moins de 17 qui se déroulera à partir du 18 juin au Mexique. Le Mexique, un pays dont les équipes avaient été exclues de la Copa Libertadores au moment de l’épidémie de grippe dite porcine au printemps 2009. La Jamaïque, elle, participera au Mondial.

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