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Finale de la Ligue des champions: l’amour des supporters, le mépris du foot ?

Par Nicolas Kssis-Martov
5 minutes
Finale de la Ligue des champions: l’amour des supporters, le mépris du foot ?

Mérité ou non après un match assez terne, le succès du Real Madrid a largement été éclipsé par la gestion lamentable de l’événement. La fête a en effet été gâchée par les scènes pathétiques qui se sont déroulées à l’entrée du stade de France (personnes empêchées d'entrer, gazages en règle, etc.), sans parler des charges policières sur les terrasses aux abords de la fan zone des Reds sur le cours de Vincennes. S’il faut pointer du doigt l’impréparation de l’organisation française et la réaction des forces de l’ordre - on a sûrement évité de peu un drame -, il s’impose aussi de remonter en amont et cibler le mépris grandissant de l’UEFA, du foot en général, pour les supporters.

« Des milliers de « supporters » britanniques, sans billet ou avec des faux billets ont forcé les entrées et, parfois, violenté les stadiers. Merci aux très nombreuses forces de l’ordre mobilisées ce soir dans ce contexte difficile. » Le gazouillis de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, ne déroge pas à son habituelle communication dès lors que les forces de l’ordre se retrouvent sur la sellette. Elle a été reprise presque in extenso par la nouvelle ministre des Sports et des JO, Amélie Oudéa-Castéra, qui commence fort et dans le dur son mandat. Peut-être pensait-elle se contenter d’inaugurer des bâtiments pour Paris 2024. Ces propos laissent surtout sans voix ceux et celles qui étaient sur place, notamment débarquant de Liverpool. La vidéo virale d’un CRS arrosant de lacrymo des fans anglais massés derrière les grilles résume bien le gap entre le déni des autorités et les nombreux témoignages qui ont pullulé sur les réseaux sociaux. Provenant aussi bien de journalistes anglais, d’un député travailliste que d’Hanouna, tous délivraient une version très différente du son de cloche officiel. C’est donc peu dire que les gars de Liverpool, qui souffrent toujours des accusations injustes après le drame d’Hillsborough, ont peu goûté la « fake news » de la place Beauvau.

Vivre dans le déni, une très mauvaise idée

Cette situation n’a malheureusement rien de surprenant. Elle éclaire tristement, à l’occasion d’une rencontre internationale, et ce, devant 300 millions de téléspectateurs, le vécu des tribunes dans l’Hexagone depuis des années. Les nombreux débordements cette saison ont été à juste titre dénoncé (jets de bouteille, etc.). Toutefois, on oublie trop souvent cette toile de fond sécuritaire (interdiction de déplacement, IAS massive, pression policière). L’interdiction de porter un maillot du Real ou de Liverpool sur les Champs-Élysées, incompréhensible depuis l’étranger, ne constitue de la sorte que l’application d’une loi (la Loppsi 2) autorisant la restriction de l’espace public « à toute personne considérée comme supporter ou se comportant comme tel ». Poussée à l’extrême et plus tôt dans la saison, elle a même abouti à exclure du centre-ville de Nantes les fans du FCN avant un quart de finale de Coupe de France face à Bastia.

Le déni des autorités de notre pays contraste terriblement avec le traitement par les médias étrangers, qui découvrent au passage le préfet de police de Paris, Didier Lallement, bien connu non seulement des Gilets jaunes, mais aussi du CUP, les ultras du PSG, pour avoir régulièrement refusé de délivrer des autorisations à leurs rassemblements et défilés. Ce dernier partage une culture de la sécurité publique qui continue de percevoir les supporters exclusivement sous l’angle du fauteur de trouble potentiel. Un point de vue idéologique qui a bien failli déboucher sur un drame, ce samedi soir. Alors que la France accueille régulièrement de grand-messes sportives, elle a considéré ce Real-Liverpool, pourtant hors norme déjà sur le papier avec ce type de public (des dizaines de milliers de fans anglais peu portés sur le Perrier), comme un banal concert de Patrick Bruel. Il s’avère incompréhensible qu’un tel manque de considération pour le football, sa culture et sa complexité continue d’imprégner nos dirigeants. On rappellera que ce n’est pas la première fois que le stade de France connaît pareille ambiance, souvenons-nous de 2016 et d’une finale de Coupe de France PSG-OM peu rassurante avant l’Euro. Dans un pays démocratique, il s’imposerait de déterminer les responsabilités, que ce soit dans le privé (la panne du système informatique de reconnaissance des billets) comme dans le public (administration concernée, où est la DNLH?). Quoi qu’il en soit, les visiteurs dotés d’authentiques billets ont fait les frais de cette chaîne d’incompétences, en agitant désespérément leur billet si chèrement acquis, derrière des barreaux, sans évoquer le coût du voyage jusqu’à Saint-Denis.

Et l’UEFA dans tout ça ?

Parmi les causalités profondes, un autre acteur, international cette fois, doit être interrogé : l’UEFA. Pour l’instance européenne du ballon rond, la C1, et dans une moindre mesure – économique – les autres coupes, ne représentent plus depuis longtemps des moments uniques où se manifestent la passion populaire combinée à la ferveur qui émane des clubs. Exemple : à peine 20 000 places avaient été accordées pour les Reds et les Madrilènes lors de cet affrontement ultime. Jürgen Klopp s’en était ému dans l’indifférence absolue. Car pour l’UEFA, seuls semblent compter les VIP, les logos sur les panneaux publicitaires, les droits télé et les concerts en play back d’avant-match. Le principal impératif reste de satisfaire les sponsors, émerveiller les VIP, et faire fructifier l’audience désormais via les réseaux sociaux tel que Tik Tok. Jamais le fossé entre le bas peuple, se sacrifiant pour venir communier autour de son patrimoine commun, et les costards cravates de Nyon n’a été si évident que sous les vapeurs des lacrymos. Constat identique pour les gamins qui vivent à 500 mètres du SDF. Ils ne peuvent rêver s’offrir une place à moins de se ruiner dans les paris sportifs. Ils doivent se contenter de regarder à la télé (c’était gratuit au moins cette fois) la fête si proche et pourtant inaccessible pour eux. Tout le monde, quel que soit le tarif déboursé, devrait pourtant bénéficier du même traitement de faveur de la part de l’UEFA, ainsi que du même respect de ses droits de la part de la police, que Nadal, Zidane ou les « chosen few » privilégiés et invités par les marques partenaires. Non, il n’y a pas que la Superligue de pourrie au royaume du foot…

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Par Nicolas Kssis-Martov

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